Le lit de l'étrangère
de Mahmoud Darwich

critiqué par Kinbote, le 11 septembre 2008
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
« Quelles chansons aimes-tu ? »
Sans préjuger de ce qui les « constitue », on pourrait sommairement distinguer deux types de poésie. Il y a une poésie du mot : brève, qui prend pour cible un fragment du réel, qui en rend compte ou/et qui interroge le mystère du monde, et il y une poésie de la phrase, serpentine, qui pour atteindre son but doit longtemps cheminer, brasser beaucoup de réel.
Autrement dit, une poésie du point et de la ligne, une poésie qui laisse vite place au silence, et une autre qui pousse le silence devant elle comme une fourmi son fardeau, repoussant sans cesse l’instant où elle va le déposer, et qui est de l’ordre du chant. .

« Quelles chansons aimes-tu ?
Quelles chansons ? Celles qui chantent
La soif de l’amour ou
Celles qui chantent le temps révolu ? »

C’est peut-être moins la peur du silence que l’arrêt d’un mouvement qui l’anime, emportée par une cascade de mots, de propositions, un souffle qui prend sa source dans une envie de se couler au temps, d’occuper tous ses vides.
La poésie brève (comme dans le haïku mais pas uniquement) se dirait, s’écrirait le temps d’un souffle, tandis que l’autre doit, sans arrêt, reprendre sa respiration, relancer le moulin à mots…

Celle de Mahmoud Darwich est de l’ordre, on l’aura compris, de la seconde, lyrique et envoûtante, qui introduit du désordre dans des vers qu’unit une phrase fluviale.

Par exemple :

« Tu es atteinte, comme moi, du voyage de
l’oiseau.
Et cela survient l’après-midi
Lorsque tu dis : Emmène-moi au fleuve
L’étranger, emmène-moi au fleuve
Car ma route sur tes deux rives est longue. »

Ou

« Après ta nuit, la nuit du dernier hiver,
Le front de mer s’est vidé des vigiles et
Nulle ombre ne m’emboîte le pas depuis que
Ta nuit s’est desséchée
Au soleil de ma chanson. »

Une poésie de l’ordre du chant, de la chanson, qui joue sur le rythme, les répétitions de mots, les rejets qui vont assurer le passage d’un vers à un autre, prolonger le souffle.

« J’aime de la poésie, la spontanéité de la prose
et l’image voilée »

« Et ma chanson a besoin de respirer : La poésie n’est pas poésie
Ni la prose, prose. »

Dans ce recueil daté de 1999, ce sont « une dame libre et son ami fidèle qui partent ensemble dans deux chemins, « unis et séparés. » dans des poèmes « disant l’exil de l’homme dans la femme et de la femme dans l’homme. »
C’est aussi un voyage entre hier et demain, qui cherche la voie du milieu, qui serait celle d’un présent mêlant passé et futur.

Ce sont juste deux ou trois pistes pour aborder ce recueil de Mahmoud Darwich, récemment disparu. Dont on aura davantage une vue d’ensemble du travail avec l’anthologie parue dans la collection « Poésie/Gallimard » : « La terre nous est étroite et autres poèmes » qui reprend quelques textes du présent ouvrage.

Un dernier extrait, magnifique, rendant compte du lien unique existant entre le poète et sa « muse ».

« Chaque fois
Qu’une femme s’en va, au soir, vers son secret,
Elle trouve un poète marchant dans ses obsessions.
Et chaque fois qu’un poète va au plus profond
de lui,
Il trouve une femme se dénudant devant son
poème… »
Quand territoire féminin rime avec masculin. 9 étoiles

Une poésie raffinée, sensuelle qui voit l'homme et la femme comme deux territoires.

Un chant, un cri, une rencontre comme un ailleurs qui se construit entre deux individus, un no man's land, l'envol d'une tourterelle sur un ciel rosé.
Les mots et les vers de Mahmoud Darwich déroulent leur fil d'Ariane de corps à âmes ; ils m'ont ravie et fait rêver, leur douceur longtemps ressentirai comme une caresse.

Bafie - - 63 ans - 20 décembre 2021