Remington
de Joseph Incardona

critiqué par Sahkti, le 1 octobre 2008
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Entre amour et écriture
Le personnage principal de ce livre se nomme Matteo Greco. Ecrivain qui se cherche, homme cultivé, il a quelque peu loupé le coche de la vie professionnelle et le voilà qui exerce des boulots de vigile ou de garde du corps pour arrondir ses fins de mois de chômeur. Il participe également à des ateliers, dans lesquels il s'épanouit. Mais c'est surtout dans la lecture des faits divers que notre homme prend son pied. Collectionnant les entrefilets de quelques lignes, il s'installe après lecture devant sa vieille Remington et écrit une nouvelle, inspirée de l'article de journal. Un exercice salutaire qui non seulement lui permet de survivre, mais l'aide aussi à évoluer et à avoir envie de se lancer dans un projet plus grand.
Matteo a rencontré Elsa lors de ces ateliers; elle lui prête un soir un livre, il l'entame, n'aime pas ce que fait l'auteur et c'est un choc pour lui: il se dit qu'il pourrait faire beaucoup mieux et se lance donc dans la réécriture du bouquin. Un travail de longue haleine... pas forcément payant. Elsa va se révéler être la pire des garces.

La première partie de ce roman m'a semblée presque parfaite. Introspections intéressantes du personnage, rythme bien maîtrisé, histoire humaine attachante et puis une écriture, par phrases courtes et bien pesées, qui m'a séduite. Nous n'avons pas affaire à un surhomme mais à un type très ordinaire qui lance un regard hors normes sur sa vie et sur les autres. C'est drôle, touchant, grave aussi.
Et puis ça commence à se gâter. Elsa prend de plus en plus de place dans le récit et les histoires d'amour du genre, je m'en méfie toujours. Une fois de plus, j'ai eu raison de douter. Intrigue et Matteo ont été complètement balayés par la personnalité peu accrocheuse de Elsa Duvivier, par cette liaison chaotique et par le drame qui en découle. Les apirations de l'auteur, passées à la moulinette, occupent dès lors une place furtive et je trouve ça dommage, c'est ce qui faisait son charme (et celui du roman).
Déception, en particulier sur la fin, quelque peu bancale.
Joseph Incardona montre dès les premières pages du bouquin de quoi il est capable: d'écrire de l'excellent. Ce qui me fait regretter qu'il n'ait pas poursuivi dans la même veine tout au long de son récit, cela aurait donné un texte vraiment extra.
Je ne sais pas 8 étoiles

Il est parfois difficile d'expliquer pourquoi un livre nous a tant plu. Ce remington est ultra classique : un escort boy plutôt sympa, écrivain à ses heures, tombe amoureux d'une fille qui lui en fait baver. C'est pas très sexy tout ça.
Ajoutez y une écriture très simple, limpide mais simple, et ça nous donne un roman dont on pourrait dire qu'on l'a lu cent fois.
Mais c'est sans doute le talent d'Incardona de nous faire avaler une histoire convenue avec un style passe partout, suscitant malgré tout un intéret constant chez le lecteur.
L'utilisation du "je" très immersif rend ce Mattéo très attachant, et j'avoue avoir eu très souvent le sourire au bord des lèvres sur certains passages.
Bref, lu avec beaucoup de plaisir. Sans doute que je voulais du léger en débutant celui là, je n'ai pas été déçu à ce compte là et c'est tant mieux!

El grillo - val d'oise - 51 ans - 11 mars 2009


Remington 9 étoiles

Il y a des signes qui ne trompent pas : quand, une fois entamée une lecture, la seule perspective de faire la queue à la préfecture ou à la sécu aurait plutôt tendance à vous enchanter ; quand vous prenez rendez-vous chez un médecin réputé pour son retard légendaire ; quand les personnages du livre en question se rappellent régulièrement à vous plusieurs fois par jours ; quand dans ces occasions vous vous surprenez à élaborer des hypothèses sur leur sort à venir ; quand, enfin, vous ne cessez de parler de cette lecture autour de vous, on peut penser que vous tenez là un bon, un très bon bouquin. De ceux qui comptent indéniablement. Comme Remington.

Matteo Greco est un type sympathique, non dénué d'humour qui, quand il ne pointe pas aux ASSEDIC est vigile pour une société privée de gardiennage. Si ça n'avait tenu qu'à lui, il serait devenu boxeur ou écrivain, deux passions qu'il exerce régulièrement. C'est d'ailleurs en participant à un atelier d'écriture qu'il fait la connaissance d'Elsa, une jeune femme instable et calculatrice avec laquelle il va nouer une relation conflictuelle. Celle-ci lui confie un jour le manuscrit sur lequel elle a travaillé et Matteo, en virtuose des mots justes et d'un style qu'il ne se connaît pas brillant, Matteo, l'amoureux à sens unique, s'empresse de le réécrire. Quelques mois plus tard, le manuscrit remanié est édité sans qu'Elsa l'en ait informé...

Ainsi présenté, on serait en droit de penser : "Tout est dit". Le titre, l'histoire, peu de surprises ou de découvertes en perspective, tout compte fait. Or, c'est bien tout le contraire qui se produit. Car Joseph Incardona ne se contente pas de raconter une histoire et point barre. Avec humour, cynisme, amertume et une touchante humanité, il ouvre aussi une fenêtre sur notre époque où le quotidien - celui de Matteo, de ceux qui croisent sa route, le nôtre - est mis en relief pour disséquer les rouages d'un drame en devenir. C'est en ceci que la construction de Remington est redoutable. A travers les faits divers qui ponctuent le roman et dont Matteo se sert pour composer ses écrits, le lecteur perçoit, pressent, sait, qu'il est en train d'assister à la création de l'une de ces tragédies vouées à figurer dans les entrefilets des journaux, et sur lesquels on ne s'attarde qu'avec la curiosité des accidents de bord de route.

Cette focalisation sur le quotidien combinée à des personnages subtilement dépeints n'enlève en rien à la qualité de Remington. Profondéments humains, je l'ai dit, dans leur détresse, dans leur relative banalité comme dans leur plus totale perfidie, aucun ne laisse indifférent. Chacun à sa manière contribue même à ce que le lecteur vibre au staccato des mots, au rythme qu'insuffle Joseph Incardona avec des phrases relativement courtes et des descriptions qui ne s'attardent qu'à l'essentiel.

"Meubler le vide est une imposture", dit Matteo en évoquant, comme parfois, le travail d'écriture.

Il n'y a aucune place au vide dans ce roman là. Pas de répit non plus. Ne reste que le coeur serré pour un fait...certainement pas divers.

BiblioMan(u) - - 50 ans - 4 octobre 2008