Au Vent du boulet : Roman des temps napoléoniens
de Hubert Monteilhet

critiqué par Ciceron, le 16 mai 2008
(Toulouse - 76 ans)


La note:  étoiles
L’amer Empire
“Napoléon est le premier général à avoir égaré 500 000 hommes“.

“Je vous fait passer général de division, si vous refusez, c’est le conseil de guerre“.

C’est ce genre de répliques qui vous attachent à ce livre écrit au pas de charge dans un style impeccablement et subtilement d’, épicé d’audacieux imparfaits du subjonctif et d’un humour cocasse puisque notre héros-vicomte deviendra le 7ème mari d’une femme qui a eu 32 amants, dont l’impérial sabreur corse.

Plus sérieusement, à l’appui d’une analyse affutée, Hubert Monteilhet démonte progressivement toute la geste impériale.

On y apprend par ailleurs que le “vent du boulet“ rend amnésique sans être touché par le projectile qui a coupé en deux votre voisin et entr’autres comptabilités que ce sont les génois et non les corses qui détiennent la paternité et le record de vendettas avec une moyenne de 900 tués annuels entre 1683 et 1715, que la Bataille de la Moskowa (Borodino), la plus meurtrière de l’Empire, élimina en une seule journée 30 000 hommes et tua 47 généraux et une centaine de colonels. On était même pas à Moscou. Les russes avaient perdu 44 000 hommes.

L’auteur met en scène le vicomte Pierre-Marie d'Ablis, l'un des enfants naturels de Louis XV, émigré avec le comte d'Artois dès le 16 juillet 1789 pour revenir à Paris sous le Consulat et devenir bientôt aide de camp du Premier Consul.

A cette place de choix, tantôt dans le cercle étroit des familiers de Bonaparte, tantôt chargé de missions variées en France ou à l'étranger, l’ingénieux courtisan va pouvoir suivre au jour le jour le passage d'un pouvoir réparateur et conciliant à un despotisme de plus en plus lourd qui, à force de mégalomanie, va mener la Grande Armée au désastre dans les steppes russes et à l'occupation de la capitale par les alliés.

Un chemin hérissé d'aventures et de mésaventures, tout au long duquel, de bataille en bataille, d'enquête en enquête, d'Austerlitz à Eylau, d'Ajaccio à Vienne, de Genève à Madrid ou à Moscou, il aura vu au débotté le tsar Alexandre, Wellington, Mme de Staël, ou le Prince évêque défroqué Talleyrand qui résume assez bien sa philosophie :

“Dès l’aube, je commence à réfléchir et je m’endors en réfléchissant encore aux meilleurs moyens d’accroître ma fortune“.

Monteilhet est une valeur sûre, également auteur de polars distingués.
Boum ! 7 étoiles

Un roman de plus sur les champs de bataille de Napoléon. Le service minimum est assuré puisque le contexte historique est solide. C'est peut-être aussi, paradoxalement, un des défauts du livre : on a un peu l'impression que l'auteur a le nez dans sa docu et que ses personnages existent essentiellement pour la faire passer, ce qui donne à l'ensemble une structure "en fouillis".
N'empêche, on en apprend de belles. Par exemple, que le "vent du boulet", c'est un phénomène d'hébétude dû à la trop grande proximité du danger (oui, bon, un traumatisme pour parler moderne). Il nous raconte aussi pourquoi les armées de Napoléon avançaient en ordre compact ce qui ne laissait que la baïonnette comme ressource et rendait très vulnérable à l'artillerie...raison pour laquelle on y avait beaucoup recours du côté français pour démonter les batteries adverses : en fait, les pertes humaines étaient si élevées dans l'armée française qu'il fallait faire appel sans cesse à de jeunes conscrits incapables de recharger leur fusil dans le feu de l'action, d'où l'impossibilité de les mettre en ordre mince frédéricien.
Peut-être, mais il faut se souvenir aussi que l'essentiel des pertes humaines, à cette époque, n'était pas directement le fait de l'ennemi (on mourait peu pendant la bataille) ; par contre, les blessures mal soignées, la saleté, les maladies diverses et les désertions...
A noter que l'auteur distille un parfum prononcé de droite radicale (par exemple, le héros va bien se mettre à combattre Napoléon le despote...pour réinstaller la monarchie), mais, sur un champ de bataille, c'est un peu couvert par l'odeur de la poudre, alors... je n'ai pas trop dû me boucher le nez.
Quelques passages que j'ai envie de partager :
- une explication très jolie de l'expression "sauver les meubles" : dans la marine à voile, c'est la partie arrière d'un vaisseau qui, en cas de poursuite, est la plus exposée aux tirs de l'adversaire, et c'est justement là que se trouvent les meubles du capitaine. La tactique est donc de se mettre en file pour que seul le dernier vaisseau soit exposé : c'est ainsi qu'on "sauve les meubles". Quelqu'un peut confirmer ?
- une attitude attribuée à Talleyrand mais que je fais mienne illico : "Il avait sur son bureau deux piles de dossiers : à gauche, les affaires que le temps n'avait pas encore résolues; à droite, les affaires que le temps avait résolues. Et au milieu quelques rares affaires en instance, où une intervention avait paru souhaitable."
- une pensée de Napoléon rapportée dans le "Mémorial de Sainte Hélène" : "La femme est notre propriété, nous ne sommes pas la sienne ; car elle nous donne des enfants et l'homme ne lui en donne pas. Elle est donc sa propriété, comme l'arbre à fruits est celle du jardinier".
Quand un génie militaire se met à penser, ça impressionne, hein ?

Bolcho - Bruxelles - 76 ans - 23 juillet 2008