Le conseiller du roi
de Armel Job

critiqué par Jean Meurtrier, le 20 février 2008
(Tilff - 49 ans)


La note:  étoiles
Ne regardez pas le renard qui trépasse…
Eté 1950. Les temps sont durs pour Henri Gansberg van der Noot, le conseiller du roi Léopold III de Belgique. Il y a d’abord la fameuse question royale qui divise le pays. Durant la guerre, le souverain s’est marié avec Liliane Baels, roturière promue princesse de Réthy, alors qu’il était officiellement tenu à résidence par les Allemands. La Wallonie dont les prisonniers de guerre n’ont été relâchés qu’en fin de conflit (contrairement aux flamands, de culture germanique) a mal digéré ce qu’elle considère comme un affront. Les manifestations à l’encontre du roi sont de plus en plus nombreuses et violentes, malgré un référendum à 57% en faveur de son retour d’exil en Suisse.
La vie privée du conseiller connaît également bien des tourments avec Aline Grosjean, la fille du garde-chasse, qu’il a engrossée malgré lui dans sa gentilhommière de Barzée, un village des Ardennes belges. Sa bonne conscience est coincée entre la volonté de tout raconter à sa femme Martha et la peur des dégâts potentiels d’une telle révélation dans l’entourage d’un roi déjà fragilisé.
Enfin, il y a ce dramatique accident qui le torture profondément. Dernièrement, Aline était la cible d’insultes anonymes mettant sa situation en parallèle avec celle de la nouvelle princesse. Le soir de la naissance de son fils adultérin, le conseiller tente d’attraper un intrus dans le parc, convaincu de tenir l’auteur de ces méfaits. La poursuite se termine par une chute mortelle du haut du muret de l’enceinte. La victime n’est autre que Lambert Renard, un antiroyaliste acharné du village voisin qui revenait d’une manifestation à Liège.
Devant conduire Aline à l’hôpital pour l’accouchement, le conseiller demande à son jardinier Julien de prévenir la gendarmerie. Mais après réflexion, Julien décide de changer ses plans.
Armel Job est un formidable raconteur. Sur un ton d’égale justesse, il manie l’humour avec légèreté, retenue et fausse naïveté. Son esprit vif nous dispense nombre d’expressions piquantes, issues de son sens de l’observation particulièrement aiguisé. En ce sens, il me rappelle Xavier Hanotte, en plus désinvolte.
Le conseiller et son entourage rural forment un tissu humain riche et attachant qui oppose la sagesse paysanne à l’empressement progressiste citadin. De prime abord, chaque intervenant apparaît assez commun. Mais l’auteur creuse sans cesse dans le passé des individus pour les rendre au bout du compte moins anodins qu’escompté. De révélation en révélation, la situation initialement simple tend à enfler sans réellement évoluer, d’autant que chacun y va de sa petite interprétation des faits généralement basée sur des malentendus. Dommage que ce roman dont l’histoire reste longtemps indécise (au point de se demander à quel genre il appartient) se termine sur ses acquis, en roue libre et de façon assez prévisible.
Inutile de regarder sur une carte. Malgré leurs sonorités ardennaises, Malvaux, Rochebeau et Barzée n’existent pas, contrairement aux autres toponymes évoqués, comme l’Ourthe, Liège ou Marche-en-Famenne par exemple. Mais sachant que l’auteur est originaire de Heyd, il est tentant de faire le parallèle entre Barvaux-sur-Ourthe et Malvaux (également sur l’Ourthe dans le récit). Rochebeau s’apparenterait alors à Roche-à-Frêne et Barzée serait un mélange de Harzé, Borzée et Warzée.
A titre personnel, j’ai pris énormément de plaisir à évoluer dans une région que je parcours régulièrement à vélo. Armel Job nous gratifie également d’une courte visite guidée de Liège, dont il souligne «l’accent chaloupé» des habitants. Cette formule croustillante illustre à merveille le bel hommage rendu par l’auteur à sa région.
La question royale dans le miroir 9 étoiles

Ce premier roman significatif qui a sans doute lancé la carrière d’Armel Job et que j’avais déjà lu il y a quelque temps, démontre que cet esthète de la langue française maîtrisait déjà à la perfection la trame d’un récit admirablement construit.

S’accrochant à l’épisode dramatique pour la Belgique que fut la question royale, l’auteur nous narre un récit évoquant un personnage de fiction qui gravite dans les hautes sphères et qui va vivre presqu’en miroir ce qui est arrivé à Léopold III.

Le Conseiller du Roi est dépeint, malgré son rang et sa position, sous l’image d’un homme faible. Sans évoquer le scénario, il apparaît naïf, incapable de réagir adéquatement, et dont le vernis s’écaille face à ce qu’il lui arrive. Un personnage du roman s’étonne qu’un homme ayant lui-même besoin d’autant de soutien, est censé lui-même conseiller le chef de l’Etat.

Le but est-il de démystifier ces grands serviteurs de l’Etat qui sont parfois plus dans le paraître que dans l’efficacité ? C’est une possibilité, même s’il est certain qu’Armel Job reste avant tout un homme qui préfère glorifier les héros ordinaires.

Si j’ai parfois furtivement décroché à certains moments, lorsque par exemple l’auteur s’égare sur des anecdotes de personnages secondaires, le roman est construit suivant un schéma habituel de l’écrivain ardennais.

Le lecteur est tenu en haleine et les rebondissements se succèdent dans une logique imparable, à laquelle se joint une chute crédible et qui se fond dans le présent ouvrage avec le contexte général historique de l’époque.

Sans conteste, un roman marquant d’un auteur majeur de la littérature belge francophone.

Pacmann - Tamise - 59 ans - 25 décembre 2021


Un p'tit bémol 7 étoiles

Belgique, 1950. Nous sommes dans une période trouble, que l’on qualifiera plus tard sous le vocable de l’Affaire Royale, à savoir qu’une partie importante de la population belge reprochait au roi Léopold III son attitude ambiguë durant la guerre 40-45 puis, cerise sur le gâteau, son remariage avec une roturière. Gamsber van der Noot, le conseiller du roi, occupe très souvent sa maison de campagne dans un village de l’Ardenne luxembourgeoise. Tout comme le roi, il est dans la tourmente et essaie d’éviter le pire au souverain. Lors d’une partie de van de Noot est blessé. Aline, la fille du garde-chasse, qui suit des études d’infirmière, décide de la soigner. Et ce qui devait arriver, arriva et plus, fâcheux, cela se solde par la venue d’un enfant. Un mystérieux personnage peint sur les murs de la propriété du conseiller : Aline + Liliane = salopes ( Liliane étant le prénom de la nouvelle épouse du roi). Tout cela se soldera par un meurtre …

Moi qui suis un fan de l’écriture d’Armel Job, j’ai nettement moins accroché à ce livre. Il faut préciser que je fus quelque peu distrait et que cette affaire royale a le don de m’énerver.
Je me réjouis de lire à nouveau un roman de monsieur Job. A suivre …

Extrait :

- La forêt, comme les églises, réclame le silence. Cela ne s’explique qu’aux imbéciles.

Catinus - Liège - 73 ans - 29 juin 2019


Devons-nous être fiers du compromis à la belge? 8 étoiles

« Le texte qu'on va lire n'a aucune prétention à l'histoire ni même au roman historique » . Le cadre de l’histoire est bien l’état de crise dans laquelle se trouvait la Belgique pendant l’été 1950 au moment de l’abdication du roi Léopold. Une Belgique divisée, où les Flamands approuvaient la dynastie royale et les Wallons rêvaient de république.

Le conseiller du roi, un certain Henri Gansberg Van der Noot au nom flamand et aux attaches wallonnes est un personnage fictif qui vit une crise personnelle à la mesure de celle qui secoue le pays, entre Ardenne profonde et Bruxelles la fière. Divisé par deux, il se plonge une passion adultère pour une jeune femme qui se retrouve enceinte copiant ainsi la passion du roi Léopold pour Liliane, princesse honnie. Cadeau judéo-chrétien : le voilà qui sombre dans de multiples culpabilités qui finissent par oblitérer son sens commun. Son besoin d’expier le conduit tout doucement sur l’autel du sacrifice. Victime expiatoire qui arrange d’ailleurs bien les affaires de tout le monde. Règne de l’hypocrisie, sur un humus de mauvaise foi et de défiance, vive la Belgique ! Appel aux bonnes vielles compromissions dérivées du sacro-saint compromis pour estomper les clivages ? Faut-il en être fier ? Le ver est dans la pomme !

D'une écriture croquante, ce roman est une mosaïque de scènes bourgeoises ou campagnardes prises sur le vif par une plume leste et narquoise. C’est aussi un roman aux allures de policier mais en fait, on ne cesse de vagabonder entre les vérités personnelles des différents personnages qui toutes, semblent plus fondées les unes que les autres. Et rien ne concorde : voici l’orchestration d’une belle cacophonie. Les pistes et les indices facétieux que nous livre l’auteur sont autant d’impasses. Il semble encore une fois qu’Armel Job adore mystifier le lecteur. Ses femmes sont augustes : admirablement campées elles tiennent le lecteur en haleine… et les hommes sont leurs victimes involontaires.

Deashelle - Tervuren - 15 ans - 16 juillet 2011