Pourquoi faire une maison avec ses morts
de Élise Turcotte

critiqué par Aaro-Benjamin G., le 1 décembre 2008
(Montréal - 55 ans)


La note:  étoiles
La mort et elle
D’emblée, l’auteur nous révèle qu’elle a toujours pensé à la mort. Tout au long de ce recueil de nouvelles, c’est sa relation personnelle avec la dame noire qu’elle aborde majoritairement. Heureusement, le ton est juste. Elle ne se laisse pas aller aux effusions de larmes, ni à l’humour déplacé ou la poésie morbide. Le sujet est débité sobrement, par des histoires simples nous faisant partager sa fascination pour le trépas.

En même temps, cette manière - un peu détachée - de parler du deuil fait en sorte que l’on a l’impression de ne plus être en territoire de la fiction. D’ailleurs, le texte du titre ressemble plutôt à un essai ou un extrait d’un document sur les us et coutumes entourant la mort. Étrangement, c’est « Tombeau d’un oiseau », la nouvelle racontant la mort d’une perruche qui m’a ému et non celles traitant du deuil d’un humain !?

Certains lecteurs n’aimeront pas. On passe d’une femme qui contemple le suicide par « hara kiri » à l’archivage clinique des derniers moments de la vie. Rien de joyeux. Personnellement, j’aime bien les choses sinistres et grises, donc j’ai apprécié, bien que forcé d’admettre n’avoir rien appris de nouveau sur la grande faucheuse.
Pour qui sonne le glas ? 8 étoiles

À l’ère des pré-arrangements et des rituels improvisés devant une urne funéraire, la mort a perdu de sa solennité. Terminé le crêpe noir à la porte de la maison habitée par le défunt et la veillée au corps pendant trois jours. Terminé le glas aussi qui annonce l'heure des funérailles présidées par un prêtre vêtu d’une chasuble noire. Ainsi désacralisée, la mort devient un passage obligé dont il faut s’acquitter le plus rapidement possible. « The show must go on ». Nous perdons de vue que la vie repose sur ceux qui l’ont entretenue. Le respect des fins dernières disparu, nous nous créons une société sans ancêtres comme si l’existence avait commencé et se termine avec nous.

Élise Turcotte aborde la finitude, un sujet souvent relayé aux calendes grecques. Son œuvre invite à recréer une symbolique pour que la mort reconquière toute sa poésie et sa beauté par des rituels que suivent même les animaux, tels « les éléphants qui tracent un cercle en piétinant la terre pour délimiter le lieu de leur dernier repos ». L’acceptation du phénomène prédispose davantage à la création d’une mythologie qui accompagne le passage de la vie à trépas. Bien comprise, la mort facilite en quelque sorte le processus du deuil. Comme nous la vivons aujourd’hui, les survivants risquent beaucoup plus d’en être marqués. Ils auront l’impression d’avoir été abandonnés. Par contre, savoir « faire une maison pour ses morts », ne peut rendre la vie que plus belle.

À travers sept courts textes d'une grande unité, Élise Turcotte suggère la voie royale à suivre pour accompagner ceux qui passent le relais aux survivants. Ses récits martèlent forcément la thématique, mais l'écriture est un vrai délice.

Libris québécis - Montréal - 82 ans - 29 septembre 2014