Vodou, je me souviens de Jean Fils-Aimé
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Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Spiritualités
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Fils-Aimé inutile,Fils-Aimé incertain
Les analyses,très éclairantes du docteur Jean Fils-Aimé ,appellent des observations critiques et plusieurs questionnements.
Défend l’idée de la possibilité et/ou de la nécessité d’articuler un devenir-vaudou de l’évangile et un devenir-évangile du vaudou. On peut réduire l’évangile à un noyau qui désamorcerait ses velléités culturelles hégémoniques. Parallèlement ,le vaudou haïtien dispose déjà de croyances et de pratiques similaires ou semblables à l’évangile .Si je comprends bien, il y a un évangile vaudouisable pour le vaudouisant et un vaudou christianisable pour le chrétien. Ma question :si cette transformation résulte de l’identité des termes compris alors l’évangile n’apporterait rien au vaudou ni le vaudou à l’évangile;si elle résulte d’une interprétation alors Fils-Aimé doit nommer le lieu (transcendant par rapport au vaudou et à l’évangile) d’où une telle interprétation tient son fondement. Dans le premier cas, il n’y a pas vraiment de fusion, mais dédoublement, répétition, excroissance;dans le second il y a un risque de nivellement ,de corruption, d’altération posée par la violence d’un tiers(le vaudou fusionné pourrait ne rien garder du vaudou véritable;de même que l’évangile).Dans le premier cas il n’y a pas fusion, dans le deuxième cas il y a fusion mais problème quant à(l’identité de) ce qu’on a fusionné.
Comment rendre compte de cette antinomie ?Pourquoi le projet d’un devenir-vaudou de l’évangile et d’un devenir-évangile du vaudou butte t-il sur cette difficulté?
1)Fils-Aimé(comme tout penseur engagé dans une démarche dialectique)doit s’opposer à toute définition essentialiste tant du vaudou que de l’évangile. Ainsi à la question « qu’est-ce que le vaudou haïtien »la seule réponse qui lui soit permise(à la suite de Caron, Fontus …)c’est « le ciment de la culture haïtienne ».Il ne lui est pas possible d’élaborer une définition plus précise;de circonscrire le vaudou dans un concept plus restrictif. Il doit le garder ouvert à toute détermination, disponible pour toute rencontre ultérieure. Même chose pour l’évangile. Au-delà d’un vague « mort et résurrection de Jésus-Christ »aucune précision quant à la nature de l’évangile. L’entreprise dialectique ne lui laisse guère le choix :s’il veut procéder à une rencontre des deux il doit laisser l’un comme l’autre ouvert, indéterminé, disponible. Mais cela revient à dire aussi les garder comme des ombres fugitives, des squelettes sans vie, des fantômes irréels. Autrement dit, ce qu’il peut gagner dans la dialectique (s’il la réussit)il le perd dans l’analytique :son vaudou-évangile sera d’autant plus net que son vaudou ou son évangile sera vague, étendu, expansif, confus presque. A cette nécessaire imprécision et confusion quant à la nature des termes de sa dialectique s’ajoute un second inconvénient tout aussi incontournable.
2)Fils-Aimé(de même que tout dialecticien)doit minimiser le rôle d’une instance tierce sans laquelle pourtant ce devenir vaudou de l’évangile ou ce devenir évangile du vaudou ne saurait advenir. Il mentionne timidement que ce sont les missionnés eux-mêmes qui décideront de la part de l’évangile capable d’être exportée à leur culture. Pas plus. Pourtant c’est déjà assez pour entrevoir ou la possibilité d’une fin de non recevoir culturelle au soit-disant « mort et résurrection de j-c »ou celle d’une méprise de ce noyau par les missionnés(méprise il faut le rappeler qui est finale et sans appel puisqu’il n’y a pas d’essence à priori de l’évangile). Le destin problématique des deux possibilités laisse soupçonner l’opération d’une « main invisible »qui agit à titre de police régulatrice et donne un coup de pouce à l’avènement de la synthèse. Fils-Aimé doit nommer cette police secrète sans laquelle il ne nous reste que la magie des lwas ou le saint-esprit pour concocter par enchantement ce Christ noir. Surtout que nous la soupçonnons d’être présente autant dans la décision originaire des missionnés que dans le maintien ultérieur des acquis de celle-ci. Donc minimisation des agents extérieurs au complexe vaudou-évangile par qui une telle synthèse peut advenir. Par conséquent troisième inconvénient structurel :
3)Le modèle missiologique de Fils-Aimé (et des adeptes de l’enculturation)est on ne peut plus improbable :le missionnaire présente l’évangile(i.e. la mort et résurrection du Christ)à l’autochtone, ce dernier regarde si celle-ci à une quelconque pertinence pour sa culture ,s’il peut répondre à l’affirmative alors il devra l’investir chrétiennement dans les paramètres qui sont ceux autorisés par sa culture. Imaginons un scénario pour illustrer les prétentions des enculturationnistes :le missionnaire proclame « Jésus est l’agneau de Dieu immolé pour les péchés du monde » ,le hic c’est que notre autochtone n’a jamais vu d’agneaux de toute sa vie. Selon les enculturationnistes, il devrait pouvoir remplacer « agneaux »par « porcs »ou tout autre objet connu de lui dont la fonction s’approcherait de la pratique sacrificatoire hébraïque. Évidemment le même exercice s’applique pour tout le reste de la phrase (« Dieu » « péchés » « monde »).Qu’en est-il d’une culture polythéiste ou paganiste(plusieurs dieux) qui ne connaît pas la notion de la faute et qui ne croit qu’en l’individu? Où va-t-elle trouver le sol pour « enculturer »l’évangile?Pourquoi est-ce si extravaguant de penser que certaines cultures sont tout simplement opaques à l’évangile?N’est-ce pas une pétition de principe de postuler que toute culture est capax evangelii .
Malgré toutes les protestations de l’école enculturationniste, elle semble toujours tributaire de ce parallélisme naïf qui faisait le lot des contextualistes et adaptionnistes culturels. Il suffirait de connaître le contenu d’une culture pour pouvoir traduire ou adapter celui-ci à une autre culture .Il est vrai que ceci peut aider une église à choisir des tam-tam plutôt que la lyre mais c’est complètement inutile pour décider au préalable s’il faut oui ou non avoir des instruments de musique dans la maison de Dieu .Autrement dit aussi longtemps que le passage en est un d’adaptation, il ne fait pas problème;à preuve les missionnaires n’ont fait que ça jusqu’ici;ce qui est moins certain c’est le message même, cette fameuse « mort et résurrection »elle-même. Peut-on la recevoir en dehors des cadres historiques de l’occident chrétien sans rien sacrifier de sa culture, sans rien renoncer à son outillage mental, sans rien soustraire à la tradition ancestrale, sans court-circuiter les traces de la mémoire collective?Une réponse à l’affirmative ne va pas de soi. Fils-Aimé peut pousser le message chrétien jusqu’à sa plus petite expression il en restera toujours quelque chose de culturé, et de culturant, d’irréductiblement hébraïque, d’opaque, qui ne passe pas de lui-même dans une autre culture sans un petit coup de pouce (du missionnaire ou du missionné).C’est cette violence qui n’est pas prise en compte par les tenants de l’enculturation. Il ne leur vient jamais à l’esprit que leur prétendue valorisation de la culture locale par le christianisme puisse ne pas aller plus loin qu’un vœu pieu ou une pétition de principe et que pour le reste, ils restent des adaptionnistes ou des contextualistes, i.e. des accommodateurs de la forme.
4) Ensuite, on peut demander à Fils-Aimé si la compatibilité du vaudou à l’évangile est la résultante de facteurs historiques ou si c’est une compatibilité originelle, anhistorique et principielle. Dans le premier cas le missionné est livré à lui-même ,il ne lui reste qu’à espérer que ses pratiques finiront un jour peut-être par libérer leurs propriétés émancipatrices, dans le second le vaudou devient en soi une pratique évangélique, plus on est vaudouisant plus on est chrétien!Fatalité de l’histoire d’un coté, fatalité du dogme de l’autre. Le missionné est offert soit aux forces aveugles du temps, soit à la bonne grâce des principes .Dans les deux cas il ne possède aucun critère qui lui soit propre lui permettant de juger par lui-même de la compatibilité de ses pratiques évangéliques d’avec sa culture. Son agir risque d’être paralysé devant le chaos infini des possibles ,pauvres jouets livrés à un principe aveugle ou une histoire fatale. Dans le premier cas on ne peut voir qu’après coup qu’une pratique évangélique était compatible avec le vaudou;dans le second toute pratique évangélique en vaut une autre, il ne fait même pas de sens de poser la question de la compatibilité du vaudou et de l’évangile, les deux étant présumés semblables ou identiques. Une autre formulation de la première alternative pourrait être la suivante :avant que le vaudou ait été un facteur de réveil de la conscience nationale le christianisme pouvait raisonnablement ne pas s’inquiéter des conséquences anti-vaudou de ses croyances et de ses pratiques mais depuis l’éveil de la mouvance indigéniste dans les consciences haïtiennes tout christianisme haïtien doit se préoccuper des incidences de l’évangile sur le vaudou. On pourrait reprocher à cette image du christianisme son opportunisme, son évolutivisme intéressé, bien d’autres choses encore, mais certainement pas sa cécité historique. Il est évident qu’il s’agirait là d’un christianisme bien implanté dans le devenir culturel de sa société. Je crois que Fils-Aimé serait déjà moins sévère avec le protestantisme haïtien actuel si ce dernier garantissait ce seuil minimal de proximité avec le vaudou et la culture en général. Ce qui ne veut pas dire pour autant que cette conception soit sans difficulté. Tout d’abord un tel déterminisme historique confine l’évangile à une position permanente de réaction à l’égard de la culture;le chrétien sera toujours à la traîne du vaudouisant; celui-là ne sera jamais l’instigateur d’aucun élan émancipateur dans sa société. S’il est vrai qu’il rejoindra le vaudouisant dans sa lutte identitaire après coup,le chrétien dans une telle conception de la première alternative ne pourra s’empêcher pour autant la juste étiquette d’opportuniste, et peut-être pire, d’homme de peu de conviction, de conformiste amorphe. Pourtant c’est ce conservatisme qui est de mise dans plusieurs milieux ecclésiastiques, et peut-être dans d’autres sphères sociales. Seul le travail du temps fait que plusieurs institutions rejoignent les transformations culturelles opérées seules par d’autres secteurs d’une société donnée. Au début un noyau infime peut se retrouver à l’avant-garde d’une nouvelle mouvance pour toute sorte de raison propre à lui. C’est seulement après, fort d’une pédagogie éprouvée dans le temps que cette transformation obtienne la bénédiction de la société entière. Il peut s’agir d’années mais il peut s’agir de siècles tout aussi. Cette pratique est courante donc. Ce qui est particulier à l’image du conservatisme de la première alternative c’est qu’il le pose comme intrinsèque à l’évangile, il devient un trait permanent de son être, son destin est d’être réactionnaire. Là s’arrête toute similarité avec les autres conservatismes. Il élève le conservatisme en dogme. Il revendique le statu quo
La leçon sent le réchauffé un peu.Le vaudou est depuis au moins Jean Price Mars connu comme le facteur de cohésion des masses haitiennes.Maintenant qu'il soit compatible avec les idées forces de l'évangile chrétienne le véritable vaudouisant n'en a rien à cirer.N'y aurait-il pas dans le livre de Fils-Aimé,en dépit des apparences contraires,une volonté inavouée de justification,d'apologétisme,un projet anachronique de ''défense et illustration''comme si le vaudou avait encore besoin de se mesurer aux exigences du christianisme pour accéder à une légitimité satisfaisante .La primauté du vaudou comme ''ciment de la culture haitienne''est un filon qui a été surexploité par les ethnologues il y a plus d'un demi-siècle.De là à en faire une religion officielle ou officieuse ça frise le ridicule ou le sensationalisme.Jean Fils-Aimé
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