Le portrait ovale (BD)
de Edgar Allan Poe, Enki Bilal (Scénario), Pascal Somon (Scénario et dessin)

critiqué par Shelton, le 15 juillet 2008
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Peindre est un art dangereux !
Certains peuples pensaient, lorsqu’ils virent pour la première fois un appareil photographique et son fruit la photo que cela pourrait bien enlever l’âme de l’être humain. Oui, et cette croyance perdure encore quelque peu… Certains pensent même que de se laisser dessiner par un artiste présente quelques risques…
Edgar Allan Poe, écrivain du dix-neuvième siècle admirablement traduit de la langue anglaise par un poète français, Charles Baudelaire, a pris le temps d’écrire une nouvelle, Le portrait ovale, la dernière des Nouvelles histoires extraordinaires, un texte sur cette délicate question : que se passe-t-il quand une femme admirablement belle et douce se laisse dessiner par un artiste habité par son art ?
Je ne suis pas là pour vous raconter cette nouvelle, somme toute assez courte. Sachez qu’elle fut écrite aux environs de 1842. La traduction en langue française est de 1855. Ces deux petits détails historiques ont de l’importance car si nous avions à adapter cette nouvelle en bande dessinée, nous choisirions probablement un vieux château, perdu sur une lande écossaise, noyé dans le brouillard et la nuit à peine traversée par une once de lumière lunaire… Quand on lit le texte original, on sent la poussière et l’humidité de cette demeure abandonnée depuis déjà quelques temps probablement à cause de la guerre qui faisait rage sur cette terre…
La chambre décrite est froide, parcourue par un courant d’air désagréable, l’éclairage du candélabre allumé par les soins de notre domestique ne change rien à tout cela et c’est avec beaucoup de difficultés que nous commençons à lire ce vieux volume trouvé dans la chambre qui nous donne toutes les explications sur ces peintures désormais sans maître…
Mais voilà, Pascal Somon n’est pas un illustrateur banal et ce n’est pas le cadre qu’il a choisi pour son travail. Ce n’est pas une surprise pour ceux qui auront vu que la préface de l’ouvrage est signée Enki Bilal…
« Pascal Somon… est simplement pervers. Il faut l’être pour prendre un texte de Poe comme béquille et s’appuyer dessus… histoire de montrer qu’il tient bien debout ! »
Contrairement à ce que laisse voir la couverture, dès le premier dessin de Pascal Somon le lecteur est embarqué dans le futur lointain, un futur qui sent et respire l’univers bilalien… Mais pour une fois, si la guerre est présente dès les premières vignettes, la place importante est faite à l’art, à la philosophie, à la vie… La femme dessinée, peinte et dévorée par l’artiste est belle et digne de Bilal mais elle n’est qu’au second plan grâce à une grande place faite à la réflexion sur la création artistique… et tout cela avec très peu de mots…
Car c’est bien là le génie de Pascal Somon, raconter avec des images. Une nouvelle qui est offerte intégralement au lecteur au début de l’ouvrage, moins de neuf mille caractères, se retrouve en bédé avec soixante dix neuf vignettes et très peu de textes, tous tirés de la nouvelle sans aucun phylactère… C’est une merveille d’adaptation qui met en valeur les qualités inhérentes à cet art narratif, du texte et du dessin liés par une histoire accompagnée d’une bande son, très paisible dans cet exemple même si la guerre initiale ne peut que se faire entendre…
Cet ouvrage est un bijou, un objet admirable et un plaisir des yeux. Le format à l’italienne ne fait qu’ajouter au bonheur… Je voudrais, aussi, bien insister sur les images offertes par le texte de Poe qui permettent à tous ceux qui veulent en faire une adaptation bédé de faire une œuvre personnelle en s’appropriant le texte et en nous l’offrant nouveau et unique… Il faut de grands textes pour permettre aux artistes d’en faire de grandes adaptations !