Murambi : le livre des ossements de Boubacar Boris Diop

Murambi : le livre des ossements de Boubacar Boris Diop

Catégorie(s) : Littérature => Africaine , Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 30 septembre 2008 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 719ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 6 690 

« Et tous ces Tutsi à tuer ! »

« Tubatsembatsembe ! Il faut les tuer tous ! » Harcelés par les tutsi du FPR, les hutu qui assument un pouvoir chancelant, décident de mettre en œuvre une solution radicale : l’éradication définitive des tutsi du Rwanda. Alors, un gigantesque génocide s’abat sur cette ethnie, une tuerie méthodique et organisée, ancestrale et bestiale, sans aucun état d’âme, froide comme la lame de la machette mais épuisante tout de même. « Tuer autant de personnes sans défense nous posera sûrement des problèmes. A la longue, cela peut-être monotone et lassant. »

Quatre ans après cette gigantesque boucherie où périrent huit-cent-mille, un million, un million-deux-cent-mille, … Rwandais en quelques jours ? Mais comment les compter, Fest’Africa lance un projet auquel répondent dix écrivains africains dont Boubacar Boris Diop, pour partager le deuil de ce peuple, témoigner de sa douleur et constituer une œuvre pour la mémoire des disparus et pour la reconstruction des survivants. Boubacar a choisi la fiction pour construire son témoignage après avoir écouté de nombreux témoins qui ne pouvaient encore que difficilement mettre des mots sur l’indicible. Les regards étaient encore plus lourds que les mots. Mais en fait, c’est un témoignage sans concession, même pour les Français, qu’il livre à travers l’histoire de deux Rwandais : Jessica, la jeune femme héroïque qui prend tous les risques pour infiltrer les hutu dans la ville en sang et renseigner les rebelles tutsi, et Cornelius qui a quitté le Rwanda avant le génocide pour échapper à d’autres massacres prémonitoires et a vécu une jeunesse paisible à Djibouti pendant qu’on décapitait son peuple à la machette. Cornelius rentre au pays où il retrouve ses quelques amis survivants dont la courageuse Jessica qui a échappé au massacre, et doit affronter la destinée de sa famille qui a connu les affres du bourreau et de la victime. Il devra faire un long chemin avant «de penser à ce qui peut encore naître et non à ce qui est déjà mort. »

Pour rendre son récit encore plus véridique et plus crédible, tel le rapport d’un médecin légiste, Diop parsème son oeuvre de témoignages tous plus cruels les uns que les autres où la sauvagerie le dispute au cynisme et la veulerie à la cupidité. C’est un témoignage sans émotion particulière, des faits, des faits bruts, insoutenables, accusateurs qu’il faudra garder en mémoire pour reconstruire un peuple même s’il y a un fleuve de sang entre les ethnies. « Tout cela est absolument incroyable. Même les mots n’en peuvent plus. Même les mots ne savent plus quoi dire. »

Bien qu’il ait inscrit « roman » sous le titre de son ouvrage, Diop n’essaie pas de nous conduire dans une histoire, il veut nous imprégner de son témoignage et de son analyse. « Il dirait inlassablement l’horreur. Avec des mots-machettes, des mots-gourdins, des mots hérissés de clous, des mots nus et des mots couverts de sang et de merde. » Et, un jour peut-être, le pardon donnera naissance à un nouvel espoir, « … les morts de Murambi faisaient des rêves, eux aussi, et … leur plus ardent désir était la résurrection des vivants. »

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"La plainte du supplicié n’est que ruse du diable."

9 étoiles

Critique de Rotko (Avrillé, Inscrit le 22 septembre 2002, 50 ans) - 1 mai 2014

Comme Boubacar Boris Diop, Gil Courtemanche était journaliste, et il avait choisi d’écrire un roman pour raconter le génocide du Rwanda : la multiplicité des personnages et la diversité des positions ne permettait pas , à ses yeux, de rendre la complexité des situations. 'Un dimanche à la piscine à Kigali de Gil Courtemanche

Sur le même terrain, Jean Hatzfeld a donné la parole aux protagonistes Hutu et Tutsi, y compris dans son troisième roman, Englebert des collines, 112 p chez Gallimard, pour faire comprendre ce qu’on étiquette trop facilement du mot « indicible ».

« Tout cela est absolument incroyable. Même les mots n’en peuvent plus. Même les mots ne savent plus quoi dire ».

Or il faut écouter les personnages, dans les liens qui existent entre eux, dans leur positions respectives, si choquants que nous paraissent leurs propos, ou les motivations de leurs actions : Ainsi ce que découvre Cornélius, sur le rôle assumé par son père, figure centrale de l’organisation des massacres :

« Après un génocide, le vrai problème ce ne sont pas les victimes mais les bourreaux. Pour tuer près d’un million de personnes en trois mois, il a fallu beaucoup de monde. Il y a eu des dizaines ou des centaines de milliers d’assassins et la plupart étaient de braves pères de famille. Et toi tu es juste le fils de l’un d’eux »

Ainsi vit-on de l’intérieur, acteurs et victimes mêlés, victimes en précaires sursis, survivants rongés par la culpabilité ou tentés par la vengeance, aux premiers stades du drame, pendant les opérations, ou l’épilogue : comprendre les mécanismes malgré des discours français qui viseraient à dédouaner les gouvernements de « l’épisode Turquoise »…

Dans le livre de Boubacar Boris Diop, des acteurs aussi inattendus que des docteurs et des religieux sont au premier plan des tueries, et on entend des propos dont le cynisme (ingénu ?) glace davantage d’horreur que des scènes effrayantes ( d’ailleurs généralement évitées dans le récit)

Voici les plaintes des massacreurs :

« Nous avons peut-être sous estimé l’effort physique que cela représente de tuer tant de gens à l’arme blanche. Ceux qu’ils veulent éliminer ne leur facilitent pas la tâche et on les comprend. Ils courent, ils crient, ils s’accrochent aux bras des interfaçage essaient de les soudoyer par divers moyens, brefs ils font tout pour prolonger leur existence de deux ou trois misérables minutes. C’est absurde et même mystérieux dans, un sens, cet acharnement à vivre, mais c’est ainsi. Nos ennemis ne veulent pas comprendre la situation : nous ne plaisantons pas, et ils n‘ont aucune chance. En fin de compte, ils mettent à vif les nerfs de nos gars et diminuent chaque jour leur potentiel physique… »


Et voici la formulation résolue du bourreau, sûr de détenir une vérité qui implique à ses yeux la mort du prochain :

 « Mon unique foi est la vérité. Je n’ai pas d’autre Dieu. La plainte du supplicié n’est que ruse du diable. Elle veut obstruer le souffle du juste et empêcher sa volonté de se réaliser. »

On ne peut rester insensible à de tels comptes-rendus et professions de foi. C’est pourquoi ce genre d’ouvrage est à lire puisqu’il nous questionne.

On entend aussi des propos qui, conscients des drames, ne prônent pas la capitulation ou la résignation , comme la voix de Siméon.

« Il n’existe pas de mots pour parler aux morts […] Ils ne se lèveront pas pour répondre à tes paroles. Ce que tu apprendras là-bas, c’est que tout est bien fini pour les morts de Murambi. Et peut être respecteras tu encore mieux la vie humaine [ nous ne savons même pas à que jeu elle joue avec nous, la vie, mais nous n’avons rien d’autre. C’est la seule chose à peu près certaine sur cette Terre. »

On s’étonnera aussi que le premier génocide ( l’holocauste ) et le troisième (le génocide des tutsi) donnent lieu à ces récits nécessaires, alors que le 2e, le génocide arménien, soit, à ma connaissance, bien peu présent dans les relations en langue française.

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