Lettres de Londres (choix) - Lettres from London (Letters)
de Julian Barnes

critiqué par Chouyo, le 27 mars 2008
( - 44 ans)


La note:  étoiles
La suave ironie de Julian Barnes.
Julian Barnes est sans doute un des plus francophiles des écrivains anglais et le plus british de tous les écrivains britanniques à la fois...
Ses romans ("Love etc." et "Dix ans après" sur trois amis et leur ménage à trois affectif, "England, England" sur la "touristisation"...) comme ses nouvelles s'accompagnent de cette distance ironique quant aux détails du quotidien, ce regard sans concession pour les efforts pour se masquer, se travestir et cela fait un bien fou d'avoir enfin une distance critique réelle en ce bas monde... Quant à son amour pour la France, il n'est jamais inconditionnel, il est donc réel : pour nos travers et nos qualités, il aime les Français ; pour ses beautés et ses turpitudes, il aime la France. "Outre-Manche" est ainsi un recueil tout à fait savoureux de nouvelles se déroulant en France, situations que l'on connaît par coeur et personnes que l'on rencontre tous les jours mais avec un Anglais au milieu qui ajoute la distance amusée mais toujours fraternelle du Britannique francophile (celle du TGV (la dernière) par exemple est un véritable bijou...).

Revenons au délicieux "Lettres de Londres". Le principe du livre est déjà très drôle puisque Barnes a été dans les années 1990 correspondant étranger du New Yorker... dans son propre pays ; à charge pour lui de faire comprendre aux Américains les spécificités de la vie britannique, politiques notamment. Et c'est un régal, stylistiquement parce que le regard est de nouveau distancé, celui d'un Londonien sur Londres, celui d'un Britannique sur les Britanniques (et notamment la famille royale qui en prend un peu, un tout petit peu, pour son grade !) ; un régal culturel aussi, puisqu'on y retrouve mention de tous les éléments so british dépeints avec une ironie mordante (les pelouses, les "lapins de jardin", les tabloïds, la presse dans son ensemble, Charles et Diana et Camilla...) ; un régal politique enfin, puisque c'est un écrivain clairement de gauche qui regarde progressivement refluer le thatchérisme, espérant que son pays souffle un peu, avant de voir revenir la vague tory du début des années 1990... Personne n'est épargné, Thatcher évidemment (il atteint parfois une couleur très Ken Loach et Mike Leigh pour cette période, sans le côté un peu répétitif ou parfois misérabiliste), Major, la reine...

Mais le plus impressionnant dans ce recueil est sans doute la description qu'il fait de l'actrice Glenda Jackson, candidate travailliste au Parlement dans une circonscription du nord de Londres... Plusieurs choses frappent le lecteur français de 2007, la politisation massive du décor ("même le steeple-chase Grand National fut remporté par un cheval du nom de Party Politics"), le jeu politique ("les conservateurs et les travaillistes restèrent au coude à coude dans les sondages pendant toute la campagne, ce qui donnait aux libéraux démocrates une vraie chance pour se poser en arbitres") et surtout l'ambiance générale : "la procédure elle-même pour parvenir à ce résultat parut interminable" ; "pour l'électeur, c'était comme s'il se trouvait happé dans une relation profondément inopportune, aux tendances proprement sadomasochistes où se mêlaient dépendance et répugnance, et que seule la certitude que tout serait fini dans moins d'un mois rendait supportable" ("Votez Glenda, mai 1992", pp. 106).
Dans la politique, un autre sujet tient à coeur à l'auteur : l'Europe. Incompréhension face à des gouvernements et hommes politiques europhobes. Et de décrire les gesticulations de l'index thatchérien, les dénigrements majoriens et la germanophobie qui encore en 1992 dicte la politique européenne de la Grande-Bretagne.

Délicieux donc, tel un scone aux raisins au "tea time"...