Très brève relation de la destruction des Indes
de Bartolomé de las Casas

critiqué par Naturev, le 15 septembre 2008
(DOLE - 58 ans)


La note:  étoiles
Première critique de la colonisation aux Amériques
Un vieux mémoire à destination du roi d’Espagne, écrit au XV° siècle par un colon espagnol qui prit les ordres chez les Dominicains et qui défendit la cause « indienne ».

Ce mémoire avait pour but d’informer le roi des méfaits des conquistadores, de leurs cruautés, et du pillage de ces régions, et du préjudice ainsi causé à tous, y compris à l’Espagne et à Dieu. Certains ont considéré Bartolomé de Las Casas comme le précurseur de l’anticolonialisme.

Comme beaucoup d’anciens écrits, celui-là peut rebuter le lecteur moderne. Mais c’est un ouvrage extrêmement révélateur de la conquête du nouveau monde par les Espagnols. Les chiffres que Las Casas annonce peuvent paraître démesurés, de même qu’il nous livre une image très rousseauiste et idéalisée des amérindiens. Mais le texte est parsemé de faits dont l’auteur fut parfois témoin voire acteur.

C’est un témoignage de première main qui permet de remettre quelques pendules à l’heure. Nous connaissons tous plus ou moins les crimes des conquistadores, et comment ils sont repris au profit d’anathèmes entre concurrents idéologiques. Las Casas, lui, est finalement loin de tout cela. En religieux défenseur des « indiens », il échappe aux clichés pour nous dire la cruauté humaine. Et en homme de son époque, il dénonce la perte pour son roi et son Dieu floué par des tyrans. Il nous montre aussi un système qui allait, il ne pouvait le savoir, amener naturellement à la traite des noirs d’Afrique par faute d’amérindiens quasiment exterminés. Il nous montre qu’au XV° siècle, des hommes sans scrupule partirent s’enrichir en réduisant leurs victimes dans une inhumanité qu’il a fallu justifier par des thèses ultérieures. Car les amérindiens ne furent traités ni comme des êtres humains, ni comme des biens immobiliers ou des marchandises, mais comme des biens que l’on dénommerait aujourd’hui de « consommation courante ». Au point d’être emmenés comme bétail pour servir d’alimentation aux chiens des conquistadores partant en incursion…

Vous l’aurez compris, ce n’est pas un livre de détente. Juste un témoignage ancien de faits dont les conséquences ne sont pas près de se tarir.
Réquisitoire 8 étoiles

Parce que c'est un réquisitoire, Bartolomé de Las Casas, théologien reconnu et proche de Charles Quint, n'a pas le choix quand il alerte sur le génocide amérindien : il faut émouvoir, ouvrir les yeux, pousser au repentir des chrétiens espagnols semant l'enfer sur des populations indiennes idéalisées, presque adamiques. De Las Casas est emphatique, volontairement répétitif, sa puissante et émouvante rhétorique insiste : il est urgent de convaincre car les chrétiens d'Amérique perdent leur âme en commettant l'inacceptable. Manichéenne, la plaidoirie de de Las Casas oppose un éden indien de vertu à des Espagnols cupides et destructeurs du paradis. Mais de Las Casas est un homme d'église : c'est de futurs chrétiens à convertir qu'il s'agit, il n'est pas question de respecter leur identité première : l'indien est l'Homme d'avant la faute, le conquistador est l'Homme d'après.
Il n'empêche, De Las Casas écrit un minutieux et terrible témoignage des massacres des natives, et cette reconnaissance d'un génocide qui reste le plus important jamais perpétré participera largement à la reconstruction d'une identité culturelle indigène.

Phil SMT - - 64 ans - 20 septembre 2020