Le mammouth m'a tué
de Bernard Viallet

critiqué par CC.RIDER, le 14 mai 2008
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Un témoignage étonnant
Enseignant pendant toute sa carrière puis directeur d’école élémentaire pendant douze ans dans des écoles particulièrement difficiles de la banlieue parisienne, Bernard VIALLET, enfin dégagé de son « devoir de réserve », entend sensibiliser les consciences en apportant son témoignage sur la réalité au jour le jour de l’enseignement dans les ZEP (Zones d’éducation prioritaire).
C’est le récit, dans un style très agréable et très vivant du quotidien d’un enseignant qui se dévoue pour ses élèves autant que le lui permettent le lourd appareil administratif du Mammouth. Les difficultés rencontrées sont de tous ordres : effectifs trop nombreux pour des professeurs souvent inexpérimentés, barrière de la langue, pesanteur des comportements, élèves cobayes de « réformes » abracadabrantesques, ascenseur social en panne, violences au quotidien.
On en découvre de belles dans ce livre, indispensable à qui veut comprendre de l’intérieur le fonctionnement des écoles en milieu défavorisé. Les faits sont accablants, mais le récit, d’une totale honnêteté, loin de toute idéologie, fait réfléchir et veut aider à favoriser un changement en profondeur de l’école primaire, socle indispensable qui doit être établi sur le roc et non sur le sable comme il l’est actuellement.
Un livre passionnant qui pose les vraies questions et peut même ouvrir des pistes de renouveau… D’ailleurs, l’auteur termine ainsi : « Alors de grâce, inutile de tirer sur l’ambulance. L’Ecole est tout ce qui reste de l’Etat Républicain dans les cités… Et c’est le seul espoir pour les plus humbles. »
Comme une autobiographie … 7 étoiles

Qu’on ne s’y trompe pas ! Il ne s’agit pas d’un récit préhistorique, narrant la lutte à mort d’un néanderthalien avec la faune locale de l’époque ! Non, le mammouth en question il est là en référence à Claude Allègre, Ministre en son temps de l’Education Nationale, et qui avait parlé de « dégraisser le mammouth », expression qui fait florès dès lors qu’il est question de diminuer les effectifs de l’Education Nationale. Et le « m’a tué » fait clairement référence à l’affaire Omar Raddad, d’autant que le titre en couverture est « m’a tuér » avec le r barré d’une croix. En même temps, qu’un Néanderthalien fasse des fautes d’orthographe est parfaitement pardonnable !
Bernard Viallet fut instituteur et Directeur d’école primaire en ZEP (Zone d’Education Prioritaire, comprendre secteur (très) difficile), en Région Parisienne, et en a manifestement gros sur la patate (si je puis me permettre l’expression !). Il reprend dans Le mammouth m’a tué le déroulé de sa carrière et les incidents marquants afin d’étayer son réquisitoire sur l’abandon des enseignants à leur (triste) sort dans ces zones délaissées par la République.

»Ma décision est prise. Il m’en a fallu du temps, mais cette fois, ça y est ! La feuille vient juste de sortir de l’imprimante. Une lettre toute simple, deux lignes de texte qui vont mettre un terme définitif à ma carrière d’instit puis de directeur d’école de banlieue.
« J’ai l’honneur de solliciter ma radiation des cadres pour ancienneté d’âge et de services à compter de la rentrée … Veuillez agréer, M. l’Inspecteur d’Académie, l’expression de mes sentiments respectueux et dévoués. »


Le ton général de ce qui n’est manifestement pas un roman mais plutôt une autobiographie (autofiction ?) est plutôt amer. Le ton d’un qui aura lutté avec ses convictions, son désarroi et les moyens dont il disposait. Le mammouth m’a tué en cela est un plaidoyer pour tenter de déciller les yeux de tous, tous ceux qui ne veulent voir la réalité de la vraie vie en quartier dit « difficile » ou disons ZEP.
On ne met pas en doute les incidents décrits au fil des chapitres et on se sent diantrement impuissant in fine. Bernard Viallet se montre constructif puisqu’il finit en postface avec « Quelques propositions ». Qui se terminent ainsi :

»Chômage, misère, précarité, discriminations et communautarisme. Notre société ne se porte pas bien. Comme l’Ecole n’est que le fidèle reflet de la société, il ne peut pas en aller différemment pour elle. Alors de grâce, inutile de tirer sur l’ambulance. L’Ecole est tout ce qui reste de l’Etat républicain dans les cités … Et c’est le seul espoir pour les plus humbles … »
Paru en 2008, ces constats sont toujours plus prégnants. Allons-y, le mur est devant …

Tistou - - 68 ans - 11 juillet 2021