Le bourg de Stépantchikovo et sa population, extrait des carnets d'un inconnu
de Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski

critiqué par Dirlandaise, le 23 octobre 2007
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Un asile de fous
Ce roman de Dostoïevski a été écrit en 1859 peu après son retour du bagne.

Un jeune homme de vingt-trois ans, Sergueï Alexandrytch, ayant tout juste terminé ses études, rend visite à son oncle Iégor Ilitch Rostanev, un colonel à la retraite qui réside dans le bourg de Stépantchikovo. À son arrivée, le jeune homme constate très vite que la maison de son oncle est remplie de pique-assiettes dont un certain Foma Fomitch, un homme pauvre mais très rusé qui profite allègrement de la bonté et de la générosité de l'oncle bien-aimé. Foma Fomitch est un véritable tyran qui n'hésite pas à insulter et à culpabiliser l'oncle bonnasse. Il le rabaisse constamment, se moque de lui, lui coupe la parole, lui manque de respect au-delà de toute mesure. Iégor Ilitch accepte ces humiliations, persuadé par Foma qu'il est le plus mauvais homme que la terre ait porté. En fait, Sergueï se rend très vite compte qu'il est tombé dans un vrai asile de fous. Les gens qui résident chez l'oncle et profitent de sa bonté forment une galerie de personnages tous plus étranges les uns que les autres. Chacun vit aux crochets de l'oncle bien entendu à commencer par sa mère qui vénère Foma Fomitch comme un dieu. L'oncle a deux enfants, une fille d'une quinzaine d'années et un fils de huit ans. Il est secrètement amoureux de leur gouvernante, une jeune femme très pauvre mais douce et bonne. La famille ne voit pas cet amour d'un bon œil et préférerait que Iégor Ilitch se marie avec la demoiselle Tatiana Ivanovna, une femme de trente-cinq ans très fragile mentalement qui était pauvre mais dont la situation a changé du tout au tout grâce à un héritage inespéré d'un lointain parent. Sergueï ayant constaté la pénible situation dans laquelle son oncle se débat, décide de lui venir en aide dans la mesure de ses moyens, ce qui provoquera bien des remous au sein de cette petite communauté aussi disparate qu'étrange.

Un récit très amusant qui est proche du théâtre par le nombre des personnages et les nombreux rebondissements de l'histoire. Les personnages sont très caricaturaux en particulier ce Foma Fomitch difficile à saisir et manipulateur comme pas un. Il règne sur son petit monde et parvient toujours à ses fins grâce à des moyens détournés et tortueux. Il joue au martyr afin d'attirer la sympathie et la compassion de ses admirateurs d'une façon tout à fait odieuse. J'avoue qu'il m'a prodigieusement agaçée ce Foma. Je n'en revenais pas qu'un tel homme puisse avoir une si forte emprise sur un petit groupe de gens. Et l'oncle qui se laisse berner continuellement. J'ai particulièrement aimé le personnage de Falaleï, un jeune serviteur servant de souffre-douleur à Foma qui ne lui épargne aucune humiliation.

Bref, c'est un genre d'histoire qui ne va pas sans rappeler le Tartuffe de Molière par l'exagération des caractères des différents personnages dont celui de Foma. Je donne trois étoiles et demie car j'ai trouvé que c'était un peu longuet et redondant.

" C'est avec toute la force de ma curiosité que j'observais cet individu. Gavrila avait eu raison de le qualifier de " petit bonhomme tout gringalet ". Foma était de petite taille, blond à mèches blanches, il avait le nez crochu et le visage tout sillonné de petites rides. Sur le menton, il avait une grosse verrue. Il avait un peu moins de cinquante ans. Il entra sans bruit, à pas mesurés, les yeux au sol. Mais l'assurance la plus insolente s'affichait sur son visage et dans toute sa petite silhouette pédantesque. "

" Falaleï était d'une beauté étonnante. Il avait un visage de jeune fille, le visage d'une beauté paysanne. La générale l'adorait et le choyait, tenait à lui comme à un joli jouet précieux ; et on ne sait même pas qui elle préférait : Ami, son petit chien tout frisotté, ou Falaleï. Nous avons déjà parlé de son costume, qu'elle avait imaginé elle-même. Les demoiselles lui donnaient de la pommade, et le coiffeur Kouzma était obligé de lui faire une mise en plis à tous les jours de fête. On ne pouvait pas le qualifier d'idiot ou d'innocent, mais il était si naïf, si simple et si sincère, que, parfois, réellement, on pouvait le prendre pour un petit simplet. "

Le roman a été traduit du russe par André Markowicz.
Cocasse et loufoque 9 étoiles

J'ai déjà beaucoup parlé de Dostoïevski sur ce forum. Je ne m'attarderai pas longtemps sur ce roman, anecdotique au sein de son immense oeuvre (anecdotique au sens où ce roman ne porte pas de grands thèmes de réflexion mais repose davantage sur une situation comique, loufoque). Et ce livre recèle effectivement de petites merveilles de dialogues, de quiproquos, de situations cocasses et savoureuses.

Alors, pour ma critique, je me contenterais simplement de 2 citations de ce livre; voilà pourquoi j'aime Dostoïevski :

"Eh! mon bon, il y en a donc, dans le monde, des gens qui connaissent tout le fond des choses ! m'avait-il dit un jour, les yeux étincelants d'enthousiasme. On reste avec eux, on écoute, et, on comprend bien qu'on ne comprend rien, mais , quand même, ça vous fait chaud au coeur. Et pourquoi? Parce que, ça, l'utilité, c'est l'intelligence, c'est le bonheur général ! Ca je comprends".

"C'est là que la malheureuse dit adieu définitivement à la dernière goutte de bon sens qui lui restait. Transportée de bonheur, elle s'envola sans retour dans le monde envoûtant de ses fantaisies impossibles et de ses fantômes séduisants. Adieu, toutes les réflexions, tous les doutes, tous les obstacles de la réalité, toutes ses lois, évidentes et claires comme deux fois deux ! Trente-cinq ans, et le rêve d'une beauté aveuglante, le triste froid de l'automne, sans même jurer en rien, s'accordèrent dans sa tête".

Salocin - - 43 ans - 5 janvier 2014