La société de défiance : Comment le modèle social français s'autodétruit ?
de Yann Algan, Pierre Cahuc

critiqué par Romur, le 20 août 2008
(Viroflay - 51 ans)


La note:  étoiles
Un éclairage original et convaincant
Soyez rassuré, cet essai n'est pas un ouvrage de plus dans la veine de la France qui tombe.

Alain Peyrefitte écrivait en 1995 "La société de défiance est une société frileuse, gagnant-perdant : une société où la vie commune est un jeu à somme nulle, voire à somme négative (si tu gagnes, je perds) ; société propice à la lutte des classes, au mal vivre national et international, à la jalousie sociale, à l’enfermement, à l’agressivité de la surveillance mutuelle. La société de confiance est une société en expansion, gagnant-gagnant, une société de solidarité, de projet commun, d’ouverture, d’échange, de communication."

Reprenant ce concept, Yann Algan et Pierre Cahuc montrent sur la base d'études internationales, qu'en France plus qu’ailleurs, on se méfie de ses concitoyens, des pouvoirs publics et du marché, cette défiance allant de pair avec un incivisme plus fréquent… "Or la défiance et l’incivisme, loin d’être des traits culturels immuables, sont alimentés par le corporatisme et l’étatisme du modèle social français. En retour, le manque de confiance des Français entrave leurs capacités de coopération, ce qui conduit l’État à tout réglementer et à vider de son contenu le dialogue social."

J'ai trouvé leur démonstration percutante, même si la thèse est parfois un peu lourdement appuyée, sans qu'aucun élément susceptible de la remettre en cause ou de la limiter ne soit signalé (l’absence de nuance irrite toujours mon esprit critique). Si le phénomène est décrit sous l’angle essentiellement institutionnel et social, on peut facilement l’identifier au niveau individuel et personnel avec la peur de l’autre, la peur du risque, la peur des responsabilités.
Avec ce concept défiance, on sent bien qu’on touche à un élément important pour comprendre la situation française.
Dommage que les auteurs n'arrivent pas à proposer des pistes d'actions rapides et efficaces. Mais il n'y en a pas pour résoudre un problème de mentalité et d'état d'esprit qui s'est installé au fil des années et des générations.

Pour l'anecdote, même si les auteurs estiment que la situation a été aggravée par la 2ème guerre mondiale et par le système politique et social mis en place depuis, j'ai retrouvé un constat ancien sur cette gangrène qui ronge notre société. Rémusat notait ainsi dans "Le but politique de la Révolution française" paru dans La revue des deux mondes en octobre 1869 qu'il faut distinguer la défiance, unanimement partagée dans la société française, nourrie des prétentions des uns et des préjugés des autres et "une défiance profonde, opiniâtre implacable", qui a été le ressort essentiel de l'emballement révolutionnaire.