Hécate et ses chiens
de Paul Morand

critiqué par Kinbote, le 5 août 2008
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Derrière l'amour
Qui publierait aujourd’hui un tel roman ne passerait pas inaperçu mais bien sous les fourches caudines de la critique, se verrait, horreur suprême, interdit de plateau télé et obligé de rendre des comptes, ad libitum, à toutes les Denise Bombardier du monde (voir l’affaire Matzneff née sur le plateau d’Apostrophe fin des années 80). Il faut croire que l’époque a changé.

De quoi s’agit-il ? Trente ans plus tôt (le roman est paru en 1954), un banquier, tout frais sorti de l’Inspection des Finances débarque dans un pays d’Afrique du Nord. Il s’installe et prend maîtresse, elle se prénomme Clotilde. Lisons la description qu’en fait l’auteur (et qui s’oppose au portrait de la femme qu’il abhorre, une page avant.)
« Les femmes la trouvaient ravissante parce qu’elle avait le physique à la mode, nez de carlin, yeux de chatte, tête trop petite pour le corps, le dos rond, pas de hanches, peu de corsage, de longs pieds mérovingiens, des bras sans chair qui ne déformaient pas les jaquettes, des cuisses maigres sur quoi les jupes tombaient bien. Peu d’hommes eussent osé penser qu’ainsi faite elle était plutôt laide ; mais la grâce s’accommode beaucoup mieux de la laideur que de la beauté, et Clotilde était la grâce même. »

Il la trouve passive, facile à vivre, se laissant aimer sans opposer de résistance. Femme idéale, d’après le narrateur. Avec elle, il ne pense à rien. Mais ce rien cache quelque chose. Très vite, le banquier apaisé constate que « il n’est pas de rien en amour ». Il se met à s’inquiéter, à investiguer, à jouer au détective. Et ce regain d’attention va faire apparaître une autre femme, une femme à la sexualité particulière, qui se nourrit de singuliers fantasmes. [Ceux qui souhaitent lire ce livre n’ont qu’à sauter ce passage.] Dont le narrateur ne fait pas longtemps mystère.
« La triple Hécate, reine de la Nuit, se nourrit de chiens ; pareille à l’affreuse déesse, Clotilde dévore des chiots, ces enfants dont elle fait sa pâture. »

Cette situation l’accable, le dégoûte mais il veut la rejoindre sur ce terrain-là, pour comprendre, pour se rouler dans la fange.
« L’amour se localise trop près des ordures pour ne pas en garder le goût.», note-t-il.
Il ne la prendra jamais en flagrant délit, il sera condamné au doute, et la quittera, un peu forcé par les circonstances, car ses aventures, immorales, auront été connues de ses employeurs. Il partira loin et, quinze ans plus tard, il la reverra à New York, lors d’un dîner officiel…

Par certains aspects, ce roman emprunte des thèmes chers à Bataille. Le style épuré, concis, est celui porté à son paroxysme par des écrivains français de l’entre-deux-guerres comme Montherlant ou Drieu La Rochelle, « mouvement » qui se prolongera après guerre chez ceux qu’on nommera les Hussards. Avec ses non-dits, cette manière convient à merveille à ce récit. Comme le dit Nimier dans la préface:
« Cette aventure, traitée par un auteur de l’école réaliste, aurait donné lieu à de grandes descriptions, à des gros mots, à de la violence. Ainsi, tout se serait passé au grand jour. La perversité de Clotilde serait devenue un caractère comparable à celui d’une bonne ménagère ou d’une jeune sportive. L’avantage des phrases sèches et des ellipses de Paul Morand, c’est de laisser au mystère la place qu’il doit avoir ; avec le mystère, l’émotion est là, et la peur. »

Donc, on pourrait écrire sur tout à condition d’y mettre les formes et du tact. Ce en quoi Paul Morand ici excelle.
la mystérieuse Clotilde 9 étoiles

Cette histoire d'amour peu commune est racontée par Paul Morand de façon divine. En effet l'auteur utilise l'ellipse et le non-dit pour décrire une femme aux trois visages. C'est pour cela que ce livre est un peu compliqué à comprendre. Mieux vaut se documenter sur la figure mythologique d'Hécate avant de commencer le roman. De plus tout le roman se caractérise par sa brièveté: c'est un roman court écrit avec des phrases sèches. Cependant cette brièveté apporte un petit plus au mystère et à l'horreur. Cette histoire d'amour horrifiante est à lire absolument...

Pounette - - 48 ans - 12 mai 2010