Manière d'entrer dans un cercle & d'en sortir
de Pascale Petit

critiqué par Feint, le 25 mars 2008
( - 61 ans)


La note:  étoiles
« Une autre combinaison dont il revêtirait la reine… »
On n’a jamais vu ça. On n’a jamais lu ça. Ça s’appelle « Manière d’entrer dans un cercle et d’en sortir », et de fait, sans cesse on (j’) y retourne.

Un roi, « le roi », inventeur forcené et pathétique (c’est à lui qu’on doit « les baskets qui crient "encore" chaque fois qu’on s’arrête »), croit concevoir une fusée pour aller dans l’espace – là où le coiffeur ne voit qu’un jouet dérisoire, « tricycle » ou « socle-culbuto » destiné à rouler en rond dans un amphithéâtre,
tandis que la reine, enfermée dans les combinaisons spatiales successives inventées par le roi, rêve d’amour et d’enfants impossibles.
Le coiffeur, sollicité par le roi pour le remplacer dans sa tâche
(plus assidu à sa tâche que le roi lui-même sans doute ne l’imagine :
« J’ai vu le coiffeur qui mettait en cachette les vêtements du roi. Et je l’ai vu s’asseoir à sa place. Très lentement, comme le roi, il a enfilé cérémonieusement ses gants blanc vénitien. Et comme lui, il a embrassé longuement la combinaison qu’il tenait appuyée contre le mur. » (Journal de la reine)),
le coiffeur, disais-je, n’a d’yeux que pour la reine ; chaque jour il se dit :

« Un jour j’écrirai une lettre d’amour et je trouverai le moyen qu’elle la lise ».

Le livre se fait d’entremêlements d’extraits des journaux ou des lettres des trois protagonistes, qui se font écho sans se répondre ; que viennent ponctuer les descriptions rituelles de jardins oniriques et les ordonnances officielles du roi, numérotées et bilingues, où celui-ci parfois s’oublie à lâcher un « I will love you Saturday night ? » Car ce livre très étrange et très beau, où apparaît comme en miniature une image rêvée de notre propre monde, labyrinthe de désirs parallèles ou contradictoires, est aussi une histoire d’amour, forcément impossible, à moins qu’au contraire…

Un extrait :
« Lettre du roi à la reine

23 juin

Toutes les raisons que nous avions d’être tristes sur Terre deviendront des raisons d’être heureux en l’air. Par exemple, vous donner enfin rendez-vous tous les jours autour de la Terre & nous coucher la nuit dans les grands champs d’étoiles & nous souvenir un jour de notre premier voyage, en allant revoir notre première étoile de la Terre (notre premier souvenir) & reparler ensemble de l’émotion du vol & des champignons d’orage & regarder des photos-montages-souvenirs de nous dans l’infrarouge lointain (les agrandissements de nous en tout petit sur la Lune). Te souviens-tu du jour où je te montrai pour la première fois les dessins de mon idée de fusée à sept étages ? & du croquis du nouveau scaphandre couleur sable-caméléon & bleu très ciel dont je rêvais de te revêtir ? Te souviens-tu de notre jeu ? « Au premier qui reconnaît les constellations. » Te souviens-tu de mes idées d’exploration de nouvelles planètes & de nos promenades de découverte? Des belles galaxies spirales dans les beaux amas lointains? Des marées & des raccourcis galactiques à des milliers d’années-lumière ? & des cent trente-cinq kilos de Lune que je promettais de te rapporter un jour en petits cailloux ? Sur la Lune, les traces de pas ne s’effacent pas avant des milliers d’années.

Encore une fois, voulez-vous être ma collaboratrice dans l’espace & ma femme sur Terre ? (Once more, do you want to be my fellow-worker in the space & my wife on Earth ?) »


A noter – une idée originale de cette collection, dirigée par François Bon au Seuil : chaque texte est suivi d’une postface de la main même de l’auteur, qui éclaire d’un jour personnel sa démarche. Celle de Pascale Petit, intitulée « Une sorte d’opération à petit budget », est placée sous le patronage de Borges, d’Antoine Volodine et de Philip K. Dick.