La Reconstruction
de Eugène Green

critiqué par Dudule, le 17 septembre 2008
(Orléans - - ans)


La note:  étoiles
voyage intérieur
Johan Launer, un Allemand, fait une requête à Jérôme Lafargue, professeur de littérature à la Sorbonne.
Launer sait que Jérôme a connu son père à Munich en 1968, Johan doute de sa réelle identité.
Jérôme va devoir se souvenir de son séjour à Munich et remonter 40 ans de vie - pour le plus grand plaisir du lecteur.
De ce travail lent de reconstitution mémorielle dépendra la reconstruction de Johan, et sa quête existentielle.
Une petite touche d’humour de l’auteur dans l’orthographe de certains mots « quôqualaït » le « tramouais », mais ce que j’ai aimé c’est l’interrogation de ce roman sur notre mémoire, notre histoire, notre existence, sur la culture et l’Histoire européenne, et aussi l’amour.

Un très bon premier roman à découvrir, je n’avais pas envie de le refermer
Rive Gauche 4 étoiles

La Reconstruction, c’est un vrai roman de la Rive Gauche. La Rive Gauche, c’est celle où l’on est encore plus bourgeois que bohème, avec une grande tradition de droite un peu conservatrice – mais pas trop – et ancrée dans le catholicisme laïcisé. Jérôme Lafargue y habite un grand duplex avec vue sur Saint-Sulpice et passe ses matinées au café ; ça, c’est pour le côté bourgeois. Jérôme Lafargue est aussi professeur de lettres parce que dans un roman qui se déroule sur la Rive Gauche on est soit professeur de lettres, soit étudiant en lettres ; ça, c’est pour le côté bohème. Mais Jérôme Lafargue, même quand il est bohème, ne l’est pas trop et Eugène Green se tape bien sur le ventre en appelant Gonzague, Jean-Eudes et autres Marie-Albane de la Quelquechose ces bien trop grosses caricatures de profs de lettres new age (pardon, niouèdge), ces hérétiques qui aimeraient bien qu’on étudie les formes d’expressions des cultures urbaines contemporaines à côté des formes d’art plus classiques.
Jérôme Lafargue est aussi totalement pro-européen, ce qui se fait aussi beaucoup sur la Rive Gauche. En plus, il a énormément réfléchi, Jérôme Lafargue, puisqu’il a réussi à identifier « la nature de l’identité européenne » au prix d’une démarche si révolutionnaire qu’il fallait bien l’accentuer sur le quatrième de couverture. Ainsi, les racines européennes se trouvent dans… la chrétienté et la reconstruction post-Seconde Guerre Mondiale ! Vous avouerez qu’il faut vraiment être un esprit supérieur pour avoir mis le doigt dessus. On notera cependant que cette Europe a des limites : être Français germanophile, c’est très bien, plus encore quand on est marié à une Tchèque, ce qui est le rêve de tout homme ; mais la Turquie, on ne veut pas en entendre parler (Sarko a été clair !) et d’ailleurs, elle ne sera évoquée que par un Kurde et sous le nom d’Anatolie ! Prends-toi ça la Turquie ! On ne va quand même pas laisser des génocidaires qui ne respectent pas le droit des peuples entrer dans notre belle Union ! Quant à l’Angleterre, on le sait, ce bon vieux Général a toujours dit que c’était une erreur de l’avoir laissée intégrer l’Union, alors du coup, on francisera tous les anglicismes ! Na ! Et qu’on n’aille pas se plaindre d’une différence de traitement par rapport à l’allemand, cité dans le texte.
Dans le registre des lieux communs présentés comme de grandes découvertes, à côté des origines du sentiment européen et de la culture anglo-saxonne qui nous envahit, on a aussi toute cette histoire qui peine à nous captiver sur cet Allemand né à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale et qui se met à douter de sa filiation, suite à la découverte de certains documents à la mort de son père. Le lecteur aura assez vite compris qu’il s’agira d’un enfant recueilli pendant le conflit et à qui on aura fait prendre l’identité d’un nourrisson décédé pour le protéger des Nazis. Oui, mais Jérôme Lafargue, lui, il devra fouiller dans sa mémoire pour comprendre tout ça. Ceci dit, ça ne demandera pas trop d’efforts et il lui suffira de s’asseoir à son bureau (avec vue sur les tours de Saint Sulpice) pour immédiatement se souvenir de tout son séjour (son exil) à Munich en 1968 – quand, à Paris, il y avait des gauchos jusqu’à Saint Germain –, au cours duquel il avait rencontré sa femme et avait été hébergé par un vieil Allemand – le père de celui qui ne sait plus qui il est – dont Jérôme Lafargue, il y a quelques heures, avait oublié jusqu’au nom. En bonus, avec ses propres souvenirs, Jérôme Lafargue retrouvera ceux du vieil Allemand en question. On ne sait pas trop comment, mais moi, je pense que c’est parce que c’est bien fait, quand même, la vie sur la Rive Gauche. En plus, tout cela n’a pas d’importance, parce que l’identité et la filiation, c’est plus fort que les liens du sang, c’est avant tout l’amour, et ça c’est beau !
Sinon, Jérôme Lafargue a aussi un fils, Matthieu, et un élève préféré, Jérôme Denis, qu’il aime particulièrement parce qu’il lui dit qu’il ne sert à rien mais qu’il lui envoie quand même des cartes postales de ses vacances. Mais eux, on s’en fiche encore plus que du reste et on ne sait même pas trop ce qu’ils viennent foutre là.

Stavroguine - Paris - 40 ans - 25 octobre 2009