L'Homme qui tombe de Don DeLillo
( Falling man)
Catégorie(s) : Littérature => Anglophone
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impressions résiduelles de l'indescriptible
Si les romans de Delillo sont indéfinissables, c'est parce qu'ils essayent d'accéder à ce qui est indéfini.
"L'Homme qui tombe" pourrait déroger à la règle, puisqu'il trouve sa source dans ce qui a abondamment été décrit. Mais Delillo sait que tout a sa part d'inexplicable. Et le fait qu'il ne tente pas de faire parler les apparences ne rend le contenu de "L'Homme qui tombe" que plus bouleversant. Mieux que quand les événements sont disséqués, noir sur blanc.
Keith erre dans les rues, ensanglanté, alors que le monde n'est que fumée et objets perdus virevoltant sans destination. Lianne attend à la maison, observant hébétée les images qui tournent en boucle à la télévision. Justin est dans sa chambre, peut-être, psalmodiant des phrases monosyllabiques ou attendant le retour de Bill Lawton, l'homme dont on ne doit pas prononcer le nom.
Florence, Rumsey et les autres. Patients couchant sur papier les souvenirs de leur existence avant que celle-ci ne devienne définitivement étrangère à eux-mêmes, existence effacée ou en cours d'effacement. Homme qui tombe avec ou sans harnais de sécurité.
Négation de l'existence, jusqu'à se laisser dériver au risque de disparaître. Comme si tout le monde, comme si tous autant qu'ils sont étaient des Hommes en train de tomber.
Dans les romans de Delillo, en somme, il en est toujours ainsi. Les êtres apparaissent et s'autodétruisent sans laisser de trace autre qu'une impression résiduelle dans le code subliminal qui sert de matrice à l'existence. En supposant que l'existence puisse receler une dose suffisante d'oubli.
Et pourtant, les personnages de Delillo frappent la mémoire même si leur intelligibilité est défaillante. Contre toute attente. Comment si dire le rien était la seule manière d'évoquer les choses trop grandes pour être entendues.
Oui, on pourrait donner une explication plus cartésienne au roman. Tenter de le résumer, puisque L'Homme qui tombe est finalement l'un des romans de Delillo les plus résumables. Et, disons-le, potentiellement l'un de ses romans les plus "grand public". Mais ce serait gâcher le charme. Ou disons la partie mystique qui s'échappe, parfois, de la pire désolation.
Delillo est un Grand. Et tous les traumatismes, tout ce qui subjugue ou meurtrit les Etats-Unis trouve dans son écriture une expression dont on n'était pas sûr, avant lui, qu'elle était susceptible d'exister.
"Mais je sais ce qui est en train de se passer. Tu vas te laisser dériver, loin. J'y suis préparée. Tu resteras plus longtemps éloigné, tu dériveras quelque part. Je sais ce que tu veux. Ce n'est pas exactement que tu veux disparaître. C'est la chose qui y mène. Disparaître est la conséquence. A moins que ce ne soit le châtiment."
Les éditions
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L'homme qui tombe [Texte imprimé], roman Don DeLillo traduit de l'américain par Marianne Véron
de DeLillo, Don Véron, Marianne (Traducteur)
Actes Sud / Lettres anglo-américaines (Arles).
ISBN : 9782742774296 ; 22,40 € ; 02/04/2008 ; 297 p. ; Broché -
L'homme qui tombe [Texte imprimé], roman Don DeLillo traduit de l'américain par Marianne Véron
de DeLillo, Don Véron, Marianne (Traducteur)
Actes Sud / Babel (Arles)
ISBN : 9782742788392 ; 8,70 € ; 03/02/2010 ; 295 p. ; Broché
Les livres liés
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Les critiques éclairs (6)
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Deuil du 11 septembre
Critique de Isad (, Inscrite le 3 avril 2011, - ans) - 23 mars 2013
De temps en temps il y a un chapitre sur la préparation de l’attentat et les pensées des terroristes martyrs qui visent à abaisser l’orgueil de la plus puissante nation du monde.
Le style est assez chirurgical et expose de la même manière des faits, des sentiments ou des pensées qui tournent en boucle.
IF-0313-4026
"C'était lui qui s'écroulait ! "
Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 59 ans) - 15 juillet 2012
Avec " L'homme qui tombe "; c'est du 11 septembre 2001 dont il est question et plus globalement de la désespérance humaine.
Keith Neudecker est un survivant, extrait de la tour nord, le visage en sang. Tel un zombie, il se traîne chez son ex-femme dans une quête de reconstruction.
Alors que le pays est KO et découvre sa vulnérabilité; les personnages du roman affichent leurs failles.
Une vision cynique de la vie humaine au travers un artiste de rue; " L'homme qui tombe ". Un spectacle qui mime la désespérance humaine; le souffle ultime et fugace d'un corps et ce qu'il contenait.
Des valeurs qui s'effondrent; " On lui avait appris à croire que la religion rend les gens dociles".
Tout comme Saule, je n'ai pas compris le sens profond de ce roman. L'auteur nous embarque dans des symboliques opaques difficiles à décoder.
Beaucoup d'introspection chez les personnages. Une impression de pesanteur; on flotte pour ne jamais véritablement atterrir.
Un constat plutôt mitigé qui ne me donne pas véritablement envie d'en découvrir davantage.
Une lenteur plombante
Critique de Aliénor (, Inscrite le 14 avril 2005, 56 ans) - 20 octobre 2009
Nous sommes le 11 septembre, et pour tous les protagonistes de ce roman, le temps va se figer durablement à cette date. Keith, son fils, son épouse et les malades d’Alzheimer pour lesquels elle anime des ateliers d’écriture… tous sont choqués et expriment à leur manière ce traumatisme.
Malheureusement, après un premier chapitre saisissant où l’écriture mécanique rend à la perfection l’état de stupeur du héros, l’action se fige et ne progresse pas. Le temps s’écoule entre les parties de poker de Keith, les ateliers d’écriture de son épouse et les jeux du fils avec ses copains. L’homme qui tombe - qui donne son titre au livre - est un artiste de rue qui n’intervient que très peu. Mais il n’est pas le seul à tomber…tous ces hommes et ces femmes sont en chute libre et font penser à des zombies. Pas tout à fait morts mais plus complètement vivants.
D’où une impression de lenteur, de léthargie, qui m’a envahie dès le second chapitre et ne m’a plus quittée avant le dernier, où le lecteur se retrouve plongé dans l’avion juste avant qu’il ne percute la tour dans laquelle travaille Keith. Comme le premier, ce chapitre est saisissant… et m’a d’autant plus fait regretter la lenteur de l’ensemble.
Quand De Lillo tombe
Critique de Reginalda (lyon, Inscrite le 6 juin 2006, 57 ans) - 12 juin 2009
On pouvait donc attendre avec impatience la parution de L’Homme qui tombe, centré sur les attentats du 11 septembre 2001, en se disant qu’on aurait là la première lecture de l’événement et de ses suites qui sorte de l’ordinaire dont on est repu. Malheureusement, pour la première fois, DeLillo a échoué ; on ne saurait dire que le roman soit vraiment raté, mais il n’offre rien de valable précisément sur le plan socio-politique où est censé se situer son principal intérêt.
L’auteur a bien réussi la partie du récit concernant les rapports d’un couple divorcé, Keith et Lianne qui se rapprochent après les attentats où l’homme a reçu une blessure légère et un traumatisme psychique assez grave. De même, la narration liée à la mère de Lianne et à son compagnon, un ancien terroriste allemand, est complexe et riche en pistes de réflexion. En revanche, les séquences où l’on suit des terroristes musulmans avant les attentats n’arrivent jamais à convaincre, et restent au niveau du journalisme de base sur le plan intellectuel. L’on n’y trouve strictement rien qui puisse nous donner l’impression d’entrer dans l’esprit des personnages, rien que des lieux communs (fascination de la mort, angoisses liées au sexe, malaise personnel) comme ceux qui abondent « inévitablement » dans les articles ou les conversations courantes sur l’intégrisme.
Le décalage entre la qualité des chapitres concernant des Occidentaux et de ceux où DeLillo met en scène des musulmans est si prononcé qu’on reste stupéfié par le fait qu’un grand romancier ait pu manquer de jugement au point de publier cet opus tel quel, plutôt que d’en supprimer une partie ou de retravailler l’ensemble de façon à le rendre satisfaisant. De surcroît, la traduction de Marianne Véron (d’habitude excellente) pêche par des anglicismes et des maladresses qui laissent l’impression d’un travail hâtif. Pour l’écrivain comme pour sa traductrice, on espère un prochain livre qui nous ferait oublier ce gâchis.
Heu... ça parle de quoi ?
Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans) - 15 août 2008
Mais le problème c'est que son propos m'échappe largement. Ce n'est pas la première fois que j'ai l'impression de ne pas comprendre trop de quoi on parle en lisant Delillo, mais alors que ses autres livres me fascinent, celui ci m'a simplement embêté. Il m'en reste des "fragments épars", et aussi la frustration de ne pas être à la hauteur en tant que lecteur
Il y a quelques éléments que j'ai bien aimés ; par exemple les enfants qui font une conspiration du silence, en scrutant le ciel et en attendant le retour d'un certain "Bill Lawson" (leur compréhension du mot tabou, Ben Laden). J'aime aussi le personnage de Liliane, son besoin de sécurité, sa réflexion sur la mémoire. Elle va dans les églises, en spécifiant bien qu'elle ne croit pas à la transsubstantiation, qui oppose sa religion faites de doutes (Dieu est celui qui dit "Je n'existe pas") à la certitude des Islamistes intégristes. Et puis "L'homme qui tombe", un acteur de rue qui se met en scène dans des lieux publics, et qui fait écho aux employés qui sautaient des tours en feu. Par contre je n'ai pas accroché au personnage de Keith, son refuge dans le poker, jamais il ne m'a vraiment pris consistance dans ma conscience de lecteur, ses motifs et son mode de fonctionnement me sont restés étranger.
Au total une déception donc, ce qui est embêtant vu le temps qu'il faut attendre entre chaque Delillo. Ce qu'il y a de bizarre c'est que n'ai envie de lire rien d'autre dans le genre littérature américaine, et je suis persuadé que je relirai ce livre (et d'autres de Delillo) bientôt.
Fragments sublimes de littérature
Critique de Amesoul (, Inscrit le 9 août 2007, 46 ans) - 5 juin 2008
Keith remonte Broadway complètement hagard, le bras gauche meurtri, la main droite serrant une mallette, alors qu'autour de lui tout n'est que brouillard de cendres, odeur infecte de kérosène et courses éperdues de compagnons d'infortune.
Lianne, épouse séparée de Keith depuis deux ans, le voit revenir tel un zombie sur le pas de sa porte, le visage incrusté de petits éclats de verre. Ils ne cherchent même pas à comprendre ce qui les réunit soudain à nouveau. Dans ces minutes et celles qui suivront dorénavant, doit-on encore chercher un sens à la vie ? Ils assumeront peu à peu leur tendance à l’incommunicabilité, pour en faire un atout, une protection.
Dérives, tempêtes sous des crânes, (se laisser) tomber au plus profond de soi-même pour trouver une paix impossible. Bribes de pensées éparses jeter à la face du lecteur pour percer le mutisme des traumatisés, de ceux qui ont laissé une part d'eux-mêmes au pied des tours en miettes.
Lianne anime également des ateliers de mémorisation et d’écriture pour des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, tentant d’exorciser le souvenir d’un père n’ayant pu supporter cette déchéance. Pansements de la mémoire de ceux qui peu à peu la perdent.
Le cheminement d'êtres trimballant leurs doutes. Doute qui devient certitude inébranlable pour Hammad celui qui, de Hambourg en passant par l’Afghanistan et la Floride, dit se combattre lui-même et ira jusqu'à briser ses ailes contre ces vitres qui semblent dominer le monde.
Un immense auteur, maître de la psyché, au summum de son art. Le souffle puissant d’une prose entêtante qui vous happe. Une écriture expressionniste par petites touches, déroutante mais qui fait peu à peu apparaître ce qui fait le charme complexe des âmes humaines.
Un extrait pour s’en convaincre : « Il (Keith) commença à envisager la journée, la minute. C’était le fait d’être ici, seul dans le temps, qui l’y incitait, le fait de se trouver à distance des stimulations du quotidien, de toutes les formes fluides de la communication professionnelle. Les choses paraissaient immobiles, elles semblaient plus dessinées, curieusement, d’une manière qu’il ne comprenait pas. Il commença à discerner ce qu’il faisait. Il remarquait des choses, tous les petits battements perdus d’une journée ou d’une minute, la façon dont il se léchait le pouce et s’en servait pour ramasser une miette de pain et la mettre distraitement dans sa bouche. Sauf que cela n’avait plus rien de distrait. Il n’y avait plus rien qui parût familier, être ici, de nouveau en famille, et il se sentait bizarre à ses propres yeux, ou peut-être avait-ce toujours était le cas, mais maintenant c’était différent par ce qu’il se tenait en observation. » (page 82-83)
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Fragments sublimes de littérature | 17 | Amesoul | 15 juillet 2012 @ 15:50 |