Annie Ernaux
de Denis Fernández-Recatalá

critiqué par Shelton, le 24 mars 2008
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Une bien belle étude !
Est-il utile de lire les études sur un romancier ? La question n’est pas une interrogation nouvelle qui tomberait du ciel par hasard… Je me souviens que lors de mes études, y compris lors d’une phase très littéraire de ces dernières, nous, les étudiants, nous nous posions cette diabolique question, sous-entendu, nos professeurs devraient se taire et nous laisser lire en paix ! Mais voilà, les années passent et je découvre, livre après livre, l’intérêt de ces ouvrages qui viennent ponctuer, surligner, accentuer tout ce que j’avais, moi-même, découvert chez ces romanciers que j’aime – oui, les autres ne sont pas concernés par mes réflexions – et que je continue d’apprécier malgré les critiques et les exégètes…
D’ailleurs, critiques et exégètes ne sont pas semblables et appartiennent à deux catégories différentes. Les premiers devraient être, avant toute chose, des lecteurs qui ne sont là que pour faire partager des coups de gueule ou de cœur… Les experts, spécialistes et autres professeurs de littérature sont d’une autre nature. Ils connaissent les auteurs, surtout leurs écrits, et ne sont là que pour montrer et démontrer ce qu’ils apportent, ce qu’ils affirment, comment ils ont écrit, dans quelles lignées ils viennent se placer, ce qu’ils ont laissé à la postérité… Parfois, mais ce n’est pas une obligation, il leur arrive même de donner le goût de lire… là, on est en présence de grands professeurs, heureusement, pour moi, j’en ai connus deux : l’un m’a fait lire, tout simplement en m’initiant à Balzac, Poe, Corneille, Zola… l’autre m’a permis d’avoir confiance en mes choix, en mes goûts. C’est ce dernier qui m’a donné l’occasion de lire des auteurs inconnus, interdits, oubliés, atypiques… je ne peux que les remercier et ils sont toujours là dans ma mémoire…
C’est en pensant à ces deux hommes hors du commun que je pense quand je parle littérature, quand je lis des ouvrages de spécialistes, en particulier des biographies littéraires comme c’est le cas avec cet ouvrage sur Annie Ernaux une romancière contemporaine que j’apprécie beaucoup.
Comment classer Annie Ernaux ? C’est chose presque impossible ! D’ailleurs, faut-il toujours vouloir enfermer un auteur dans une boite en lui interdisant d’en sortir ? Annie Ernaux est l’auteure de la vie quotidienne… Comme c’est une femme, certains, trop rapidement, la cataloguent en écrivain féministe, en romancière de la femme… Erreur ! Mille fois erreur ! C’est un écrivain qui a choisi de s’occuper du sujet et ce sujet c’est elle. C’est par les hasards de la génétique que le sujet est une femme. Elle parle à l’Homme en général, en tant que genre humain, non en tant qu’être sexué… Ce qui ne l’empêche pas de parler sexe car ce dernier est bien présent dans sa vie, cette vie dont elle parle beaucoup puisque son sujet s’y meut…
Chaque texte d’Annie est comme une tragédie grecque, chaque personnage, elle, son père ou sa mère, son mari ou son amant du moment, est là comme coincé dans sa destinée, héros de la vie, une vie ordinaire mais transcendée par les mots…
C’est en 1974 que notre Annie Ernaux a fait paraître son premier roman, « Les armoires vides ». Dès cette première parution, la question est posée : est-ce un roman, un livre de souvenir, la réalité romancée ? Ce qui est certain, c’est que le souvenir est déjà là, « On se souvient », et que cette vie qui passe est certainement une angoisse d’Annie Ernaux. La vie passe, il ne reste pas grand-chose de notre passage, demain nous ne serons plus là et qui pensera encore à nous ? « Ce qu’ils en disent ou rien », en 1977, vient confirmer cette vision du monde, le sommeil étant aussi comme une mort, un instant où l’on oublie… Dans ce deuxième roman, on constate qu’Annie s’identifie de plus en plus à son héroïne, Anne. Cela deviendra de plus en plus fort jusqu’au moment où l’on saura de façon certaine que le sujet, le personnage, l’auteure ne font qu’une seule comme dans « L’usage de la photo », texte de 2005, pas encore abordé dans cette biographie littéraire de 1994.
Annie Ernaux consacrera les deux ouvrages suivants à la mémoire de son père (« La place » en 1983) et à sa mère (« Une femme » en 1987). Le doute n’est plus possible pour la façon de se positionner de cette romancière qui parle de sa vie pour toucher tous les êtres, pas seulement les femmes, car qui n’a jamais tenté de comprendre qui était son père ou sa mère pour lui au moment d’une séparation cruelle et soudaine (même quand la maladie travaillait depuis longtemps dans l’ombre ou dans la lumière) ? Ce sont d’ailleurs ces deux derniers ouvrages qui ont, du moins à mon avis, fait connaître cette normande exilée en banlieue parisienne. « La place » a obtenu, d’une façon très pertinente et méritée, le prix Renaudot 1984.
Les deux derniers ouvrages abordés dans cette étude de Denis Fernandez-Recatala sont « Passion simple » (1991) et « Journal du dehors » (1993) qui relève presque du journal intime, du livre de souvenir ou de l’introspection… Mais laissons notre spécialiste vous dire ce qu’il pense de cette romancière :
« Au fil de ses livres, Annie Ernaux semble s’être refusée aux artifices. Le roman lui est apparu comme une somme périmée. Une forme s’est imposée qui, temporairement, l’a conduite à colliger des fragments appuyés à des silences, autrement dit des soupirs… »
Depuis elle a continué dans la même voie et je peux dire que pour moi elle est devenue la grande romancière de la vie quotidienne et elle nous raconte des histoires dont on ne sait plus si ce sont des extraits de la sienne ou de la notre…
Ce livre est à lire par tous ceux qui aiment Annie Ernaux, quant aux autres prenez le temps de lire ou relire « La place » ou « Une femme » qui restent les deux plus grands, les meilleurs, les plus représentatifs de ce qu’Annie est capable de nous offrir, nous apporter… Quant aux autres textes je vous en parlerai le plus rapidement possible avec mes mots et la passion que j’ai pour ces ouvrages qui m’accompagnent depuis 1991, du jour où j’ai découvert « Passion simple ».
Bien que datant un peu, cette étude reste excellente et elle ouvre de nombreuses portes de réflexion et compréhension pour entrer dans l’œuvre d’Annie Ernaux.