18e siècle en Angleterre : Elisabeth Batts est amarrée à sa maison. Son illustre mari, James Cook, voyage. Il s’embarque sans relâche entre ciel et mer, menant avec une passion intense pour la connaissance du monde, pour les découvertes d’horizons lointains, pour l’amour des lumières et de la science, pour la transmission des techniques, une vie de capitaine glorieux, aux pouvoirs illimités si ce n’est … limités par Dieu lui-même. Il ne croit qu’à l’analyse scientifique: "the facts only". Où sont les sentiments? En serait-il dénué? Il n'et pas de ceux qui heurtent les natifs des îles qu'il découvre. Il utilise le moins de violence possible,et fait usage de l'approche la plus respectueuse des coutumes et des moeurs. Il décrit ses découvertes dans son journal de bord à la façon d'un entomologiste. Et pourtant, il est capable de colères frôlant la folie. Enfin, le voilà qui s'abandonne entièrement à sa passion du pouvoir et de l'orgueil, et dans un accès de folie mystique il signe sa perte librement consentie. Pendant que la femme attend, à terre. Atterrée.
A elle de gérer le doute, l’absence, l’attente, les grossesses solitaires, la perte prématurée des enfants, la culpabilité, les deuils, un destin qui s’acharne sur elle. Elle se débat dans l’indécision et des débats intérieurs sans fin. Elle est presque seule. Elle agit tout comme. Avec détermination et intelligence. Elle a ce quelque chose d'héroîque d’une Eline Vere.
Contre toute attente, elle croit désespérément que son mari abandonnera un jour la mer et ses tourbillons de couleurs mythiques et exotiques, et lui reviendra pour s’occuper d’elle et de ses enfants dans la grise campagne londonienne. Mais lecteur sait que le capitaine couvert de distinctions honorifiques mourra à Hawaï d’une façon très mystérieuse.
Elizabeth se trompe et s'illusionne et le lecteur assiste impuissant à sa longue descente aux enfers, jusqu’à ce que tous les membres de cette famille aient été avalés par la mer, jusqu’au dernier. Et la voilà qui semble par moments, perdre pied avec la réalité. Le réalisme noir de sa situation touche, son espoir fou sans cesse renouvelé, sa confiance émeuvent, où va-t-elle puiser ses forces ? Sa résilience interpelle.
Voici une femme face au siècle qui ne laisse que d’infimes interstices à la condition féminine, mais qui prend toute sa place dans le roman. Elle accepte l’adversité et fait face malgré ses fragilités, à la houle infinie, à l’incertitude, les pieds sur terre, digne comme un étendard qui dit oui à la vie et renait sans cesse de ses cendres.
Lui, frôlant catastrophes, mort et maladie à tout instant, aura découvert que le don absolu de soi donne le pouvoir absolu, un pouvoir divin ? Sa seule quête véritable et il succombera à sa passion dévorante. Incapable de reconnaître le véritable et simple amour de sa femme et de s’y abandonner.
Un très beau livre, révoltant sur le fond, très bien documenté sur cette période de rêves insatiables et extrêmes. On le referme avec respect.
Deashelle - Tervuren - 16 ans - 28 avril 2011 |