Prises de tête pour un autre monde
de Philippe Corcuff

critiqué par Bolcho, le 1 janvier 2008
(Bruxelles - 76 ans)


La note:  étoiles
"(...) préserver une tension utopique (...)
L'auteur est sociologue, membre d'ATTAC et chroniqueur à Charlie Hebdo.
Ce livre est précisément un choix de quelques-unes de ces chroniques et d'autres parues au Monde et à Libération par exemple. Regards sur l'actualité et prises de position d'un membre de la gauche radicale.
Ce que je vais en dire ci-après n'intéressera que ceux qui se reconnaissent – au moins partiellement – dans les choix de Corcuff.

Sur la philosophie du complot : « "(...) quoi de plus naturel dans un monde favorisant l'ego, en particulier au sein des professions à la pente narcissique prononcée (journalistes, intellectuels, hommes politiques, patrons, etc), que de donner une telle place à la conspiration, c'est-à-dire au primat de l'intention individuelle, dans l'explication du cours des choses ? Plus que le libéralisme économique, le complot est une 'idéologie dominante' parmi les élites (...)".
Cela m'a paru très juste. Cessons de faire croire aux gens que les individus – même les plus puissants et malfaisants – tiennent le monde.

A propos du désert de la pensée qu'est devenu la France (et le monde riche en général) : "L'espace politique ne serait plus séparé en deux gros morceaux mais en trois de tailles inégales : l'extrême-droite menaçante / le social-libéralisme hégémonique / la gauche radicale naissante. Les proximités (et non la stricte identité) entre les politiques menées par Mitterrand / Jospin Chirac / Juppé / Raffarin alimenteraient le coeur de la vie politique autour d'une adaptation 'social-libérale' à la mondialisation capitaliste (...)". Le parti socialiste français s'est résolument rangé dans le même camp que celui du président actuel. C'est vrai dans les autres pays également.

Sur la nécessité de l'utopie : "(...) on ne peut pas imaginer faire bouger significativement la société par l'action politique si on n'a pas en tête un au-delà radicalement différent de l'ordre établi, quelque chose comme l'intuition qu'une autre société est possible. Arrachons-nous, au moins mentalement, aux évidences de l'ici et du maintenant !". Les socialistes français font du social-libéralisme, de la « démocratie de marché ». Chez Jaurès, les réformes se nourrissaient de la possibilité d'une autre société. Un monde qui n'a plus d'utopie n'a plus d'espoir et plus de direction : il est entièrement capté les tristes faiseurs de fric.

Corcuff indique quelques axes possibles :
la perspective d'une autre répartition des richesses devrait dépasser la seule inégalité économique : inégalité hommes/femmes, ressources culturelles et scolaires, dimensions symboliques (possibilités d'accès à la dignité et à la reconnaissance), capacités d'intervention politique, qualité de l'environnement et de l'alimentation, etc;
- la thématique de la justice sociale devrait répondre aux défis de l'individualisme contemporain (en l'intégrant);
- prise en compte de la diversification du salariat (au-delà de la seule question ouvrière);
- intégration d'un mouvement social issu de l'immigration;
- contre les replis nationalistes, l'internationalisme dans le sillage des mouvements altermondialistes;
- considérer le traitement de la délinquance comme "un des sous-points de la question sociale".

Je voudrais relever aussi ceci qui me paraît d'une importance énorme et qui va devoir mobiliser de gros efforts créatifs : sur le plan du message qu'elle diffuse autour d'elle, la gauche radicale ne met pas assez en avant les aspects positifs de la nouvelle civilisation à construire : "Au nom de quoi, critiquons-nous le monde tel qu'il va ? Quel autre type de société sommes-nous capables d'imaginer pour succéder à ce que nous condamnons ? Que pourrait-être L'An 01 de Gébé aujourd'hui ? Vibrons-nous de l'utopie d'un autre monde ou sommes-nous simplement porteurs de l'énergie bilieuse du ressentiment ? ".
Sans oublier que le libéralisme nous piège par ses présupposés anthropologiques (les hommes seraient mus avant tout par l'intérêt).

Allez, bonne année à tout le monde.
Et, comme le disait Merleau-Ponty (cité par Corcuff) : Rester fidèle à ce qu'on fut, tout reprendre par le début, chacune des deux tâches est immense ».