Pedigree de Georges Simenon

Pedigree de Georges Simenon

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Jean Meurtrier, le 8 avril 2008 (Tilff, Inscrit le 19 janvier 2005, 49 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 295ème position).
Visites : 7 215 

Outremeuse, autre muse

A l’approche de la quarantaine, Georges Simenon apprend d’un radiologue qu’il est condamné et qu’il ne vivra guère plus de deux ans. Ignorant que le spécialiste se trompe lourdement, il décide d’écrire «Je me souviens», sa biographie à l’intention de Marc, son tout jeune fils. Afin de pouvoir le publier, André Gide lui suggère de la réécrire sous une forme romancée, où selon les termes de l’auteur «tout est vrai, mais rien n’est exact». C’est ainsi que Georges Simenon devient Roger Mamelin, fils de Désiré Mamelin (Désiré Simenon) et d’Elise Peters (Henriette Brüll). Plus surprenant: Christian, le frère cadet, n’est pas repris dans le récit.
«Pedigree» devait être composé de trois parties. A cause des procès dont il a été la cible à la suite de la parution du premier tome, Simenon décide de renoncer aux deux volumes suivants. C’est sans doute la raison pour laquelle les deux premiers tiers du roman sont principalement consacrés à ses parents, le petit Roger n’ayant qu’un rôle secondaire.
Elise Peters est la treizième et dernière d’une ancienne famille bourgeoise limbourgeoise d’origine hollando-prussienne qui a connu la ruine. Cette petite femme blonde est une éternelle angoissée avec un goût prononcé pour le malheur. Cependant le personnage d’Elise se révèle bien plus complexe qu’il ne paraît. On perçoit, derrière ses pleurs incessants, une détermination sournoise, légitimée par son statut d’éternelle victime. La pauvreté dont elle a souffert est sans doute la cause de l’ambition mesquine qui la pousse à louer des chambres quitte à faire le deuil d’un foyer serein.
De l’ambition, Désiré n’en a absolument pas, malgré sa réputation de comptable irréprochable et ponctuel. Pur Liégeois d’Outremeuse, le père de Roger est un épicurien qui jouit de tous les petits plaisirs souvent répétitifs qu’offre la vie. Il est également issu d’une famille très nombreuse qui, contrairement aux Peters, est fortement soudée et assimilée à la vie quartier. Insouciant, Désiré fuit les complications inutiles et par conséquent abdique souvent face aux lamentations de sa femme.
«Pedigree» raconte la vie des Mamelin durant les quinze premières années de la vie de Roger. De sa naissance le vendredi 13 Février 1903, officiellement avancée au jeudi 12 par superstition, à la fin de la première guerre mondiale, nous suivons la mère, le père et le fils à travers les déménagements, les fêtes, les visites familiales, les passages des pensionnaires, les vacances à la campagne et les étapes de l’adolescence précoce et délictueuse de Roger. Avec son écriture remarquable, mais pas toujours fluide, l’auteur nous narre également l’exil à Paris de Félix Marette, un jeune anarchiste influençable et torturé que Léopold, le grand frère alcoolique d’Elise, a pris sous son aile.
Mais l’attrait principal à mes yeux est le portrait détaillé de la ville de Liège que nous livre Simenon. Malgré le siècle d’écart, on reconnait l’ancienne principauté au travers des nombreux traits de caractère présents dans ce livre situant le quartier d’Outremeuse au cœur du folklore liégeois avec sa fête du 15 Août et la procession de la vierge noire. Au rayon alimentation, comprenez au marché de la Batte, s’entassent les tartes au riz, bouquettes, gaufres au sucre, massepains (à la Saint Nicolas), pekets (genièvre), fromages de Herve… Simenon sort de temps en temps de la cité ardente pour se promener en périphérie, et passe même ses étés dans ma commune.
Il est unanimement admis que «Pedigree» reconstitue la palette que Simenon a utilisée pour le reste de son œuvre. A défaut d’avoir beaucoup d’imagination, le père de Maigret a un sens de l’observation particulièrement aiguisé qu’il utilise parfois sans ménagement. Je n’ose imaginer la tête de sa mère parcourant ce récit. C’est d’ailleurs toute la branche maternelle de sa famille qui est égratignée, à l’exception de Léopold sauvé par sa marginalité. L’écrivain parait convaincu d’avoir cerné la vraie nature des gens ce qui induit chez lui un sentiment de supériorité et une attitude parfois condescendante. Dans le même élan de suspicion, faut-il reconsidérer ses exploits et ses délits d’adolescent qu’il semble gentiment déplorer, mais à travers lesquels on décèle une secrète fierté?
Alors quel est l’intérêt de cet ouvrage pour un non-liégeois ou un non-simenophile? Il est faible à priori, car en dehors de ces deux spécificités, les petits tracas de la famille Mamelin-Peters ne sont guère captivants.

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Une splendeur !

10 étoiles

Critique de Catinus (Liège, Inscrit le 28 février 2003, 73 ans) - 2 août 2010

Après avoir lu « Je me souviens « de Simenon, Gide conseilla à l’auteur d’écrire, à partir de ces souvenirs d’enfance, un roman. Georges se mit à la tâche et c’est ainsi qu’apparut ce « Pedigree « , qui est donc une autobiographie romancée.
Simenon nous met en garde : Roger n’est pas vraiment lui-même, tout comme Elise Peters n’est pas sa mère et Désiré Mamelin n’est pas réellement Désiré Simenon. Nous en prendrons acte mais si l’on compare les deux ouvrages, le côté imaginaire est minime.
Le génie de Simenon réside dans le fait qu’il nous raconte son enfance sous l’aspect d’un roman. On rentre dans cette histoire toute simple, de petites gens – comme il aime à le dire -, avec un énorme plaisir. Et si en plus vous êtes belge et de surcroît liégeois, alors là, c’est de l’ordre de la toute grande délectation, car cette ville, vous la connaissez, tout comme ses quartiers, ses rues, ses impasses, ses gens, son caractère, ses odeurs même …
Le récit hautement coloré de toutes ces vies, Roger, Elise et Désiré, sans oublier les tantes, cousins, cousines, voisins, voisines, amis et amies est tout simplement prodigieuse : une vraie saga liégeoise. Elle commence en 1903 et se termine un peu au delà de la guerre 14-18.
Le style est des plus agréables, tout y est abordable et presque essentiel, rien de superflu, à cent lieues d’une littérature ennuyeuse. Ce roman m’a tellement transporté que je lui attribue 5 étoiles sur 5 et ne puis que vous le recommander.
Oufti, toua !

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