Le terrier de Franz Kafka

Le terrier de Franz Kafka
( Der Bau)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par BMR & MAM, le 3 décembre 2007 (Paris, Inscrit le 27 avril 2007, 64 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (24 612ème position).
Visites : 7 245 

Un texte fort, une histoire hallucinante

Un très beau texte en version intégrale.
Ou presque puisqu'il s'agit d'une des dernières nouvelles de Franz Kafka, jamais achevée.
Mais, dans l'esprit tortueux de Kafka, y'avait-il seulement une fin à ce texte qui tourne en rond comme tourne en rond la créature, mi-homme mi-bête, qui s'agite et s'affole dans son terrier ?
Le discours obsessionnel de cette créature est vraiment hallucinant.

[...] Il me semble parfois dangereux de baser toute la défense dans la forteresse, car la diversité du terrier m'offre un très large éventail de possibilités, et il me paraît plus conforme à la prudence de disperser un peu les provisions et d'en pourvoir un certain nombre de petits ronds-points; je décide alors par exemple qu'un rond-point sur trois deviendra une réserve ou qu'un rond-point sur quatre sera une réserve principale et un sur deux une annexe, et autres calculs du même genre. Ou bien, en guise de manoeuvre de diversion, j'exclus totalement que certaines galeries puissent être garnies de provisions, ou bien je choisis au hasard un petit nombre de ronds-points, en fonction de leur position par rapport à la sortie principale. [...] Il me semble parfois - habituellement lors d'un réveil en sursaut - que la répartition actuelle est tout fait mauvaise, qu'elle peut être source de graves dangers et doit être sur l'heure rectifiée au plus vite.

Et ainsi pendant des pages et des pages, des jours et des jours, l'homme ou la bête tourne en rond dans son terrier, défaisant ceci, refaisant cela, améliorant ici, fortifiant là, ... cherchant à se protéger toujours mieux et toujours plus d'une hypothétique attaque ...
Jusqu'à ce qu'un jour il entende un bruit inhabituel, un chuintement.
Et voici l'homme ou la bête reparti à la recherche sans fin de la source de ce chuintement, un ennemi sans aucun doute, un prédateur à sa poursuite, ... à moins qu'il ne s'agisse peut-être que de l'écho de sa propre respiration ? Nous ne le saurons jamais et Kafka a emporté son secret dans son propre terrier.
Un opuscule minuscule par la taille (quelques 60 pages sur 15 petits centimètres de hauteur) mais grand par la puissance du texte.

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Nouvelle complexe et claustrophobe

6 étoiles

Critique de Gregou (, Inscrit le 20 février 2013, 38 ans) - 2 mars 2013

Cette oeuvre écrite à la fin de la vie de Kafka est, semble-t-il, une oeuvre testamentaire. Ce troglodyte ressemble beaucoup à ce qu'était Kafka, un homme submergé par la paranoïa, l'angoisse et l'imperfection. Le sentiment d'inachevé, de perfectible était permanente concernant ses oeuvres. Il a d'ailleurs demandé à son ami Max Brod de brûler toute son oeuvre. Ce chuintement que le troglodyte entend est peut-être un autre rongeur prédateur venu le tuer tel un assassin antisémite ou est-il tout simplement de l'hallucination due à l'isolement permanent qui rend le personnage complètement terrifié du monde extérieur. Cette nouvelle est, en tout cas, très complexe. Pour moi, elle est le reflet de ce qu'était Kafka. Ce bruit qu'il entend en permanence est d'ailleurs comparable au bruit de la toux dû à la tuberculose dont il était atteint. La sortie en mousse étant peut-être la bouche, le terrier principal étant les poumons et les couloirs creusés représentent les bronches? Un texte, en tout cas, qui laisse en suspens beaucoup d'interrogations. Plusieurs interprétations sont possibles et je ne sais pas si Kafka a lui même voulu exprimer quelque chose de très précis à comprendre. C'est ce qui fait l'intérêt de cette lecture.

Méandres kafkaïens

8 étoiles

Critique de Stavroguine (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans) - 27 avril 2009

Il est un homme, à moins que ce ne soit une taupe ou un lièvre... Nous v'là bien ! Comment parler de cette oeuvre quand, dès la première phrase, nous bloquons ? L'univers de Kafka est tortueux et plus on cherche à le comprendre, plus on croit approcher de la vérité, et plus tout s'effondre comme un château de cartes...
Cet animal troglodyte, quoi qu'il en soit, à mi-chemin entre l'homme et le nuisible des campagnes vit dans son terrier, structure complexe et gigantesque qu'il a édifiée pour se protéger d'une attaque aussi hypothétique et diffuse qu'elle lui semble bien réelle et menaçante. Voilà donc cet esprit torturé et paranoïaque qui nous présente sa fondation dans ses moindres détails en tergiversant sur l'utilité stratégique d'un comportement ou d'un autre. L'organisation de sa défense l'occupe jour et nuit, il passe son temps à réfléchir à l'optimisation de son terrier en cas d'attaque. Pire ! Il ne s'agit plus seulement de se protéger lui, mais bien de protéger le terrier lui-même par une autre forteresse qu'il faudrait certainement elle-même protéger. Mais à trop réfléchir, notre compère n'agit plus, ou détruit immédiatement ce qu'il venait d'entreprendre, insatisfait par son imperfection et par les nouveaux problèmes que cette nouvelle défense crée. Qu'il soit dehors ou dedans, c'est une peur panique qui envahit cet être, l'empêchant sans cesse d'agir, le laissant éternellement peser le pour et le contre de la moindre des actions pour n'en entreprendre aucune.
Ce à quoi aspire ce descendant du cafard de la Métamorphose, c'est finalement à une éternelle et complète solitude. Chaque bruit nouveau est perçu comme une menace, chaque être est un ennemi. La créature n'aspire qu'à se rouler en boule dans sa forteresse, à se replier sur elle-même et à y demeurer seule jusqu'à la fin. Le texte est une splendide immersion dans un esprit introverti et paranoïaque. Tout ce qui provient de l'extérieur est une menace, même lorsque l'être - prouvant ainsi qu'il n'est pas mégalomane - admet que son ennemi ignore probablement son existence, ne le cherche même pas. Pour le narrateur, toute rencontre avec le monde extérieur ne peut être qu'une confrontation sous une forme ou une autre.
Mais qui est réellement ce narrateur qui se fond au terrier lui-même, ne faisant plus qu'un avec celui-ci ? Serait-ce Kafka lui-même ? C'est du moins ce que suggère une postface plutôt bien faite et très intelligente.
On sait l'auteur introverti et suicidaire. On sait aussi qu'il rédige cette nouvelle l'année de sa mort, après avoir demandé à Max Brod, son exécuteur testamentaire, de détruire son oeuvre sa mort. Est-ce donc son terrier à lui que Kafka nous fait visiter ? C'est bien possible, et rien que pour ça, la visite vaut le coup. Mais sinon, tant pis ! Même s'il ne s'agit que d'un paranoïaque parmi tant d'autres qui nous ouvre son abîme, c'est une occasion que l'on ne peut pas refuser de s'aventurer dans un terrain inconnu, dans cet esprit kafkaïen aussi tortueux que les premiers abords du tunnel, dans ce labyrinthe dont on ne saurait tout extraire mais duquel on ressortira finalement claustrophobe, mais indégnablement plus intelligent. C'est la magie de Kafka de nous apprendre tant en nous laissant dans la perplexité.

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