Les passagers anglais
de Matthew Kneale

critiqué par FROISSART, le 13 novembre 2008
(St Paul - 77 ans)


La note:  étoiles
Le commentaire de Patryck Froissart
Titre : Les passagers anglais
Auteur : Matthew Kneale
Editeur : Belfond (Paris 2002)
Titre original : English passengers
Traduit de l’anglais par Georges-Michel Sarotte
ISBN : 2-7144-3868-7
439 pages


Un groupe d’Anglais farfelus, sur la foi d’un des leurs, le révérend Wilson, que l’Eden perdu se trouve au fin fond de la Tasmanie, embarque en 1857, à la recherche du paradis terrestre, sur la Sincérité, un trois-mâts mannois rafistolé qu’ils ont affrété faute de mieux, dont le capitaine, qui a rempli ses ballasts secrets de marchandises de contrebande, fuit l’Angleterre pour échapper à la douane anglaise qui a flairé le cognac et le tabac dissimulés dans ses flancs.

Les péripéties de la Sincérité, du capitaine, des passagers sont narrées à la première personne par les voix qui s’entrecroisent du révérend Wilson, du docteur Potter, l’un des passagers, qui écrit une thèse sur sa vision de la classification des races humaines, et du capitaine mannois Kewley.
A ces voix, à ces points de vue, dont l’alternance permet de suivre les événements de points de vue différents, voire opposés, s’ajoutent celles et ceux de personnages de la Terre de Van Diemen, appellation de la Tasmanie à cette époque, dont la colonisation a commencé trente ans plus tôt.

C’est ainsi que nous recevons le récit fait par le forçat Jack Harp de ses aventures, l’avis de plusieurs gouverneurs des nouvelles colonies, les confidences de quelques épouses de colons…

Parmi tous ces récits qui s’entrecoupent, dont les narrateurs protagonistes se croisent sur mer et sur terre, il en est un qui est particulièrement émouvant : celle de Peevay, fruit du viol d’une aborigène par un aventurier anglais. Par les yeux de Peevay nous découvrons toute l’horreur de l’extermination organisée, planifiée du peuple aborigène de Van Diemen par les autorités coloniales.
Peevay sera le seul survivant, métis, de ce génocide historiquement authentique, dont l’abomination est soulignée par les motivations froidement économiques et par le pragmatisme politique des colonisateurs, par les justifications que lui donnent les théories raciales plaçant l’aborigène entre l’homme et le singe, par l’opinion des évangélisateurs frustrés par le manque d’intérêt des indigènes pour la « vraie religion ».

Ce qui se passe, se dit, s’écrit, se pense dans ce pays, dans ces têtes, dans ces lettres qu’échangent certains personnages, annonce les idéologies puantes qui aboutiront, un siècle plus tard, à la Solution Finale.

Ce roman se fonde sur un travail d’historien. Les situations cocasses qui le ponctuent n’enlèvent rien au regard lucide, accusateur, de l’auteur sur la tragédie du peuple tasmanien.

Un livre d’une intensité rare.

Patryck Froissart
St Gilles les Bains, le 13 novembre 2008
Qui donc est supérieur à qui ? 10 étoiles

Un roman époustouflant de Matthew Kneale qui nous entraîne au fin fond du monde à travers plus de 700 pages tour à tour cocasses, épiques ou même dramatiques ! C'est là tout l'art de Kneale d'alterner le chaud et le froid, l'humour et la gravité (voir "Cauchemar nippon" ou "Maman, ma soeur, Hermann et moi")...

Nous sommes au 19ème siècle. La Terre de Van Diemen devient la Tasmanie. Les populations aborigènes sont décimées par les maladies importées par les blancs, quand ce n'est pas par les armes des blancs eux mêmes ! Certains sont parqués dans des réserves...parmi ceux-ci, Peevay, un métis fruit des "amours" de Jack Harp, un forçat évadé, et Wayeric, une pauvre aborigène enlevée et violée par le dit Harp.

En 1857, le révérend Wilson, pasteur géologue à ses heures, monte une expédition car il est persuadé que le Jardin d'Eden se trouve en Tasmanie ! Il est accompagné du docteur Potter, un drôle de paroissien adepte de théories sur la supériorité de certaines races qui en feraient frémir plus d'un aujourd'hui et du jeune Renshaw, un plus ou moins botaniste surtout fils de famille bon à rien dont le père est heureux de se débarrasser ! Après moult péripéties et contretemps, ils embarquent tous les 3 à bord de "la Sincérité", un navire de contrebandiers de l'île de Man commandé par le capitaine Kewley. Il va sans dire que l'expédition ne tournera pas comme prévu !

En parallèle, nous découvrons à travers différents témoignages (colons, gouverneurs successifs, bagnards, etc...) l'évolution de la situation de la colonie de 1830 jusqu'à l'arrivée de "La Sincérité" à Hobart...

Je crois que ce "Passagers anglais" est le meilleur roman que Matthew Kneale nous ait offert à ce jour... Un très bon moment de lecture, assurément !

Patman - Paris - 62 ans - 13 septembre 2012