Déraison
de Horacio Castellanos Moya

critiqué par Dirlandaise, le 29 janvier 2009
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Des phrases obsédantes
Monsieur Moya, épousez-moi car je ne peux plus ma passer de vous ni de vos livres d’ailleurs. Il ne m’en reste qu’un à lire de vous et cela m’attriste grandement car notre histoire d’amour prendra ainsi fin abruptement hélas !

Plus sérieusement, ce livre d’Horacio Castellanos Moya est une pure merveille au niveau de la construction comme de l’écriture. J’y ai retrouvé le style Moya avec ses phrases interminables, son rythme effréné qui nous happe et nous retient prisonnier, son humour inimitable, son sens de la dérision, son souci du détail et la force de sa narration qui fait naître en nous des images mentales d’une étonnante vivacité.

C’est l’histoire d’un journaliste salvadorien qui a dû fuir son pays (tiens donc…) après avoir écrit un article jugé raciste à l’encontre du président de la république. Notre homme se réfugie donc au Guatemala où il retrouve un de ses vieux amis nommé Erick qui lui procure un travail à l’archevêché. Il s’agit de relire et de corriger un manuscrit de mille cent feuillets renfermant le témoignage de centaines de survivants et témoins des massacres perpétrés lors du conflit entre l’armée et la guérilla. N’ayant pas l’autorisation de sortir le moindre document à l’extérieur de son lieu de travail, le journaliste se met à recopier dans un carnet des centaines de phrases recueillies de la bouche des Indiens qui ont assisté au massacre de leurs proches. Souffrant déjà de légers symptômes de paranoïa, ces phrases deviennent vite une obsession pour notre homme et lui font perdre complètement la raison, l’amenant à adopter un comportement totalement incohérent et autodestructeur.

Bien que je déplore un peu le fait que Moya insiste beaucoup sur les relations amoureuses que son héros entretient avec ses collègues de travail, il faut aller jusqu’au bout car l’auteur n’a jamais dit son dernier mot et réserve au lecteur un dénouement tout à fait dans ses cordes. Un formidable talent de raconteur, une imagination débridée, un souci du détail, une précision mathématique dans la construction font de Horacio Castellanos Moya un auteur ayant atteint une perfection qui me laisse à chaque fois ravie et excite ma gourmandise littéraire et je déplore ne pas pouvoir lire encore et encore de ses livres mais bon… va bien falloir me faire une raison !

« (…) j’ai de nouveau ressenti le frisson de cette fille qui marchait avec difficulté dans les sous-sols de la caserne de la police, traînée par le lieutenant Octavio Pérez, elle pouvait à peine marcher le vagin et l’anus déchirés, sans rien savoir de l’infection gonorrhéique qui commençait à la ronger ni du sperme pourri qui était en train de se muer en fœtus dans son utérus, paralysée par le terreur elle croyait que le lieutenant l’emmenait à l’abattoir où l’on dépeçait les prisonniers politiques et c’est pourquoi ce n’était qu’un unique tremblement de chair meurtrie qui avait pénétré dans l’ergastule où il n’y avait personne d’autre qu’un prisonnier accroché au plafond, nu, un guérillero salvadorien qui s’occupait de trafic d’armes, lui avait expliqué le lieutenant, un amas de chair sanguinolente, pourrie, purulente, avec les vers déjà visibles à l’œil nu… »
CAR LES REVES TOUJOURS SE TROUVENT LÀ-BAS, ENCORE… 7 étoiles

Horacio CASTELLANOS-MOYA nous raconte ici l’histoire d’un journaliste légèrement "parano", qui après avoir été obligé de s’exiler de son pays pour avoir insulté involontairement le Président de celui-ci, se retrouve donc un peu au hasard au Guatemala.
Obligé d'accepter le premier emploi venu, le voici donc, sur recommandation d’un ami, en train de corriger un manuscrit de plus de mille feuillets qui n’est autre que l’anthologie des témoignages des exactions commises par l’armée locale, sur les indigènes indiens, pendant la révolte armée contre le pouvoir du dictateur en place.

Les indiens sont en effet accusés de soutenir la rébellion et donc victimes de brimades, rapts, viols, tortures, massacres et autres exécutions arbitraires de la part de l’armée. L’archevêché compte donc bientôt publier ce «rapport», véritable pavé dans la mare du pouvoir en place!
Tout irait bien dans le meilleur des mondes pour notre ami journaliste, si sa paranoïa grandissante ne prenait pas doucement le dessus sur sa «vraie» vie, le faisant peu à peu perdre la raison, et l’emportant dans une spirale de démence horrifique…

Le talent d’Horacio CASTELLANOS-MOYA est vraiment sans pareil, un peu comme son style, très étrange et proche de celui du «Nouveau Roman» français, et notamment de Claude SIMON, avec des phrases très longues, presque sans fin et une ponctuation presque absente, voir inexistante!
Une fois le style «digéré» toutefois, ce petit livre se révèle très intéressant avec une histoire absolument «abracabrantesque», sortie de nulle part qui nous entraîne au plus profond des sombres recoins de l’âme humaine…

Si ce n’est une grosse, mais alors très grosse «bourde», dont on aurait pu aisément se passer, à savoir la critique explicite et absolument inutile, je dirais même futile, du Prix Nobel de la paix 1992, la Guatémaltèque d’origine indienne-Maya, Rigoberta MENCHU TUM, (dont le nom n’est jamais cité, mais que l’on reconnaît aisément en lisant entre les lignes). Critique vraiment malvenue et indigne, pour un grand écrivain comme CASTELLANOS-MOYA, le livre est vraiment passionnant à lire… et la fin, qui n’est absolument pas celle à laquelle on s’attendait, ne fait que renforcer cette impression…

Septularisen - - - ans - 23 décembre 2011