Un régicide de Alain Robbe-Grillet

Un régicide de Alain Robbe-Grillet

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par B1p, le 3 août 2008 (Inscrit le 4 janvier 2004, 51 ans)
La note : 3 étoiles
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l'intérêt et l'ennui

Chers amis, attaquons-nous à une tâche contre-nature : théorisons sur ce qui doit être ressenti et non analysé…
Qu’est-ce que l’art d’Alain Robbe-Grillet ? Après avoir lu quelques œuvres de ce grand Monsieur de la littérature française, je dirais que c’est l’indécision, mais sans imprécision (attention, cette formule est sous copyright). Explicitons : les histoires de R-G ne sont jamais simples car toujours (souvent ?) multiples : une quantité de versions différentes de la même histoire se superposent, formant un faisceau de faits plus ou moins contradictoires. Mais ces faits multiples sont toujours, pris individuellement, parfaitement décrits, précis, sans aucune ambiguïté, aucun interstice, aucune place à l’interprétation entre les lignes (pour beaucoup de ses romans en tous cas). Le flou naît du fait que des versions précises se superposent sans se recouper.
Dans le meilleur des cas, le mélange subjugue parce qu’il a un charme indéfinissable, une sorte d’invitation à l’hypnose, à la rêverie, à une vérité transcendante qui échappe au moment même où on pense l’avoir saisie (Comme lorsqu’on superpose des milliers de visages en espérant accéder au visage universel, qui pourrait être celui du Christ). Malheureusement, dans le pire des cas, le mélange ennuie.
Et là, même avec la meilleure volonté, je n’arrive pas à théoriser sur ce qui trace la limite, ténue, entre l’intérêt et l’ennui.
Revenons maintenant, si vous le voulez bien, à « Un Régicide ». Cette œuvre trouve une place particulière dans la bibliographie de R-G : c’est en effet la première. Refusée par les éditeurs, c’est le 2e roman, « Les Gommes », qui fera office de coup d’essai, mais « Un Régicide » reste chronologiquement le 1e, d’autant plus qu’il ne sera pas retravaillé par R-G quand il sera, finalement, publié. De l’aveu même de R-G, il a renoncé à le corriger profondément parce qu’il sentait que la correction allait aboutir à une réécriture. Et à la lecture, on comprend fort bien pourquoi… Dans l’intro, R-G dit que « Un Régicide » est relativement « difficile d’accès ». Personnellement, je dirais plutôt « raté », ou simplement « ennuyeux ». De l’intérêt ou de l’ennui, « Un Régicide » a pour moi clairement choisi le camp.
Tous les ingrédients de base sont cependant déjà là : l’histoire est pleine d’indécision, mais sans imprécision aucune. On y trouve même une certaine dose de charme, dans cette histoire d’un narrateur, reclus sur un île retirée où les pécheurs, dont il fait partie, ne savent pas ce qu’il y a par delà les étendues d’eau qui les entourent, ni même s’il existe réellement un monde par delà. Il y a du charme dans cette description indécise de leur environnement saturé d’humidité, rempli par la brume qui les empêche de voir devant eux, de déceler ce qui se passe autour d’eux. Parfois, une légère embellie, où Malus scrute l’horizon, solitaire dans sa tour, ou lorsque les sirènes viennent faire chavirer les cœurs des marins.
Malheureusement, à cette histoire simple et plutôt poétique se mêle l’histoire urbaine de Boris et de son régicide, dans un monde éloigné où parfois on s’enfonce dans les rues comme dans les eaux de lagunes empoisonnées. Là-bas, les hommes ont perdu le sens de l’engagement et le goût de la politique. Les partis se partagent les voix de rares électeurs et mènent mollement un pays vers ce qui pourrait être sa perte. Solution possible pour provoquer un sursaut : assassiner le roi. Mais Boris l’a-t-il réellement assassiné ?
A priori, cette 2e histoire pourrait être sympathique, mais elle n’a, elle, rigoureusement rien de poétique. De longs passages sont consacrés à des pensums sur les manœuvres des différents partis. Ils ennuient profondément. Et le monde de Boris ne revêt un intérêt que lorsqu’il se connecte à celui du marin et permet de passer à celui-ci. Ces connexions sont malheureusement artificielles car ces mondes n’ont absolument rien de commun. A se demander pourquoi R-G avait pensé à mixer les deux. Sans compter un troisième monde entrevu encore plus abscons.
Et l’on referme le roman agacé par cette absence de cohérence, saoulé par un régicide qui n’a strictement aucun intérêt, aucune morale, aucun enjeu.
Restent, de ci de là, de formidables morceaux de littérature qui confinent à la poésie :
« Une fois de plus, c’est, au bord de la mer, à la tombée du jour, une étendue de sable fin coupée de rochers et de trous, qu’il faut traverser, avec de l’eau parfois jusqu’à la taille. La mer monte, par vagues soudaines venant en même temps de plusieurs côtés et se mêlant en dangereux remous. Par endroits, une surface plus égale, recouverte seulement d’une mince nappe liquide, permet un instant de course ; mais c’est ensuite, entre deux parois rocheuses, un passage où l’on risque à tout moment de perdre pied, au milieu des entonnoirs creusés par la mer ; souvent même il faut rebrousser chemin pour chercher une autre issue, avant que la nuit ne soit tout à fait noire, mais l’eau plus haute et plus agitée rend la retraite encore plus périlleuse. Il n’est pas question d’essayer de nager dans ce tumulte. Il n’est pas question, non plus, d’hésiter longtemps sur la voie la meilleure. De toutes parts le niveau s’élève, les lames déferlent, la puissance des courants grossit. Et quand tout retour en arrière est devenu clairement impossible, le sable en pente douce de la grève apparaît enfin. Les membres tremblants d’avoir échappé à cette violence, je gravis le raidillon qui mène à la dune. Il fait jour maintenant, mon corps est sec, derrière moi la mer est calme et sans piège. Le parcours, fixé à l’avance semble-t-il, s’achève, cette fois encore par quelque chose qui ressemble à une victoire, mais tellement provisoire, fragile, incertaine, qu’on chercherait en vain le signe qui la marque, si bien qu’aucune joie ne vient me reposer de mes travaux. »

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