New York Trilogie, Tome 1 : La Ville
de Will Eisner

critiqué par Féline, le 12 octobre 2008
(Binche - 46 ans)


La note:  étoiles
Tranches de vie
Voilà plusieurs jours que j’ai refermé cette BD et j’avoue que j’ai beaucoup de mal à écrire ce billet. Non pas qu’elle ne m’ait pas plu. Au contraire, je l’ai adoré. Et c’est justement là mon problème. Je ne m’y connais pas du tout en BD et jusqu’ici, je n’ai écrit des billets que sur des séries sans prétention. Là, il s’agit d’un maître de la BD, reconnu dans le milieu et qui a même un prix à son nom. Je me sens donc assez maladroite pour parler de son œuvre. Mais bon, tant pis, je me lance et vous mes pardonnerez mes maladresses, j’espère.

Will Eisner est né à New-York, dans le Bronx. Avec cette trilogie, il a voulu parler de sa ville, mais finalement, comme il le dit lui-même, de toutes les grandes villes du monde. Car chacune des petites histoires qu’il met en scène dans cet album, à l’origine des planches publiées de manière hebdomadaire dans une revue, pourrait se dérouler dans n’importe quelle grande métropole du monde entier.

L’album est divisé en parties, chacune consacrée à un élément particulier de la ville : une bouche d’incendie, un perron, le métro, les détritus, la musique de rue, une fenêtre, un mur ou encore le bloc d’un quartier. Il met en scène des personnages normaux, simples, quelconques, parfois pathétiques. Dans ses vignettes, Will Eisner donne une véritable dimension humaine à la grosse pomme. Ce qui est sûr, c’est qu’on est loin du strass et des paillettes de Manhattan, de Broadway ou de Times Square. Les vedettes, ce sont les petites gens mais aussi, et surtout, la ville avec ses trottoirs, ses murs délabrés et ses quartiers moins reluisants. Bref, on est loin du New-York pour touristes, on accompagne les New-Yorkais des années 70-80.
Le dessin est exclusivement en noir et blanc, et n’est pas franchement d’un esthétisme agréable. Mais il est efficace et sert l’histoire racontée. La technique utilisée par Eisner est détaillée dans l’album, mais en tant qu’inculte en la matière, je ne peux ni juger, ni même me permettre d’en parler.

L’album, réédité par Delcourt, est réellement un bel objet, avec une couverture souple et un papier de très bonne qualité et bénéficie d’un très bel hommage de Neil Gaiman en postface. Je remercie l'amie qui m’a fait ce très beau cadeau pour mon anniversaire et pour prolonger mon voyage à New-York, qui m’avait enchantée.

Le tome deux est déjà acheté ! Il ne me reste plus qu'à le lire.
Une Grosse Pomme finement croquée 7 étoiles

Ces historiettes illustrant la vie quotidienne new yorkaise sont un régal d’humour, avec toujours une pointe de critique sociale. Will Eisner décrit le plus souvent les quartiers déshérités de New York, où l’on comprend que si la vie n’est pas rose tous les jours, elle est plus animée, plus turbulente, et se glisse plus volontiers sous la plume de l’auteur. On sent bien que celui-ci a beaucoup écumé les trottoirs de la mégalopole, et qu’il l’aime autant qu’il peut la détester, avec son bouillonnement, son exubérance mais aussi ses injustices et ses drames de la pauvreté. Le trait est vif et les mouvements bien sentis, les personnages ont des dégaines se prêtant au burlesque. La poésie n’est pas en reste et évoque parfois celle de Sempé, autre croqueur de scènes urbaines.

Quant à la mise en page, elle est peu conventionnelle. L’auteur recourt rarement au découpage en cases et n’hésite pas à superposer décors et personnages sans que cela ne gêne en rien la lecture (voir la scène du « Labyrinthe », très caractéristique). Car c’est aussi ça, le talent d’Eisner. J’ai toutefois relevé une ou deux petites incohérences, qui paradoxalement n’avaient aucun rapport avec la mise en page mais plus avec le dessin, par exemple le strip où un vieil homme invalide observe ce qui se passe dans l’immeuble en face. Là, je n‘ai pas compris qui cassait le carreau de la voisine et dans quel but, il y a en outre un petit problème de perspective… Mais cela n’est pas fondamentalement gênant, la poésie d’Eisner faisant oublier ce genre de défaut.

Will Eisner, c’est un peu l’anti-Disney, même si les signatures des deux hommes se ressemblent étrangement et que les noms comportent beaucoup de lettres en commun. Contrairement à Disney qui ne cherche qu’à divertir son public, Eisner n’hésite pas à intégrer dans ses gags la dimension tragique d’une société extrêmement inégalitaire que sont les Etats-Unis. Certes, c’est moins vendeur pour ceux qui préfèrent croire en l’existence des royaumes magiques, mais la réalité n’est jamais niée ou transformée, et la valeur testimoniale sur la ville et l'époque n’en est que plus forte.

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 6 novembre 2012