Étoiles cannibales
de Claude Amoz

critiqué par Cyclo, le 5 mai 2008
(Bordeaux - 79 ans)


La note:  étoiles
Chez les sans logement fixes
Gégène, un SDF qui logeait sous un pont, et fréquentait occasionnellement le Foyer, est retrouvé au petit matin, mort, brûlé. Jonas, qui dormait non loin de là n'a rien entendu, assommé par sa mixture préférée (un mélange de sirop contre la toux et de vin blanc), et ne peut s'empêcher de se dire qu'il aurait pu être à la place de Gégène. Au foyer aussi c'est l'inquiétude, d'autant plus que de jeunes abrutis avaient déjà torturé et tué un autre clodo, comme ça, pour s'occuper. Quelques jours plus tard, une ex pensionnaire du Foyer est retrouvée morte, tombée de sa fenêtre, suicide ou meurtre ? Habiba, la cuisinière algérienne du Foyer, grosse bonne femme, reine de sa cuisine, et Mère de tous ceux qui viennent s'y réfugier, et le Taleb, un sorcier africain qui officie dans le coin, décident d'ouvrir l'oeil, et de voir s'il ne se passe pas quelque chose de louche autour du Foyer.
Comme d'habitude, Claude Amoz met en scène des êtres "fêlés", au sens premier du terme : ils ont tous une brisure, héritage d'un passé étouffant, qu'ils tentent vainement d'oublier. Cette fois il ne s'agit pas de passé historique (comme la guerre de 14 ou la guerre d'Algérie dans Bois-brûlé), mais d'histoire individuelle, ce qui n'est pas moins traumatisant. Qu'ils soient marginaux, clients du Foyer, ou éducateurs y travaillant, tous se débattent, englués dans des souvenirs qui les rongent. C'est dans cette atmosphère sombre et désespérante, parfaitement rendue, que se développe l'intrigue, où la paranoïa des uns et des autres entraîne le lecteur de fausse piste en fausse piste, jusqu'aux révélations finales. Une fois de plus, les personnages sont forts, émouvants, et complexes. Claude Amoz, loin de toute démagogie, ne fait de cadeau à personne, les victimes se transformant facilement en bourreaux quand l'occasion se présente, mais nous permet de comprendre tout le monde, tout en laissant, de nombreuses zones d'ombre et de mystère. Et puis il y a deux personnages lumineux : Habiba, sorte d'incarnation de la mère nourricière, qui aime tous les paumés, les nourrit, les réconforte, sans rien demander en échange ; et le Taleb, personnage picaresque, qui amène de l'humour dans toute cette grisaille, malgré ses propres cauchemars. En bref, une fois de plus, un roman fort, qu'on n'oublie pas de sitôt.