Cosmos de Witold Gombrowicz

Cosmos de Witold Gombrowicz
( Kosmos)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Arval, le 17 juin 2008 (Papeete, Inscrite le 8 mars 2008, 56 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (23 255ème position).
Visites : 4 950 

Rugueux

Comme le dit l'auteur, ce livre est "un roman sur la formation de la réalité" qui aura deux points de départ : 1) « un moineau pendu » 2) « l'association de la bouche de Catherette à la bouche de Léna ». Il faut se lancer dans l'exercice que Gombrowicz nous propose, ne serait-ce que pour l'expérience unique. Ainsi, l'auteur nous invite à regarder la réalité, à la regarder encore, la regarder jusqu'à ce que toutes nos protections, nos barrières, nos principes psychologiques, moraux et autres s'effondrent et nous voilà pris d'une sorte de "mal de l'espace". Alors tout devient possible et impossible, réel et absurde, lié et délié. Cosmos est parmi ces lectures intelligentes mais pénibles.

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« Une recherche obstinée de cochonnerie »

10 étoiles

Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 7 août 2008

Le narrateur, un étudiant qui a quitté le domicile familial, et Fuchs, qui fuit ses problèmes avec son chef, sont à la recherche d’une pension pour louer une chambre. Ils sont en plein soleil et pourtant tout est noir : les arbres, les plantes, la terre…
Ils aperçoivent bientôt un moineau pendu au bout d’un fil de fer. Ils sont d’abord accueillis à la pension par Bouboule, la propriétaire, mais aussi par Catherette, la femme de ménage qui a une lèvre fendue à la suite d’un accident. Puis ils découvrent Léna, la fille des Wojtys, les propriétaires. Très vite, le narrateur associe, du fait d’un rapprochement fortuit, la bouche de Léna à celle de la servante. Les bouches le renvoient au moineau pendu « en une sorte de tennis épuisant ». Mais il ne place pas les deux faits sur un même plan : « Le moineau était complètement au-delà, il était d’une autre nature. »

Léna est fraîchement mariée à Lucien et le narrateur remarque, lors du repas, leurs mains sur la nappe ; il se demande quel peut bien être la nature de leurs relations. Puis il découvre un minuscule bout de bois pendant au bout d’un court fil blanc ; aussitôt il le met en rapport avec le moineau découvert à leur arrivée. Les deux forment, il semble, le début d’une série… Puis c’est l’observation de "flèches" au plafond que les jeunes gens interprètent comme autant de signes qui ne mènent nulle part mais mettent l’esprit du narrateur en émoi. Qu’est-ce que tout cela signifie ?
« En tout cas, la réalité environnante était désormais contaminée par cette possibilité de significations multiples. »

Cette quête insensée d’un sens l’épuise complètement, le prive de tout sentiment. Un autre indice, un timon placé dans le jardin, conduit les enquêteurs à chercher dans la direction qu’indique l’objet : la chambre de Catherette. Mais leur virée nocturne va être mise à mal et se terminera, après avoir aperçu Léna nue, dans une succession d’actes absurdes par l’étranglement de son chat puis par sa pendaison par le narrateur.
« Je me rapprochais de Léna en tuant son chat bien-aimé, rageant de ne pouvoir faire autrement », observe Witold une fois son acte accompli en secret. Il reconnaît aussi que, s’il a agi de la sorte, c’était par méconnaissance de « ses sentiments à son égard. »
S’ils avaient été moins obscurs, il aurait pu apporter une réponse. Passion ? Amour ? Désir de la torturer ou de la caresser ? Plus loin, il reconnaîtra qu’il n’a pas envie d’elle parce qu’il se sent sale, dégoûtant.

Chez les époux Wojtys, Bouboule tient la pension et Léon, ex-directeur de banque, joue les demi-fous, il tient des propos décousus et roule des boulettes de pain à table. Après l’épisode du chat, Léon organise une sortie à la montagne sur le lieu où, 27 ans plus tôt, il a connu « la plus grande bamboche de sa vie ». Sont conviés à cette expédition deux jeunes couples amis de Léna et Lucien : Loulou et Louloute ainsi qu’un chef d’escadron accompagné de Ginette, son épouse. Plus un prêtre qu’ils découvrent sur le bord de la route, comme en prime, pour introduire le péché, la bénédiction dans tout ce beau monde… Ils s’installent dans une maison. Mais ce lieu apparaît surtout éloigné de la pension, de l’endroit où tout s’est passé : les pendaisons, l’étranglement du chat, la mise en relation des bouches car, ici à la montagne, la bouche de Léna, sans celle de Catherette restée à la campagne, apparaît esseulée, dénuée de sens. Tous sont comme ailleurs, absents à ce qu’ils vivent là : « Notre présence ici était une présence ‘ailleurs ‘…Tout se passait dans l’éloignement. »

Le narrateur est accablé par ces nouveaux faits liés à de nouveaux visages, d’autres arrangements. Après un repas qui réunit tous les protagonistes du voyage sauf un, Witold sort et, après avoir observé un nouvel appariement de bouches (celles du prêtre et de Ginette vomissant), il découvre le corps pendu de Lucien. Mû comme par une logique impérieuse (celle d’unir la bouche à la pendaison, comme on boucle un cycle), il mettra le doigt dans la bouche du mort puis dans celle du prêtre vivant.
Enfin, sans rien dire de ce qu’il a vu, il rejoindra la troupe qui, sous la conduite de Léon, se rend sur ce lieu foulé vingt-sept ans plus tôt où il connut le comble de la volupté.

A l’entame du chapitre 10, la narrateur hésite à nommer « histoire » ce qu’il nous raconte mais choisit plutôt les termes « d’accumulation et dissolution… continuelle… d’éléments». Tentative impossible d’organiser le chaos, de donner un sens aux signes que nous observons. Impossibilité même de fixer son attention sur un fait tant la masse des sollicitations sensuelles est nombreuse, en permanente évolution. Impossibilité aussi d’assumer ses désirs, de satisfaire ses envies…

En 1962 (le roman, le dernier de l’auteur, paru en 1965), Gombrowicz écrit dans son journal : « Qu’est-ce qu’un roman policier ? Un essai d’organiser le chaos. C’est pourquoi mon Cosmos, que j’aime appeler un roman sur la formation de la réalité, sera une sorte de récit policier. »

Un roman policier sans crime mais où les obsessions sont élevées à hauteur du monde : tout est indice d’un crime en train de se perpétrer, celui du sens, de la raison d’être de l’univers et de notre existence.
Un fabuleux roman, peut-être le meilleur de son auteur.

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