Le faste des morts
de Kenzaburō Ōe

critiqué par Saule, le 19 octobre 2007
(Bruxelles - 59 ans)


La note:  étoiles
Réflexions sur l'adolescence, la mort et la sexualité
Kenzaburô Oé écrivit les trois nouvelles de cette édition à l'age de 22 ans, c'était le début de sa carrière littéraire. Ces trois textes, qui dénoncent la violence, dégagent une impression de malaise et ne laissent pas insensible. Elles traitent de de la mort, du mal-être de l'adolescence et de la sexualité adolescente.

Dans la première, 'Le faste des morts', un étudiant est engagé à la journée dans une morgue pour transvaser des cadavres d'un bac de dissection à un autre : il s'ensuit des réflexions et un dialogue avec les cadavres que le jeune homme doit manipuler. La deuxième nouvelle est sombre et violente : dans un centre de détention des délinquants cruels jouent avec la mort d'animaux et l'humiliation des plus faibles. Dans ce milieu clos, certains adolescents sont utilisés comme jouets sexuels pour les dominants.

La troisième nouvelle raconte la transformation d'un adolescent obsédé par la masturbation et mal dans sa peau au contact de militants d'extrême droite : c'est un texte violent qui donne à réfléchir sur le processus qui transforme un paumé en bête dangereuse. Ce texte est tout à fait d'actualité avec l'histoire qui vient de secouer la Belgique (un jeune néo-fasciste responsable d'une tuerie en rue).

Kenzaburô Oé est un de mes écrivains préférés. Ses autres romans traitent principalement de la différence liée à un handicap et de l'accueil dans une famille d'un enfant handicapé (sujet autobiographique car Oé a eu un enfant autiste). Il montre ici une autre facette de son talent.
3 nouvelles 8 étoiles

Trois nouvelles, dans ce recueil, des débuts littéraires de Kenzaburo Ôé (entre 1957- l’auteur avait alors 22 ans - et 1961). Trois nouvelles qui mettent en scène des jeunes gens, peu conventionnels, placés eux-mêmes dans des situations critiques. De fait, ces trois nouvelles sortent des schémas classiques novelliens.
La première : « Le faste des morts », met en scène deux étudiants, un garçon, une fille, qui, pour gagner quelque argent, ont répondu à une annonce quelque peu originale proposant un travail de manutention de cadavres destinés à la dissection dans la morgue d’une Université de Médecine. Eux-mêmes ne sont pas dans la partie, pas lancés dans des études de médecine, lui plutôt littéraire, elle … ? C’est à une étude de caractères de ces deux jeunes gens confrontés à la mort, aux cadavres, à la bêtise administrative et aux préjugés que se livre Kenzaburo Ôé. Inutile de dire toute l’étrangeté dui texte, surtout chez un homme aussi jeune (22 ans).

« Baignant dans un liquide brunâtre, les morts se tenaient enlacés et leurs têtes se heurtaient, certains flottant l’un tout contre l’autre, d’autres immergés à demi. Enveloppés dans leur peau molle d’un brun livide qui leur conférait une apparence d’autonomie ferme et impénétrable, ils se condensaient, chacun tourné vers lui-même, alors que leurs corps s’acharnaient à se frotter l’un à l’autre. »

La seconde : « Le ramier », semble être un brouillon de « Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants ». Le thème en tout cas est commun, à savoir le parcours d’un jeune délinquant envoyé en maison de correction. C’est violent, plutôt désespéré, et ce thème des enfants – des garçons en fait – « borderline » semble obséder Kenzaburo Ôé. Humiliation, violence, rapport de force, déshumanisation sont au programme. Demandez, demandez … ! Mais attention ! N’en déduisez pas que la lecture de cette nouvelle est pénible. Ce n’est pas ça.
La troisième : « Seventeen », est davantage politique. Il y a tout un contexte nippon qui échappe au lecteur occidental que nous sommes, de surcroît 50 ans après ! Kenzaburo Ôé s’essaie au processus qui peut amener un adolescent faible et mal dans sa peau de 17 ans (seventeen), plus intéressé par l’onanisme que l’apprentissage au lycée, à adhérer à l’idéologie d’extrême droite et à trouver sa voie dans ce genre de mouvement. C’est assez politique mais pas maladroit et le pauvre gars fait plus pitié qu’autre chose. N’empêche qu’in fine celui qui fait pitié sera devenu une machine à casser du gauchiste. Crédible. Triste.
Au bilan des préoccupations quand même très axée sur des adolescents ou jeunes hommes en délicatesse avec la confiance en soi, avec la « normalité ». Une vision du Japon et des Japonais à coup sûr très différente de la version courante.

Tistou - - 68 ans - 6 septembre 2012


Dérangeant 8 étoiles

Une initiation choc à l’univers d’Ôé que cette lecture. Les trois nouvelles sont répugnantes, crues, même osées. De la première, je ne conserve que le souvenir de cette cuve remplie de trente cadavres flottants. La seconde est terriblement sombre dans son exploration de la cruauté adolescente au sein d’une micro société aux conventions singulières. On pense à « Sa Majesté des mouches » Enfin, la dernière s’amuse lugubrement avec les thèmes de la virilité masculine et l’extrémisme politique.

Encore plus étonnant que la livraison impudique de ces histoires de chair et dignité, le caractère intemporel de ces nouvelles, écrites il y’a quatre décennies et toujours d’actualité.

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 55 ans - 14 novembre 2007