Le reste du temps
de Esther Croft

critiqué par Aaro-Benjamin G., le 18 novembre 2008
(Montréal - 55 ans)


La note:  étoiles
Les malchanceux
Chaque nouvelle de ce recueil est une succession de malheurs. Des portraits de personnages aux prises avec un obstacle, une peine à un moment de leur vie. Souvent la maladie, ou un deuil à faire. L’auteur est implacable. Elle nous raconte la douleur sans ciller. Heureusement, en fait, car il aurait été insupportable d’ajouter l’apitoiement et les larmes à tous ces drames. Avec une grande finesse, elle raconte la prise de conscience, ce moment précis où l’on fait face à son destin ou sa condition. De plus, la prose est belle et donne lieu à des instants de grâce.

Néanmoins, la répétition de la même thématique - lorsque les nouvelles sont lues en boucle - est étouffante. Surtout en raison de cette manière d’écrire en bloc jusqu’à l’essoufflement. S.V.P. de plus petits paragraphes pour respirer !

Parmi tous ces textes lourds et tristes, celui de « L’œil de Caïn » m’a interpellé parce que le décès du frère aîné débouche au moins sur une leçon. Les autres, dans lesquels on rencontre par exemple, une mère atteinte du cancer, une adolescente légèrement retardée désireuse d’en finir, un père découragé par son fils délinquant, ou les parents divorcés d’un fils dans le coma, sont souvent effroyables dans leurs conclusions.

Le véritable exploit aurait été de nous montrer, comment transcender toutes ces calamités.
Face à la mort 7 étoiles

Esther Croft est très sensible au sort qui attend l’humanité souffrante. Avec ce recueil de nouvelles, elle se penche sur ceux qui plongent malgré eux « en chute libre » dans « l’océan trompeur », dont les miroitements laissent croire aux destins les plus prometteurs.

Les possibles se buttent toujours aux portes de la vulnérabilité. Dans cette œuvre, les héros s’assument en transcendant leurs sentiments d’impuissance devant la maladie et la mort. Avec la force du désespoir, ils accrochent leur détresse à l’espérance d’un autre mode de vie possible. Dans le film La Neuvaine de Bernard Émond, l’héroïne médecin trouve son salut dans son utilité à sauver encore d’autres vies. Dans Dawson Kid de Simon Girard, la strip-teaseuse ne s’en laisse pas imposer par le spectre du meurtrier cinglé en se consacrant dorénavant à la boxe. Les nouvelles font ressortir ainsi la dynamique qui soutient les protagonistes devant l’écran noir de la fatalité et de leur finitude.

Esther Croft joint aussi sa thématique à tout ce qui contient l’existence entre parenthèses. Pas de révolte flamboyante, juste une lueur qui empêche l’obscurité d’imposer sa loi. Dans un monde marqué par le silence divin, les personnages n’ont d’autre choix que de s’articuler un monologue rédempteur, comme ces parents au chevet de leur fils mourant, ou cette vieille dame retirée avec son mari au Lac Noir pour confier au courant son dernier souffle.

La douceur de l’écriture imprègne ce recueil afin que les fins dernières ne distraient pas du devoir premier de se créer une symbolique de l’infini, comme le recommande vivement Élise Turcotte dans Comment faire une maison pour ses morts.

Libris québécis - Montréal - 82 ans - 3 août 2015