Pour comprendre la guerre d'Algérie
de Jacques Duquesne

critiqué par Jules, le 20 novembre 2001
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Les horreurs de la guerre civile et de la torture
Ce livre retourne, déchire, décape, affole et panique !. Quoi ? Tous les hommes peuvent être des assassins, pire, des tortionnaires ?. Pas tous, peut-être, mais beaucoup plus que ce que l'on croit !
L'auteur nous fait d’abord revivre quelques épisodes barbares et sanglants de la colonisation elle-même, qui durera plus de 25 ans. Lamartine, le prince Ney (fils) et Tocqueville ne manqueront pas de s'en émouvoir et de tenter d’ameuter la classe politique de l'époque pour que cela s’arrête. Ils n’arriveront à rien !
Dans tout ce qui suit, il ne faudra jamais perdre de vue que les crimes perpétrés sont aussi grands d'un côté que de l’autre. Si pour les Algériens ils avaient l'excuse de combattre pour leurs terres et leur culture, les Français pensaient se battre pour la civilisation… Tant est ancrée dans l’esprit de l’envahisseur qu'il lutte pour apporter « la civilisation » au colonisé. Et quelle civilisation ! C’est bien cela le problème !… Il apportait surtout le vol des terres et des ressources, ainsi que le bain de sang quand l'indigène ne voyait pas les choses comme lui.
L'auteur, à vingt sept ans, interroge le général Massu qui vient de recevoir un blanc seing du gouvernement Guy Mollet pour sa mission : pacifier ces territoires. En clair : éliminer les opposants et surtout le FLN. L'Algérie est sortie des lois de la République, le pouvoir militaire cumule tous les pouvoirs à lui seul… Et c’est l’horreur !…
Mais la torture est partout, aveugle, sans pitié. Ceux qui la subissent sont autant des femmes et des enfants que des innocents. Après la bataille d'Alger, il n'y aura presque plus de familles algériennes qui auront été épargnées. Chacune aura perdu qui un fils, qui un neveu, qui un père ou un oncle. L’effet sera inverse de celui poursuivi : on a voulu arrêter la révolte et on a poussé à bout tout un peuple !.
Ce livre nous décrit les tortures pratiquées couramment et connues de tous. Il nous parle de médecins qui ont déclaré qu’elles pouvaient aller jusque là, car « supportables ». Beaucoup ne les ont pas supportées !…
Le livre nous parle aussi de personnages comme Mitterrand, à l'époque ministre de la justice et qui ne poussait pas à la clémence, Jacques Chirac qui dirige des hommes loin des villes, près de la frontière avec le Maroc. Il est dans l'action et c'est un homme d’action. Il semble à l’aise, mais malgré une enquête attentive, il semble que rien ne puisse être retenu contre lui en matière de massacre ou de torture, comme pour beaucoup d'appelés du contingent. Il nous parle de Camus qui juge et pour qui « un crime est un crime » sans s'occuper de savoir qui le commet. Il y a une morale, pas deux ! Puis il y a Sartre, qui n’était pas à une bourde près, et qui s’engueule lors d’un débat avec Jean-Daniel (Nouvel Observateur) et reproche vivement à ce dernier d'également rapporter les crimes du FLN. Il dit ceci : « En ce premier temps de la révolte, il faut tuer. Abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé ; restent un homme mort et un homme libre. » Voilà Sartre, le grand philosophe, qui défend le principe que la fin justifie les moyens !.
Oui, la violence était partout et elle n’a rien arrangé ! Quant à l'efficacité de la torture, elle était des plus discutables ! Sous les douleurs, les torturés dénonçaient n'importe qui et, comme ils étaient nombreux à avoir des conflits entre eux à propos d’un puits, d’une brebis ou d’un agneau, ils dénonçaient celui avec lequel ils avaient ce conflit… Ces aveux n'apportaient pas de vrais renseignements et ne provoquaient que de nouvelles tortures inutiles.
Je terminerai en citant un jeune appelé qui s’appelait Jean Faure et qui écrit en mai 58 : « Ce soir je suis écoeuré. J’ai le cafard. Le monde est noir, sale, et je ne vois plus rien de vert. Je ne sens plus la fraîcheur. J’aimerais mourir et fuir la haine et la violence. Car la violence m'habite. Il me semble maintenant que je tuerais avec beaucoup moins de scrupules. Pourquoi taper. Cuisiner. Torturer. Cette vieille qui pourrait être ta grand-mère. A poil sur le carrelage, le ventre gonflé d'eau, les seins meurtris par les coups. Et puis merde, j'en ai marre. »
Une armée qui se conduit comme les SS et la Gestapo, à peine 13 ans après avoir lutté contre cette barbarie !.
Quarante ans plus tard... 8 étoiles

Hier j'écoutais le résultat d'une enquête menée auprès des jeunes en Algérie à l'occasion de la célébration de l'anniversaire des accords d'Evian... Catastrophique !...
La plupart d'entre-eux considéraient cette guerre d'indépendance comme "inutile". Un jeune, dont la mère avait combattu durant cette guerre, déclarait lui avoir dit : " Si c'était pour en arriver là où nous sommes, il aurait mieux valu rester Français !"
Les décolonisations étaient inévitables, car le principe même des colonies était devenu indéfendable. Mais il est vrai qu'à voir ce que ces peuples sont bien souvent devenu est vraiment plus qu'attristant !... Est-ce toujours l'ancien colonisateur le responsable de tous les maux ? Il est évident qu'il a plus que sa part de responsabilités, mais dans le cas de l'Algérie cela me semble un peu moins évident à dire. La dictature du FLN, l'échec du système économique imposé après l'indépendance, l'absence toujours criante d'une véritable démocratie, les fanatismes religieux, tout cela ne dépend plus de l'ancien colonisateur... Et il me paraît aussi un peu facile de lui mettre tout sur le dos !

Jules - Bruxelles - 80 ans - 19 mars 2002