Le soulèvement des âmes
de Madison Smartt Bell

critiqué par Saint-Germain-des-Prés, le 28 septembre 2007
(Liernu - 56 ans)


La note:  étoiles
Foisonnement prodigieux
Premier tome d’une trilogie, ce livre est édifiant. Tout le monde s’entend pour dire que l’esclavage est une pratique immonde et indigne, mais se rend-on compte de ce qu’une révolte de ces gens dépouillés de tout peut représenter ? Madison Smartt Bell se base sur des documents réels pour nous raconter la révolte des Noirs de Haïti, à cette époque (1791) nommée Saint-Domingue. Il emprunte à l’Histoire le personnage clé de ce soulèvement : Toussaint, lui-même esclave noir. Smartt Bell construit un véritable roman, ajoutant des personnages, élaborant des intrigues sur ce fond tumultueux.

La situation « raciale » est complexe : Blancs, Noirs et Mulâtres vivent sur cette île, fomentent des complots, concluent des alliances. Français, Anglais et Espagnols se partagent Saint-Domingue. La plupart des propriétaires terriens maltraitent leurs esclaves, les mutilent, les tuent parfois. Le livre mentionne ces comportements, mais ne les développe pas car il s’ouvre sur la révolte proprement dite. Et lorsque ces esclaves se soulèvent, le carnage est à la hauteur de ce qu’ils ont subi. Là, Smartt Bell plonge en apnée dans la violence à outrance et j’avoue que certaines scènes insoutenables se déroulent encore dans ma tête.

En 734 pages (édition Babel), Smartt Bell a le temps de développer une histoire qui, fort heureusement, ne se limite pas à une énumération d’atrocités en tous genres. C’est absolument passionnant de voir comment Toussaint s’y prend pour gagner les esprits à sa cause. Cet homme, Noir rappelons-le, deviendra rien moins que général de l’armée française (mais là j’empiète sur le deuxième tome, 1070 pages). Véritable héros, il dompte les esprits des anciens esclaves, les organise en une armée qui conquiert un territoire de plus en plus vaste. A tel point que Français, Anglais et Espagnols sont forcés de s’adresser à lui comme à un égal en terme de race et de hiérarchie. Prodigieux…

L’auteur, à côté de l’Histoire, excelle également dans la petite histoire. Les personnages (inventés ceux-là, en tout cas pour la plupart) sont d’une rare richesse psychologique. Faut dire qu’avec autant de pages, il a le temps de nous en conter, des aventures… Tous sont attachants. Le docteur Hébert, pris dans ce tourbillon, sera choisi par Toussaint qui lui enseignera ses propres méthodes curatives à base de plantes ; pauvre docteur, qui dès lors sera emmené au front pour soigner les soldats blessés. Et voilà qu’en plus il tombe amoureux d’une mulâtre. Le Père Bonne-Chance est un de mes personnages préférés aussi. Très mal considéré par ses supérieurs religieux (il a eu plusieurs enfants avec une Noire), cet homme est d’une bonté, d’une humanité qui font réfléchir. Et que dire du capitaine Maillard, Français, également dépassé par l’ampleur des événements ?

Ma critique est déjà trop longue et j’ai encore tant à vous dire. Par exemple que l’auteur distille par-ci par-là des mots en créole (lexique à la fin du livre) qui pimentent le style, le rendant terriblement réel, vivant, présent à notre esprit. Franchement, les mots me manquent pour décrire cette fresque follement ambitieuse et d’une rare réussite : pas un instant on ne s’ennuie au fil de 734 pages, et je peux déjà vous dire qu’il en est de même pour les 1070 pages du deuxième tome. Je n’ai pas encore lu le troisième (pas encore sorti en Babel), mais je trépigne !
Un livre combat 9 étoiles

J'ai lu ce livre il y a quelques années déjà, je n'ajouterai pas grand chose aux excellents compte rendu qui en ont été fait ici même. Mais je voulais juste revenir sur une impression, une impression qui me saisit encore au moment où j'écris ces lignes alors que j'ai laissé se fermer la dernière page de ce roman dense, intense et cruel sur une image effrayante : l'esclavage et l'indicible inhumanité qui le légitime. Nos intellectuels organiques trouveront toujours matière à disserter sur les fondements économistes d'une pratique qui prêta en son temps les bras à une croissance nécessaire au bon développement des colonies, alors qu'il est avéré et entendu que ces contrées ne tirèrent qu'un bénéfice limité d'un tel marché, et qu'au regard de leurs sacrifices, la plus grande des fortunes n'en équilibreraient pas le plus petit des crimes commis au nom de la sacro-sainte supériorité d'un certain type d'homme... Madison Smart Bell est aussi un historien et son récit s'en ressent, pas de ces romans à thèse cafouille use, non, mais la juste sensibilité d'un "commerce" qui finit par dessécher toute part d'humanité en un temps qui sut si bien s'en accommoder. Seul le roman pouvait nous aider à comprendre, à ressentir de l'intérieur ce qui était à l'oeuvre. Bravo monsieur, vous parvenez par la puissance de vos mots à nous associer à cette conscience qui est aussi celle de notre humanité retrouvée.

Module - - 51 ans - 29 mars 2008


Aux confins de la civilisation 9 étoiles

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». L'article 1er de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, un principe fondamental qui n'est pas encore parvenu à cette île du bout du monde deux ans après son adoption, tant la résistance des esclavagistes est grande et les intérêts économiques de la France, importants.

C'est principalement à travers les yeux du docteur Hebert, un Français de la métropole débarquant en Haïti avec des idées humanistes, qu'on découvre le degré de violence inouïe régnant aux limites de la civilisation, bien éloignée des idéaux révolutionnaires des philosophes.

Car, de violence, il en est question tout au long du récit, quelques fois malheureusement à la limite du voyeurisme et de l'émotion gratuite. En effet, si l'écriture est très bonne, elle manque parfois de poésie, d'une dose de sublimation qui aurait pu donner une autre dimension aux descriptions minutieuses d'exactions en tout genre. C'est vrai qu'il est difficile, au vu du thème, de ne pas comparer ce livre à « Beloved » de Tony Morrison et d'y chercher la même excellence. « Le soulèvement des âmes » n'atteint pas cette perfection littéraire ni cette évocation psychologique.

Néanmoins, ce livre est d'une richesse considérable. Le cheminement des personnages impliqués à des degrés divers dans cette furie démentielle, tient le lecteur en haleine page après page. Sans compter l'impressionnant travail d'historien sur lequel repose le roman, et qui nous fait suivre pas à pas les événements tels qu'ils se sont réellement déroulés. La version de poche contient d'ailleurs non seulement un lexique créole, mais également une chronologie des principaux faits historiques mettant en perspective l'évolution politique en France et les actions politico-guerrières se succédant en Haïti.

Un roman long et dense qui donne pourtant l'envie de se ruer sur le deuxième tome dès la dernière page tournée.

Mieke Maaike - Bruxelles - 51 ans - 24 mars 2008


magnifique! 10 étoiles

En 1791, des troubles ont lieu à Haïti. Les esclaves et les marrons veulent être libres. Et les colons ont bien du mal à étouffer cette révolte, d’autant plus qu’en France, la situation n’est pas de tout repos non plus et que la plupart s’opposent à ces colons. S’ajoutent à tout cela les mulâtres qui ont parfois des esclaves et veulent avoir les mêmes droits que les « blancs » et les « petits blancs » qui veulent mettre fin à l’esclavage. Ceux-ci font tantôt des alliances avec les colons, puis décident de les rompre, selon l’atmosphère dans le pays, entraînant un incroyable chaos. A la fin de chaque partie, on a un aperçu de ce qui se passe en 1802 : Toussaint, ancien esclave qui cherche à rendre son peuple libre, a été fait prisonnier et est amené en France pour y être emprisonné.

On est donc une dizaine d’années avant qu’Haïti ne soit enfin indépendante. Ce roman c’est le début de ce long combat pour cette indépendance, pour gagner enfin cette liberté que les colons refusent aux esclaves pour pouvoir continuer de les exploiter à volonté pour leur profit. Ce livre ne recouvre pourtant que deux années, pleines de violences venant de tous côtés, pendant pas moins de 750 pages ; l’auteur a abattu un boulot considérable. Il n’y a pas que le côté historique que l’on observe, ces évènements nous sont racontés par les personnages principaux, les narrateurs donc, qui vont nous décrire ce qu’ils vont vivre sur ces deux ans. On a ainsi le docteur Hébert, fraîchement débarqué de France et qui se met à la recherche de sa sœur disparue, on a Riau, un marron qui nous décrit sa vie, sa lutte pour survivre et rester libre, et on a Toussaint, esclave tout d’abord et qui prendra la tête de la révolte, un personnage charismatique. On a aussi d’autres personnages : le capitaine Maillard, Nanon, métisse, les Arnaud, planteurs dont la cruauté dépasse l’entendement. Très bien écrit, c’est un excellent moyen de savoir comment ce sont déroulés les évènements menant à l’indépendance d'Haiti.

Vanou - Athis Mons - 41 ans - 26 octobre 2007