La Vie pétrifiée
de Nils Trede

critiqué par Feint, le 22 septembre 2008
( - 61 ans)


La note:  étoiles
Quelque chose comme un léger dérèglement
Quelque chose comme un léger dérèglement. Ça commence comme une histoire « presque » normale, vaguement fleur bleue même. Un homme, le narrateur, voit entrer un couple dans le restaurant où il travaille. Très vite, « c’était la fille qu’(il) attendai(t) depuis toujours ». On a un peu peur, de lire des choses comme ça. Mais il y a déjà, depuis le début, comme quelque chose qui ne va pas, quelque chose comme un léger dérèglement – quelque chose qui fait qu’on continue la lecture. On a raison. Une faille se dessine, d’abord géographique, cette ville coupée en deux, sur deux îles, deux mondes voisins et clos ; et une faille intérieure, c’est la vie du narrateur qui est coupée en deux : une partie de sa vie, un métier, sur chacune des deux îles, deux métiers qui ne se complètent pas, qui à eux deux ne forment pas une vie : faire marcher le restaurant familial pour honorer le souhait d’une mère mourante ; être médecin pour la police et démasquer les simulateurs avant leur garde à vue ; non, vraiment, les deux ensemble ne font pas une vie. Bien sûr, en littérature, un dérèglement, c’est bien quand ça s’aggrave – et ça s’aggrave, précisément. Mais ce qui touche, chez ce personnage quasi autiste, incapable en tout cas d’entrer vraiment en contact avec le monde qui l’entoure ; chez cet Etranger d’un pays froid qui semble se dérégler avec lui ; c’est que jusqu’au bout, ce qu’il veut, c’est, tout simplement, vivre.
"...proche de tout et pourtant indiciblement loin à la fois." 10 étoiles

"Tout m’échappe. Je voudrais vivre... Je voudrais tant vivre."... "J'ai peur. Je n'arrive pas à vivre."

Voila ce qui, pour moi, résume l'essentiel de Xavier, cet homme si tourmenté par sa-ses vie(s), vies non-vies, vies schizophréniques, vie autistique.

Dès les 10 premières pages et ce jusqu’à ses derniers mots, l'on est saisi par la violence intérieure, les angoisses existentielles, tous les nombreux et insupportables tourments du protagoniste, être à double vie, double lieu, "inconsistant et fragile. Inhabité, épuisé et vieux", vivant hors de toute vie une impossible, intolérable solitude, tous tourments jamais exprimés jusqu'alors qui iront s'exacerbant au fil du récit, nous laissant cette terrible sensation d'un être mort-vivant, un être de "l'en-dehors" de soi, de la vie vivante.

Un sentiment d’échec, d’échec et mat.

Malgré tout, il me paraît évident que l'auteur, par ce livre, ces mots, cette intimité intérieure d'un homme qui se pense néant, se "vit" tel un rien, ne nous conduit qu'à un questionnement personnel sur notre rapport à nous-mêmes, aux autres, au monde, monde d'immenses solitudes intérieures se côtoyant dans un cercle infernal de paroles sans autre but que se parler à soi-même.

Vie d'aujourd'hui, vies d'autistes.

Provisette1 - - 12 ans - 10 juin 2014


Vivre en décalage 9 étoiles

Xavier vit dans son monde aux côtés de sa mère et des employés du restaurant d'une part, et d'autre près de ses collègues de l'hôpital. Ce monde est en léger décalage, il ne voit pas les choses comme les autres, ne les ressent pas de la même façon, a un besoin excessif de liberté de mouvement, évite au maximum les contraintes et, d'une manière plus générale, ce qui lui pèse.

Quand il rencontre la jeune fille de ses rêves, il subit un véritable choc, cherche mille moyens pour lui plaire et, pourquoi pas, la conquérir ? Mais elle n'est pas libre, et Xavier s'en trouve terriblement affecté...
Sa mère, gardienne de tous ses repères, le protège et le conseille, bien consciente des difficultés de son fils.

Comment vivre "normalement" quand on a la particularité d'être en décalage ainsi ? Les moindres détails de la vie quotidienne semblent plus complexes, les réactions des autres paraissent étranges, et l'incompréhension autour de soi doit être réellement désagréable et pesante.

Dès les premières pages de ce livre, les descriptions des moindres choses qui dérangent Xavier, sa volonté de vivre en dépit de ses difficultés d'adaptation et son besoin d'amour m'ont rapidement conquise, avec une façon de les exprimer un peu naïve parfois, due au regard particulier de Xavier sur la vie.

"J'étais bien, heureux même, à cause du bruit de la fontaine, pur et continu, de son absence si bienfaisante de mots. De l'absence de mots omniprésents, du sens double et ambigu, des multiples couches de sous-entendus, sous lesquelles se cachait le sens véritable, et qu'il fallait déchiffrer, dépouiller, mettre à jour, un art que j'avais tant de peine à maîtriser.".

L'histoire de Xavier m'a fait penser au Syndrome d'Asperger, une forme d'autisme qui ne se remarque pas forcément au premier coup d'oeil ou au premier échange chez les personnes qui en sont touchées.

Nathafi - SAINT-SOUPLET - 57 ans - 7 avril 2013


J'attends avec la patiente des solitaires ! 10 étoiles

Nils Trede est originaire de Heidelberg (Allemagne). Installé à Paris en 1996 où il exerce la profession de médecin généraliste. Il rédige des textes pour l’émission télévisée franco-allemande Karambolage, sur Arte. Nils Trede a publié en 2008 un premier roman remarqué, La Vie pétrifiée (Ed. Quidam).

"C'est que, maman, si tu savais. Je... tout m'échappe. Tout me dépasse. Je ne suis pas fait pour la vie. Il y a une triste distance entre moi et tout. Je ne peux pas me faire comprendre. Et personne ne me comprend".
"Je suis médecin de la Police et serveur dans un petit restaurant. J'ai deux métiers et deux vies; chacune des deux unies seulement par le pont entre elles".
" Je souffre de cette maladie qui s'appelle l'absence d'harmonie. Il y a de la violence dans l'absence et des cris dans le silence".

Xavier a 33 ans et il "ne supporte pas..." .
Pas véritablement autiste. Il semble "s'échapper comme un poisson qui glisse des mains quand on tente de l'attraper. Il a l'air de vouloir partir".
Alors; quand un soir, il croise cette femme, il en est sûr ("je ne me trompe jamais "); elle est celle qu'il attendait depuis toujours.
Elle est celle qui va mettre à jour son inadaptation à la vie.

Un court roman poignant qui démarre lentement et qui met mal à l'aise. Entre empathie avec le personnage principal et rejet de sa noirceur d'âme, on en vient à se poser mille questions.
Un livre plein d'humanité sur la Solitude et l'incompréhension du monde qui nous entoure.
Qui ne s'est jamais demandé: "Mais quelle est ma place dans cette vie ?".
J'ai dévoré ce roman qui se referme sur une note d'espoir par une belle métaphore ( l'écluse ! )
Encore merci à Feint pour cette recommandation .

Frunny - PARIS - 59 ans - 11 février 2013