Transgression de Uzma Aslam Khan
( Trespassing)
Catégorie(s) : Littérature => Asiatique
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Au pays des purs
On l’appelait le « pays des purs ». Après une naissance dans la violence où l’intolérance eut sa part, ce pays a survécu de régimes démocratiques mais corrompus en dictatures militaires, encore empreint d’un passé colonial, où l’alliance étroite avec les Etats-Unis n’est pas exclusive d’un Islam, religion d’Etat. C’est en dire les contradictions, les révoltes, les répressions, le chaos qui ne troublent pourtant pas les traditions familiales ou claniques dont les codes se perpétuent de génération en génération, faisant de la famille et de ses rites l’élément dominant et oppressant face à un désir plus personnel d’affirmation de soi.
La résignation, la soumission l’emportent sur l’individualisme, fût-ce au prix de l’étouffement.
C’est un pays décrit par un de ses généraux comme « le préservatif dont se servent les Etats-Unis pour pénétrer l’Afghanistan » ou le choix, selon un des personnages du roman, n’est qu’entre rejoindre le camp des brutes ou rester des mendiants. C’est une société où l’ignorance conduit à la dépendance et la dépendance à l’apathie. « Tu n’as pas idée de la férocité de la société quand on la défie » dit Riffat à sa fille et elle en sait quelque chose. Dans ce pays, « où l’on juge de la valeur d’une femme à sa réputation, la conscience de soi est un réflexe de survie ». Et la transgression une nécessité, malgré ce qu’il peut en coûter.
Ce pays s’appelle le Pakistan qu’à travers le destin de cinq personnages Uzma Aslam Khan nous raconte en un roman tout à fait exceptionnel. Exceptionnel parce qu’il a été écrit par une jeune femme de trente ans avec une maturité, un art du récit, une subtilité, une densité absolument remarquables. Exceptionnel parce que ce livre est celui d’une femme qui écrit sans tabou, donc dangereusement. Exceptionnel aussi par la vision intérieure qu’il nous livre, celui d’un pays doté de l’arme nucléaire qui est crucial pour l’équilibre mondial au moment où l’assassinat de « la fille de l’Orient », comme on y appelait Bénazir Bhutto, le rend encore plus fragile et vulnérable tant aux pressions américaines qu’aux menaces terroristes.
Ce roman magistral met en scène, ou plutôt en opposition, deux femmes dans les années quatre-vingt, quatre-vingt dix.
Riffat, issue de la bourgeoisie, a fait ses études en Angleterre avant d’épouser un homme choisi par sa famille ainsi que le veut la tradition et qui sera plus un associé qu’un amant. Mère de trois enfants, elle refuse de se contenter d’une vie domestique effacée. Entreprenante, elle crée une affaire de soierie à laquelle, entre plants de mûriers et écheveaux de soie, elle donne toute sa mesure et s’affirme encore davantage après le meurtre de son mari. Elle souhaite que sa fille Dia profite de cette indépendance acquise contre bien des préjugés en faisant un mariage d’amour et non de convenance familiale. Mais c’est pour l’instant le cadet des soucis de cette jeune fille, cheveux raides et yeux noisette, facétieuse et rêveuse qui adore, surtout depuis la disparition de son père, arrêter le temps et imaginer ce qui se serait passé si…
Anu est, elle, une Pakistanaise beaucoup plus traditionnelle, fière de la pureté de son sang qui lui a donné « beau teint clair et joues roses ». Mariée à seize ans à un médecin qu’elle n’a pas choisi, elle va inéluctablement s’enfermer dans l’univers de sa maison, humiliée par un mari qui la rejette. Elle n’a qu’un fils, Daanish, qui étudie le journalisme aux Etats-Unis où il découvre, pendant la guerre du Golfe de 1991, comment le Pentagone instrumentalise les journaux, convaincu qu’une guerre se gagne aujourd’hui autant par les communiqués de presse que par les armes. Khan qui a étudié et enseigné aux USA fait une analyse factuelle et très critique du modèle démocratique américain. « Ni le Pakistan, ni les Etats Unis ne sont l’endroit idéal pour étudier une presse libre et équitable. Au Pakistan, on court le risque de se briser le cou. Aux Etats-Unis, l’esprit ». Les évènements en Irak, survenus après l’écriture de son livre lui donneront hélas raison.
La mort de son père rappelle Daanish à Karachi pour quelques semaines ce qui est, pour lui, un moment de vérité car ainsi que le lui suggère un ami « retourner chez toi va t’obliger à affronter le fait que tu as changé. Ne te conduis pas en étranger ». Bien vite Daanish qui se sentait mal à l’aise en Amérique dont il découvre la face cachée avant de ressentir un racisme latent envers « l’arabe » va se sentir étouffé par une société corsetée, symbolisée par sa mère qui fait pression sur lui pour lui faire épouser la belle Nissrine, amie de Dia.
Le cinquième personnage, Salaamat, jouera, comme dans les tragédies grecques, le rôle du destin, ce « destin qu’on peut retarder mais pas changer ».
Je vous laisse découvrir la suite de l’histoire qui est passionnante, extrêmement bien contée malgré quelques longueurs, qui tisse les liens entre passé et présent, comme ces fils de soie qui sous tendent le récit.
Plus qu’un roman sur la société pakistanaise ce livre est le roman du Pakistan où « les anciens veulent étouffer tout ce qui est susceptible de faire avancer le pays », où une femme ne peut se promener seule sans avoir sur elle « des yeux qui se gavent », où la corruption gangrène toutes les couches de la société, et particulièrement les plus faibles, où des factions armées créent le désordre au nom d’un idéal de pacotille qui cache mal une violence aveugle, où le chaos est quotidien entre grèves, coupures d’eau, pollution, où enfin les traditions de soumission des femmes sont toutes-puissantes et conduisent à la résignation sauf à transgresser rites et codes, mais à quels risques ? C’est ce qu’a fait l’auteur pour qui, comme l’écrit son excellente traductrice, « la littérature est le seul refuge du droit à la parole, le lieu même de la transgression ». Et le livre devient une chrysalide qui s’ouvre.
Ce roman dur et tendre à la fois, d’une sensualité à fleur de mots, où la chaleur humaine court tout au long des pages, ne se quitte pas facilement. On voudrait prolonger l’histoire, faire comme Dia, « Et si… » C’est là le secret des romans réussis qui, imperceptiblement, vous changent en vous ouvrant des horizons nouveaux, vous apportant un autre regard parce que le regard est un choix comme le rappelle Uzma Aslam Khan qui cite en exergue de son roman John Berger. Ce regard est aussi une transgression quand il est pur et non obscène, courageux et non résigné, innocent et non hypocrite.
A l’inverse de bien des écrivains pakistanais qui se sont exilés, Uzma Aslam Khan vit toujours au Pakistan.
Inch’allah.
Les éditions
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Transgression [Texte imprimé], roman Uzma Aslam Khan traduit de l'anglais (Pakistan) par Marie-Odile Probst
de Khan, Uzma Aslam Probst-Gledhill, Marie-Odile (Traducteur)
Editions Philippe Picquier / Picquier poche (Arles)
ISBN : 9782877309295 ; 2,88 € ; 22/02/2007 ; 650 p. ; Poche
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Le roman du Pakistan
Critique de Blue Boy (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans) - 10 juin 2009
Mais avant tout, « Transgression » est un livre de résistance, sur plusieurs fronts. Celle d’une féministe contre la tradition séculaire et patriarcale… Celle d’un étudiant en médecine exilé se heurtant aux préjugés néfastes, souvent inconscients, des Occidentaux…. Celle, citoyenne, contre un Etat autoritaire, corrompu et peu disposé à améliorer les conditions de vie d’un peuple lui-même déchiré par les préjugés…
Le titre résume bien le propos général du livre et j’imagine que la jeune femme a dû faire preuve d’une certaine audace pour publier cet ouvrage dans un pays comme le Pakistan. J’espère simplement qu’elle n’aura pas un jour à fuir son pays en raison de ses écrits. En tous cas, une œuvre indispensable pour comprendre un pays dont le mode de vie paraît parfois si éloigné du nôtre.
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La société pakistanaise vue par Uzma Aslam Khan | 1 | Aria | 16 janvier 2008 @ 01:47 |