La fille sans qualités
de Juli Zeh

critiqué par Sentinelle, le 10 décembre 2008
(Bruxelles - 54 ans)


La note:  étoiles
perversité
Le jeu pervers de deux élèves du lycée privé Ernst-Bloch, lycée huppé situé à Bonn en Allemagne, trouve son épilogue dans un bain de sang. L'avocate à laquelle on confie l'affaire est bouleversée, tant elle a du mal à juger cet acte. Elle entreprend alors d'écrire l'histoire des trois protagonistes, leur rencontre, les prémices du jeu, son déroulement jusqu'à l'irruption de la violence.

Les deux élèves en question se nomment Ada (quatorze ans) et Alev (dix-huit ans).
Ada, dotée d’une intelligence supérieure mais dépourvue d’un physique avenant, n’est pas une adolescente comme les autres : froide, s’isolant volontairement des autres, elle se sent totalement indifférente au monde, indifférente à ses sentiments, n’hésitant pas à clamer l’équivalence de toutes choses : « Je peux faire ce que tu attends de moi comme je peux le refuser. Pour moi, les deux possibilités ont une valeur identique. » Alev, qui débarque au lycée un an après Ada, se fait très vite remarquer : sa séduction, son érudition, son assurance, son tempérament et son cynisme lui confèrent d’emblée une position dominante parmi ses pairs.

Ada, qui trouve en Alev un partenaire à sa hauteur, tombe elle aussi rapidement sous son charme. Alev se rend vite compte de l’effet qu’il produit sur Ada, cette étrange fille sans qualités ni véritable identité. Lui non plus ne croit plus en rien, si ce n’est à la toute puissance de l’instinct du jeu. Et une manière de la mettre à l’épreuve est de se transformer en show master qui établit les règles du jeu des destins, une sorte de maître du jeu pervers et machiavélique qui n’hésitera pas à jeter son dévolu sur leur jeune professeur de sport, Smutek, réfugié polonais ambitieux. Ada et Alev, s’autoproclamant arrière-petits-enfants des nihilistes et de Nietzsche, sans oublier Smutek, telles sont les pièces d’un vaste échiquier où la domination, la manipulation, l’humiliation, le chantage, l’immoralité et la perversité se feront la part belle.

Plusieurs références émaillent « La fille sans qualités ». Celles qui reviennent le plus souvent se réfèrent à Nietzsche ou à « L’homme sans qualités » de Robert Musil. N’étant pas férue de philosophie, je suis sans nul doute passée entre certaines mailles du filet tendu par Juli Zeh, qui nous livre là un roman aussi exigeant qu’interpellant, avec parfois ce sentiment de naviguer entre le film « Elephant » de Gus Van Sant et le roman « Les liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos, mais il est aussi bien plus que cela. L’auteur dissèque les conséquences de la crise des valeurs et des grandes idées, l’absence de l’idéologie et la fin des idéaux de notre société contemporaine sur une certaine jeunesse en mal d’identité qui ne croit plus en rien, si ce n’est à l’instinct et au démon du jeu, « l’ultime forme possible d’existence et par conséquent l'ultime forme possible de bonheur », où la frontière entre le bien et le mal est des plus floues et des plus fragiles. Ce roman, qui n’évite pas toujours certaines lourdeurs et certaines envolées philosophiques, reste néanmoins magistral dans la démonstration. Il n’a donc pas usurpé le titre très convoité d’événement littéraire à sa parution.
la vie d'ada 4 étoiles

Un thriller psychologique qui fait froid dans le dos, tellement il met à mal la morale, les bons (et mauvais) sentiments, et plus généralement tout ce qui est censé faire le ciment de la société. L'histoire d'Ada, jeune lycéenne surdouée, physiquement et mentalement, et sa rencontre avec le jeune Alev, élève de terminale manipulateur et impuissant, va déclencher une série d'événements incontrôlables, dont le suicide d'un des enseignants n'est pas le moindre. L'auteure est-elle nihiliste, ou veut elle nous alerter sur les dangers qui guettent l'adolescent lorsqu'une intelligence sans conscience l'amène aux pires errements ? On ne le saura pas, tant le message, si message il y a, est noyé sous une profusion de références puisées dans la philosophie allemande, dont sont friands nos jeunes "héros". Si le but de Juli Zeh est de nous entraîner dans un univers cauchemardesque, aux confins extrêmes de la réalité, le pari est réussi, mais la complaisance avec laquelle, par le truchement de ses personnages, elle étale sa culture littéraire laisse penser que son ambition allait bien au-delà. Dommage…

Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 76 ans - 22 août 2015


Quand la vie est un jeu 8 étoiles

Une magistrate raconte la difficulté qu’elle a eu de prononcer un jugement sur une affaire. Il s’agit du jeu pervers que 2 lycéens, d’une intelligence au-dessus de la moyenne et qui ne croient en rien ni n’attendent rien de la vie, ont inventé en piégeant un de leurs professeurs.

Le livre montre le monde scolaire avec des adolescents blasés, des jeunes filles qui s’essaient à la séduction, des professeurs qui recherchent les élèves intéressés par leurs cours. En toile de fond, la vie familiale avec les disputes d’incompréhension réciproque en famille et l’incommunicabilité entre les êtres. Des réflexions sur la justice et le droit font également leur apparition en début et fin d’ouvrage quand la juge s’exprime.

L’écriture est froide et détachée. Les faits sont énoncés avec une absence de sentiment telle que le ressentent les 3 personnages principaux. On n’a affaire qu’à la « raison » et à une expérience scientifique sur des humains pour tester une théorie qui rappelle celle de Stanley Milgram.

J’ai passé de très bons moments avec ce livre qui explore notamment le sens qu’on donne à la vie et les motivations des actes que l’on commet qui ne sont parfois que des pulsions fugitives qui engagent pourtant profondément.

IF-0212-3837

Isad - - - ans - 11 février 2012


Exploration passionnante 9 étoiles

La femme sans qualités

Voici une exploration passionnante dans l’adolescence désabusée. L’histoire est sans doute improbable ou du moins hautement machiavélique, presque tordue mais elle est servie par des personnages passionnants et déroutants. On se laisse totalement happer.
Le parallèle avec l’homme sans qualités est très bien orchestré. Dans les titres de chapitre tout d’abord, dans la personnalité d’Ada ensuite. Comme pour l’homme sans qualités, c’est plutôt la femme sans spécialité. Une femme reflet de son temps, forcément un peu perdue.
Evidemment il n’y pas toute l’intemporalité du chef d’œuvre de Musil ; la puissance évocatrice de la nature humaine n’est pas aussi forte mais ce livre se laisse dévorer et nous invite à la réflexion : réflexion sur notre époque, notre jeunesse, la jeunesse, sur l’autre. Une réussite.

Ulrich - avignon - 50 ans - 18 août 2009


Plus qu'agréable surprise... 9 étoiles

Livre dense et fouillé, à l’écriture précise et cultivée, ce roman ne laisse certes pas indifférent. Il décrit jusqu’au moindre détail la vision du monde vue au travers des yeux de deux adolescents nihilistes qui peuvent se permettre de se prévaloir de Nietzsche au vu de leur intelligence supérieure et de leur détachement absolu envers toute forme de loi ou de moralité. Le hasard (mais existe-t-il ?) les fait se rencontrer sur les bancs d’une même classe et la somme de leur détachement respectif sera supérieure aux parties individuelles, ces deux êtres vont alors entrer dans une spirale de manipulation en abyme qui brûlera quelques ailes au passage. Comme précisé dans la critique ci-dessus, ils vont jeter leur dévolu sur un jeune professeur de gymnastique polonais, Smutek, qui est la cible idéale de leurs expériences sociétales : Ada aime courir et il ambitionne d’en faire une championne, il est ami avec le professeur d’histoire, seul autre « cerveau » de l’école, il a une femme charmante qu’il aime d’un tendre amour, il n’est pas vraiment apprécié du directeur, etc, … bref, un terrain parfait pour un petit jeu ! Jeu qui évoluera et s’amplifiera jusqu’à son point de rupture, mais principalement car Ada ne tiendra pas la distance par rapport à Alev… rupture du jeu, rupture de la règle, rupture des liens de maître-esclave… et donc révolte des protagonistes qui finiront devant le juge. Je ne vous spoilerai pas l’épilogue, mais « bain de sang » (d’ailleurs repris en 4ème de couverture) me semble quand même fortement exagéré…

Comme je l’écrivais ci-dessus, c’est un livre qui se veut très fouillé et très profond, il tente d’aller très loin dans l’analyse humaine et les relations entre les gens, il en ressort une œuvre extrêmement intelligente, certes, mais avec des longueurs et des lenteurs qui, parfois, nuisent à la vivacité que la spirale demande. Notons cependant que les réflexions philosophiques qui parcourent allègrement ce récit sont elles aussi très bien tournées et permettent au lecteur de se poser des questions, voire même de trouver certaines réponses sur les interrogations qui, somme toute, surgissent chez tout être normalement constitué vivant dans le monde dans le quel nous vivons…

Pendragon - Liernu - 54 ans - 9 août 2009