Comment devenir un monstre
de Jean Barbe

critiqué par Aaro-Benjamin G., le 14 janvier 2008
(Montréal - 55 ans)


La note:  étoiles
La folie de l’homme ordinaire
À chaque année au Québec, un livre ressort du lot. En 2005, le choyé – lire celui qui a raflé les prix majeurs - est né de la plume d’un journaliste culturel des plus incisifs. «J'me fous pas mal des critiques, ce sont des ratés sympathiques…» chantait Charlebois. Pas vraiment, finalement. Mais bon, Jean Barbe est peut-être l’exception qui confirme la règle…

Dans son deuxième effort un avocat blasé abandonne sa petite famille pour aller défendre un criminel de guerre notoire, Viktor Rosh – Le Monstre, dans un pays non nommé des Balkans. Le principal accusé, emprisonné dans son mutisme, force son sauveur à entamer une enquête presque « policière » afin de comprendre ce qui s’est passé. Grâce à une narration en parallèle, le Monstre se révèle, nous racontant sa transition sinistre de chef cuisinier à milicien sanguinaire.

Le ton est donné dès la première page. « La guerre, c’est horriblement bruyant. On ne s’entend plus penser. » Voilà, comment Rosh explique sa démence. Tout au long du bouquin, le jeu de l’identification des bourreaux et des victimes fonctionne dans sa pernicieuse intention de brouiller les pistes. On nous entraîne dans les coins sombres de l’âme humaine, pousse à la réflexion et nous nourrit des justifications de la violence. Mais, détrompez-vous. Il s’agit bien d’un roman et pas un essai. Même si le sujet est lourd, c’est parfaitement digeste.

Les deux voix - celle du confort de la vie civile soucieuse d’une justice impossible et celle du chaos de la guerre civile, coincée en mode réactionnaire – sont exploitées avec une efficacité redoutable. Tout est dosé afin de maintenir l’intérêt car l’auteur maîtrise la mécanique romanesque à défaut de nous offrir des réponses aux questions qui sont soulevées.

Si la progression du récit est captivante, il est dommage que les personnages n’aient pas été assez nuancés pour les humaniser. De même, Barbe ne fait pas confiance à l’intelligence de son lecteur. Il souligne les évidences, ne laisse rien au hasard, impose sa vision, parsème de clichés et refuse de laisser marcher son bébé tout seul. De solides reproches. Pas assez pour estomper cette impression persistante d’avoir lu une fascinante allégorie politique.
Les Tueurs patentés 8 étoiles

Jean Barbe tisse le tableau de la guerre civile à travers Viktor Rosh, un cuisinier au service des bûcherons d'une scierie. Hypnotisé par un chef syndical, il participe à sa façon aux opérations des rebelles visant le triomphe de la Cause à la pointe du fusil.

Les circonstances inoculent le vaccin de la haine pour que le héros et ses frères d'armes se métamorphosent en machines à tuer sans que rien ne les prédispose à tenir ce rôle. Pour calmer l’opinion internationale après les affrontements, le camp victorieux confie à un avocat étranger la défense de Viktor, qui s’était acoquiné avec les perdants. Devant son mutisme, Me Chevalier, venu de Montréal, entreprend des recherches pour tracer le portrait de cet homme mué en loup pour l’homme.

Ce roman exploite l'allégorie de la belligérance comme mise en garde contre la contrefaçon humaine. Fidèle à sa devise, Jean Barbe prône l’amour d’autrui comme moyen d’éviter un manichéisme qui crée ses tueurs patentés pour combattre le soi-disant mal. Ce beau roman prend l'allure d'une quête humanitaire à l’intérieur d'une enquête judiciaire afin que l’on découvre les mécanismes qui manipulent l'instinct de mort tapi au fond des cœurs.

Libris québécis - Montréal - 82 ans - 24 février 2013