Le jour où Albert Einstein s'est échappé de Joseph Bialot
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Vive la liberté !
Disons tout de suite que l'Albert Einstein du titre n'est pas le célèbre physicien, mais un vieil homme qui a acquis ce surnom. «Je suis un homme âgé en fin de partie. C’est dur d’être vivant jusqu’au bout ! Dieu, que c’est dur ! Je ne manque de rien, je suis propre sur moi ; j’adore cette expression je suis propre sur moi, je pourris sur pied dans une maison correcte, on me nourrit, me lave, me soigne, mais j’estime qu’à la fin de mon existence, j’ai le droit de voir autour de moi autre chose que des débris.»
Comme on le voit, Sébastien Lesquettes, octogénaire, placé en maison de retraite (qu'il rebaptise «auberge de vieillesse», les "anciens" qui ont connu les auberges de jeunesse apprécieront) par ses rejetons, ne manque pas d'humour. Mais tout autant que de l'humour, il a encore toute sa tête, et il souhaite s’évader de ce mouroir : «Tous mes compagnons de chaîne ne sont que des vaincus, avec pour seule excursion le tour de leur chambre. Démolis par l’âge, leur boulot, la langue de bois, leur entourage, la connerie ambiante […] Les anciens, ceux dont la mort n’a pas voulu dans leur lointain passé, payent la rançon de leur longue existence.» Ah non, pas de langue de bois chez Sébastien, il appelle un chat un chat !
Il réussit un beau matin la «belle» et prend le premier taxi venu. Laurent, le chauffeur, un métis, se prend d’amitié pour lui. Et c’est le début d’un road-movie (pardonnez-moi cet anglicisme, expression consacrée au cinéma surtout, comment dire en français, une échappée ?) qui va les conduire à la recherche du grand amour du vieil homme, Paula. Cette dernière a disparu un jour de son existence sans crier gare. Sébastien raconte peu à peu sa vie : la débâcle de 1940, la captivité et l’évasion du stalag, la famille pétainiste, la Résistance, le franchissement de la ligne de démarcation, la rafle du Vél d’hiv, la mort de Léa, une jeune juive, son amour de jeunesse, les horreurs de la guerre… Toute une vie surgit, jusqu’à l’étouffoir final, où il est «déposé au service des objets trouvés et des humains perdus» par des enfants ingrats.
C’est le portrait de quelqu’un qui n’a jamais abdiqué. Coriace, pugnace, combatif, caustique, Sébastien a compris qu’au fond la guerre a tout détruit : l’humanisme, la solidarité, les idéaux, les utopies. «La bicyclette, la natation, l’adhésion au parti et l’amour ont ça de commun avec la religion… Une fois maîtrisé, ça ne s’oublie jamais ! On prie sans croire, on pédale sans grâce, on nage sans force, on adhère sans passion, on baise sans plaisir… Des automates, voilà ce que nous sommes.» Et c’est pourquoi il ne peut admettre cette fin absurde dans ces maisons sans âme, où l’on est «le pivot de rien». Mieux vaut choisir sa propre fin. Et, tant qu’à faire, avec quelqu’un qu’on a choisi. Les hommes ont oublié qu’ils «n’ont que l’usufruit de leur existence.»
Et finalement, à bien y réfléchir, lire et aimer sont «les seules vérités qui restent accessibles et acceptables pour tous quand les utopies s’écroulent.» Même la bonne conscience ne sert qu’à dissimuler «la crasse et la famine des arrière-cours de la prospérité occidentale.» Comme on le voit, ça n'est pas tendre pour notre société qui a oublié ce pour quoi elle s'est battue en 1945.
Le grand Joseph Bialot nous revient ici avec une verve mordante, étincelante et féroce. Un portrait politiquement incorrect, une charge au vitriol du monde actuel qui a accentué, une fois la Résistance terminée, ses penchants vers l’égoïsme et le chacun pour soi. Evidemment, je suis actuellement très sensible au problème du vieillissement, et même du choix de sa fin. La charge de Joseph Bialot m'a donc touché au vif. Comment survivre dans un monde désespérant ?
Le livre est-il désespéré ? Non, pas tout à fait. Le petit monde qui gravite autour de Laurent, le chauffeur de taxi, montre qu’une autre vie est possible, chargée d'amour, de vérité, d'espoir, plus humaine, loin des sirènes des conventions consuméristes de la société, à des années-lumière de «la solitude, la vraie : vivre avec quelqu’un et ne pas se rendre compte de sa présence.» Et puis il y a l’humour qui permet de survivre. A lire en urgence.
Les éditions
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Le jour où Albert Einstein s'est échappé [Texte imprimé], roman Joseph Bialot
de Bialot, Joseph
Métailié / Suites (Paris)
ISBN : 9782864246350 ; 2,48 € ; 17/01/2008 ; 174 p. ; Broché
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avant et après mai 68, grandeur ou décadence?
Critique de Deashelle (Tervuren, Inscrite le 22 décembre 2009, 15 ans) - 1 juin 2010
Du cynisme : « où sont passés les pensionnaires de l’immeuble détruit ? La personne dont vous me parlez a-t-elle été placée avant ou après la canicule ? » De l’humour en cascades : une voix de yaourt velouté me fait part de ses ordres : « Pour acheter une maison, tapez 1, pour vous offrir un bordel, tapez 2, pour sauter votre correspondant, tapez 3, pour obtenir un renseignement, tapez 4… ».
De la gastronomie à s’en lécher les babines : « le moelleux du porc, l’aigrelet du citron vert, le parfum de la cannelle, la vrille en action du piment, le goût inimitable de la poudre de colombo avec les reflets dorés du curcuma… avoir connu les steaks de vache retraitée ou de taureau centenaire mort d’amour, souples comme des semelles accompagnés de la purée synthétique du réfectoire… ».
Du tragique comme jamais imaginé : «Rien d’humain dans mon champ de vision. Rien. Il devient noir le sang lorsqu’il sèche sur le gazon. -…- Un cordon ombilical, c’était tout ce qu’il restait de Léa. »
De la ruse : « J’ai fauché un seau et un balai et je suis parti. Direction la France, via l’Allemagne. Aucun allemand croisé n’a eu un geste d’hostilité à mon égard . J’étais un prisonnier de guerre, c’était écrit sur moi comme une marque de fromage, K.G. »
De la dignité humaine retrouvée : « C’est vrai que bonjour est un souhait de ‘bonne journée’. Aux Cannabis, c’était plutôt une marque d’étonnement ; ‘tiens, tu n’es pas mort ?’ »
De l’irrévérence lucide et des raccourcis percutants ; « Ce sont les Romains qui l’ont condamné et lui ont posé sur la tête une couronne d’épines, ce sont les Romains qui ont joué sa tunique aux dés, ce sont , encore et toujours, les Romains qui l’ont blessé à la pointe d’une lance. Seuls les centurions portaient des armes en Palestine. La crucifixion est leur œuvre et ils continuent aujourd’hui leur travail de mort en fermant leur gueule. Les rois de la bouche cousue, les Romains, leur pape est muet, Bastien, muet comme la mort… »
J'en passe et des meilleures, ce livre regorge de vérité humaine authentique, de compassion vécue, de résilience et de courage, il est bouleversant de lucidité et d’amour.
Sommes-nous, à la fin du voyage, dans un conte philosophique? Le périple avec l’ange taximan est d’une tendresse renversante. Non tout n’est pas perdu !
Les enfants, comme dans "No et moi", peuvent être haïssables surtout pour ceux qui vieillissent sans vieillir. Comme dirait l’autre : ‘soignez bien vos enfants, c’est eux qui choisissent votre dernière résidence…’
La fin, parallèle de Crin Blanc, ne peut que faire pleurer : « Je vais retrouver Paula. La seule femme à m’avoir entraîné “au-delà !”… »
Le voyage dans la machine à remonter le temps
Critique de Pascale Ew. (, Inscrite le 8 septembre 2006, 57 ans) - 26 janvier 2010
Sébastien Lesquettes a acquis son surnom d’Einstein dans son ‘auberge de vieillesse’ « un jour (où) j’ai fait la bourde de lui dire que j’avais fait une découverte nouvelle et capitale en physique, un nouveau rapport « temps/masse » que, curieusement, plus je vieillissais et plus les objets devenaient lourds à soulever. » Il n’a qu’une idée en tête : se tailler, ficher le camp et depuis trois ans que ses enfants l’ont relégué dans un mouroir, il fait sa valise tous les mois en espérant les voir tenir leur promesse de le retirer de là. Jusqu’au jour où il s’évade pour de bon, échappe à la surveillance de ses gardiens. Il prend un taxi et part à la recherche d’un amour perdu de vue, Paula, partie un matin sans prévenir. Il trouve en la personne du chauffeur un auditeur bienveillant qui va lui permettre de revisiter sa vie. Bastien parle surtout de la guerre : ‘Dolfie et ses nazes’, la trouille au ventre, la haine qui a suivi la mort de Léa (son amie), l’absurdité (: les ‘verges au label « Qualité troisième Reich »’ contre les ‘zézettes passées au taille-crayon’), ...
Ce récit est pratiquement un monologue, la révolte d’un homme qui refuse d’attendre sa fin enfermé dans un pourrissoir, dans
« l’archipel des Tamalous, le site préféré de tous les seniors ». Son discours est parfois teinté de cynisme. Mais le style est en tous cas magnifique : Joseph Bialot joue avec les mots un peu à la Devos et ses phrases sont souvent des petits bijoux, où par exemple, se marier, c’est s’immatriculer à la sécurité sexuelle et la télé présente des chanteurs d’avariétés. A lire !
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