Ça faisait longtemps que je n’avais plus lu du Ellroy, 20 ans. J’avais oublié à quel point cet auteur de romans noirs excellait dans la construction de l’intrigue, à faire croiser et s’entrecroiser les trajectoires des divers personnages autour de un ou quelques anti-héros. C’est vraiment son point fort, savoir élaborer des intrigues sombres et complexes qui savent culminer vers leur grand final. Avec le court roman de 130 pages de Dick Contino’s blues, on en a ici un exemple en miniature, rappelant ceux qu’il a composé dans ses grands romans noirs qui ont fait sa renommée. Mais il y a ici quelques différences, c’est relativement moins noir, plus léger, avec de l’humour. C’est donc plus abordable, et c’est en outre une excellente introduction à l’univers de James Ellroy. Si on a aimé, alors on pourra passer au niveau au-dessus, en commençant par le Dahlia Noir, son chef d’œuvre, avec le Grand Nulle Part. Chapeau bas, l’artiste.
Avec ce court roman, j’ai fait connaissance de Dick Contino, un accordéoniste qui a vraiment vécu (qui vit encore ?) et qui a eu son heure de gloire à la fin des années 40. La guerre de Corée qui est arrivée ensuite a brisé sa carrière. Voir la préface qui explique en détail. Le personnage qui en est donné dans le roman est touchant, on s’y attache et quand on doit le quitter, c’est avec un petit regret au cœur. Lui et tous ceux qui gravitent autour de lui ont tous un grain plus ou moins gros dans le cerveau et c’est cette humanité décalée que James Ellroy a le talent de faire vivre devant nos yeux dans toute leur réalité crue, sans juger, et de nous les rendre proches (au moins pour les moins fous d’entre eux), pour notre plus grand plaisir (le plaisir d’être lecteur et non personnage de ses romans !). Pour en terminer avec Dick Contino, cette histoire est-elle vraie, comme cela est affirmé à la fin du livre ? je ne le crois pas, c’est juste une histoire brodée à partir de la vie réelle de ce chanteur accordéoniste et voilà tout !
Quoi qu’il en soit, un très bon récit, court, qu’on a plaisir à lire.
Quant aux 5 nouvelles qui suivent le court roman de Dick Contino’s blues, je les ai trouvées un ton en dessous. En les lisant, ça m’a fait plus l’effet de romans noirs classiques, banals, qui ne reflètent pas la force et la maîtrise des romans qu’Ellroy a écrits, même s’il en est aussi l’auteur. Ses éléments caractéristiques sont toujours là, violence, corruption, sexe, amours tristes ou fatales, humanités perdues… (sinon ce ne serait pas du Ellroy !) mais non la profondeur. Comme il le dit lui-même dans la préface, il préfère écrire des romans plutôt que des nouvelles, qui lui permettent de déployer tout son talent et son originalité, à construire d’énormes histoires très complexes où peut s’exprimer tout son génie.
Il n’en reste pas moins que c’est toujours du Ellroy, et qu’un Ellroy ne peut jamais être totalement mauvais ! Disons que ce sont des nouvelles de bonne facture, qui portent bien la marque Ellroy et qui peuvent donner un goût de nostalgie à leur lecture. D’ailleurs Dick Contino’s blues aussi a sa charge de nostalgie de cette époque passée, de ce monde disparu, obsession de l’auteur qui n’en sort jamais, la preuve par les nouvelles qui suivent, qui se déroulent tous à LA dans les années 40 et 50. Nostalgie, quand tu nous tiens…
Les voici : « Appeler AX minster 6-400 » d’un type classique, où l’on a le plaisir de revoir Lee Blanchard en jeune flic qui débute et Ellis Loew en jeune procureur déjà mordant, qu’on retrouvera plus tard dans le Dahlia Noir. « Un filon en or » une histoire d’héritage qui a du chien, seule nouvelle qui ai de l’humour ! « Négreville-la-haute », Noir et violent, où l’on retrouve Lee Blanchard, encore lui, embringué dans une sordide affaire familiale. « Prison d’amour » l’histoire d’une passion pour une femme qui conduit un homme à perdre les pédales et à commettre les plus violentes extrémités rien que pour la retrouver.
Finalement, la nouvelle qui se rapproche le plus de l’univers d’Ellroy est la dernière, où on retrouve des personnages récurrents dans ses autres romans, comme Le Grand Nulle Part, notamment Mickey Cohen, Howard Hugues, Buzz Meeks, entre autres, et à mon sens, qui est aussi la meilleure des 5, intitulée « Puisque tu n’es pas mienne ». Qui de Howard Hugues ou de Mickey Cohen aura la femme qu’ils désirent tous deux ? Buzz Meeks devra la jouer fin pour les satisfaire tous deux et éviter des ennuis qui peuvent être mortels !
A lire pour le plaisir de retrouver l’univers d’Ellroy.
Cédelor - Paris - 53 ans - 1 février 2018 |