Orlanda
de Jacqueline Harpman

critiqué par Bluewitch, le 9 septembre 2001
(Charleroi - 45 ans)


La note:  étoiles
Habiter un autre corps
Dans ce roman, Jacqueline Harpman explore le volet caché de la personnalité, cette part de nous que l'on refoule, les désirs enfouis et les règles que l’on s'impose…
Assise à une terrasse, Aline s'ennuie devant l'« Orlando » de Virginia Woolf. Elle est enseignante, tout ce qu'il y a de plus respectable, féminine à tous points de vue. Chez elle, la raison prend souvent le dessus sur la passion… Et voilà que la part masculine de son identité s’échappe et va se loger chez un jeune homme assis en face. Elle ne s’en aperçoit pas mais cette partie scindée d’elle-même sait où elle va et sera à la fois Aline et Lucien : Orlanda. Libéré de ses entraves et de cet espace clos de l'esprit où Aline l'avait relégué, Orlanda va accumuler les aventures où la porte ne sera plus fermée aux interdits. « Le temps nous tue, seconde après seconde, et, stupides que nous sommes, nous ne renonçons pas à l’impatience ». Inconséquent, insouciant, il va vivre tout ce qu'Aline s'était toujours refusé.
Pourtant, deux parts d'une même âme finissent bien par avoir à nouveau besoin l’une de l'autre et la rencontre entre Aline et cette moitié d'elle qui l’a abandonnée la mettra face à des vérités qu'elle s’était dissimulées jusque là. « Je disparaissais de ce que tu nommais toi à mesure que tu me constituais ». Parce qu’Orlanda est tout ce qu'Aline a été obligée de renier pour le bien d’une éducation maternelle sans faille.
Une fois de plus, Jacqueline Harpman met en oeuvre ses connaissances de psychanalyste et ses talents d’écrivain au profit d'un assez bon roman où elle sonde les énigmes de la personnalité, de la sexualité et de l’identité. Qui est JE ? Comme les événements de la vie nous modèlent et font de nous ce que nous sommes, consciemment et inconsciemment.
Une fois encore, cette recherche de la parfaite complémentarité de deux êtres. La complétude des âmes, idée souvent abordée dans ses romans. « Androgynes brisés par la colère des dieux jaloux, nous galopons vers notre moitié perdue, nous tentons de reconstituer l'unité des origines : où est mon autre moi ? ». Ici, Aline perd une moitié d'elle-même pour mieux se découvrir et vivre.
Même s’il ne m’a pas autant accrochée que les autres romans de Jacqueline Harpman, « Orlanda » est indéniablement un très bon livre où l’érudition, la subtilité et la maîtrise de l’auteur sont à elles seules une vraie source de plaisir.
Orlanda, double d'Orlando 8 étoiles

Aline, professeur d'université, attend son train dans une brasserie de la Gare du nord. Elle lit "Orlando" de Virginia Woolf. Une part d'elle-même se détache d'elle sans qu'elle s'en rende compte et va prendre possession du corps d'un jeune homme de 20 ans, Lucien. Cette partie d'elle-même qui a quitté le corps d'Aline est sa part refoulée, celle qui est étouffée par la morale et les conventions sociales. Elle se prénommera Orlanda. Le lecteur suit donc Aline, Lucien et Orlanda qui est le trait d'union entre les deux personnages. Aline mène une vie routinière avec Albert, alors qu'Orlanda dans le corps de Lucien s'émancipe et utilise le corps de ce jeune homme pour vivre librement et voluptueusement.

Le roman interroge sur notre moi et sa complexité. Il évoque la part féminine et la part masculine qui sont en chacun de nous. Il interroge aussi sur la sexualité et sur les attirances, indépendamment des cases dans lesquelles nous sommes rangés aujourd'hui. Jacqueline Harpman qui était aussi psychanalyste nourrit son œuvre de cette culture de la science de l'esprit en passant aussi par le prisme de la littérature. Nombreux sont ses romans qui font référence à des œuvres majeures. Ici, le roman de Virginia Woolf est évoqué et invite donc le lecteur à en apprécier la réécriture. Proust alimente aussi ce roman et les clins d'oeil faits à son œuvre sont explicites et ne sont pas des obstacles à la compréhension du roman de Jacqueline Harpman.

Sa langue plutôt classique est contrebalancée par un sujet original et moderne. Elle ne s'encombre pas de la morale et ses histoires peuvent surprendre. Cela fait du bien de lire ce genre de textes libres et libérés des diktats de la morale. L'écrivaine adopte des points de vue intéressants car l'on passe d'un personnage à un autre. Même les personnages secondaires ne sont pas ignorés et le lecteur parvient à saisir le caractère de chaque individu. D'ailleurs la narratrice s'adresse parfois à ses lecteurs, ce qui peut être amusant. Cela nous fait sortir d'un seul coup du roman et prendre conscience que nos personnages sont bien des êtres de papier.

Ce roman est d'actualité. Il interroge sur notre monde moderne et sur notre identité. Il est intéressant par ses réflexions psychanalytiques et par sa relecture du roman de Virginia Woolf. Une lecture intelligente et un mode de narration moins classique que son écriture.

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 7 avril 2023


Catalogue de platitudes 5 étoiles

Au départ, une très bonne idée : le versant « noir » de sa personnalité, la part de tous les refoulements, se détache du corps de l’héroïne pour s’incarner dans un autre personnage. Que de perspectives alléchantes en vue ! Que de projets fous envisageables ! Que d’aventures piquantes imaginables pour permettre à l’héroïne de récupérer sa moitié en bon état ! Et pourtant, Harpman n’accumule que des platitudes, s’enferme dans les petits soucis du quotidien et finit par nous ennuyer en ne nous présentant que des banalités de la vie ordinaire.

Par exemple, Orlanda, après des années d’enfermement et d’étouffement dans le corps d’Aline, se découvre une passion pour les mathématiques et veut reprendre des études. L’auteur aurait pu nous la présenter déboulant en fureur à l’université, remontant l’auditoire la rage au ventre à la poursuite des connaissances à rattraper, vouant une admiration sans borne à un professeur émérite, cherchant passionnément de nouveaux théorèmes, marchant sur les traces de Prigogine, s’envisageant prix Nobel. Au lieu de ça, Orlanda, réceptacle obscur de tous les refoulements et de tous les renoncements, révise sagement ses équations du deuxième degré sur un banc en attendant Aline…

La même Orlanda découvre une liberté sexuelle sans borne, peut envisager toutes les expériences avec toutes les personnes possibles et imaginables, se retrouver dans les lieux les plus incongrus à faire les choses les plus folles. Mais non, notre Orlanda ne s’intéresse qu’aux hommes en costard cravate, la quarantaine raisonnable, les yeux rappelant un ancien amour d’Aline, des hommes bien classiques pour des relations bien convenues.

Aline elle-même, séparée de sa part refoulée, ne semble pas radicalement changer de vie, ne sombre pas dans un début de folie, ne pense qu’à peine à sortir de son train-train quotidien, et n’utilise Orlanda que pour le faible piment que donnerait une relation platonique avec un amant inaccessible.

Ce roman n’est finalement qu’un catalogue de platitudes que seules l’écriture d’Harpman et ses allusions à la psychanalyse sauvent de justesse. Une grosse déception donc.

Mieke Maaike - Bruxelles - 51 ans - 13 octobre 2006


Dans la peau de l'Autre 8 étoiles

Roman merveilleusement écrit, bourré d’humour et de touches ironiques ou tendres, on suit avec joie Aline tenter de se faire à sa nouvelle identité.
Ce roman incarne les fantasmes féminins les plus fous: se nicher quelque temps dans un corps masculin pour en découvrir tous les secrets…

J’ai vraiment beaucoup aimé "Orlanda" (à l’instar de la majorité des romans de Jacqueline Harpman, tous excellents), riche en enseignement et qui recèle de nombreuses surprises. Il m’a fait passer un superbe moment littéraire.

Missparker - Ixelles - 42 ans - 14 juin 2006


Changer de sexe pour tenter d’exorciser ses frustrations 8 étoiles

Dans cette histoire, l’impossible se produit : une jeune prof, Aline, abandonne la part masculine de son corps de femme et la transfère dans celui d’un jeune inconnu, Lucien, qu’elle va finir par dominer complètement.
Cette partie échappée crée Orlanda (en référence à Orlando de Virginia Woolf), chassant, par là même, l’identité de Lucien de ce corps receveur. Elle est cette face d’Aline, bâillonnée par les bons conseils féminins de sa mère lors de sa puberté et qui l’a conduite à détester sa prison et à se sentir enfermée dans son corps. Pourtant, après l’euphorie de ses nouvelles expériences jusqu’alors refoulées, un seul besoin devient vital : celui de retrouver Aline.
Bien que l’histoire soit complexe, surréaliste, la lecture reste fluide et le lecteur ne s’y perd pas, même s’il est amené à osciller entre les sujets “je”, “il” et “elle”. L’auteure, psychanalyste, maîtrise si bien son sujet qu’elle parvient à faire une fiction aboutie sur la dualité du moi et du surmoi, ici masculin-féminin, cette union indissociable des deux entités d’un individu. Très fort.

Voni - Moselle - 64 ans - 13 janvier 2006


Ou les particules élémentaires 6 étoiles

Jacqueline Harpman ou quand le fantastique sert l'introspection et l'analyse des comportements humains.
La plume de cette grande dame reste très féminine, trop parfois, passant à côté de la décennie, accrochée aux lambeaux d'un Français désuet. Elle n'en est cependant pas moins attirante, bien qu'édulcorée.
Je suis en train de lire Le passage des éphémères, dont je vous ferai bientôt part.

Lézard - Genval - 40 ans - 15 mars 2004


qui suis-je? 6 étoiles

Au départ, je n'accrochais pas avec ce roman mais au fur et à mesure de ma lecture, je me suis rendu compte que je ne pouvais m’en détacher ! La relation entre ces deux mêmes identités est très troublante !
Nous avons l'impression de vivre une histoire d’amour entre deux êtres tout à la fois semblables (évidemment) et différents. Il fait réfléchir sur notre vraie personnalité. Suis-je bien la personne que je dis être ou suis-je une autre ? Il est parfois intéressant de se poser ce genre de question.
Orlanda m'a donné envie de lire d'autres oeuvres de cette romancière.

Séchat - Bruxelles - 57 ans - 30 avril 2002


Pauvre Lucien... 8 étoiles

Se faire déposséder de son corps sans aucune réaction, on aurait presque pitié de lui quand on sait que de plus, c'est une "portion" de femme qui en prend possession pour en "faire" un homosexuel!
Mais quelque part, pauvre Aline également. Ainsi, il faut qu'une partie d'elle se sauve droit "dans" le premier venu pour qu'elle prenne conscience de l'existence de celle-ci. L'expérience d'Orlanda ne sera pas perdue pour tout le monde! Au bout du compte, peut-être que cette séparation n'a pas été inutile et que la nouvelle Aline, l'Aline "réunifiée" sera différente de l'ancienne... Franchement, je ne sais pas si j'apprécierais beaucoup être en présence, voire confrontée à cette inconnue que doit être une partie de moi!

Thémis - Ligny - 54 ans - 12 février 2002


Un bon roman mais... 6 étoiles

...je regrette seulement que J. Harpman n'ait pas poussé son héroïne dans de plus grands extrêmes. Aline ne se rebelle, en fait, qu'en paroles, elle ose enfin remettre les gens à leur place. Mais je n'ai pas trouvé cette rébellion verbale proportionnelle à la frustration d'Aline. Etouffée comme elle l'a été, elle aurait dû plaquer son Albert qui la "gonfle", partir à l'aventure avec Orlanda etc. Du moins, si j'avais été à sa place, c'est ce que j'aurais fait.

Clickgirl - Louvain-la-Neuve - 46 ans - 14 décembre 2001