Esperanto
de Otto Gabos

critiqué par Shelton, le 5 février 2009
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Attention !!! C'est à lire impérativement !!!
Un jour, il y a quelques mois, j’ai ouvert cet ouvrage. Je ne connaissais rien de l’auteur, je n’avais pas lu la feuille de presse, je n’attendais rien de particulier…
Une heure plus tard, j’étais devenu un habitant d’Esperantia, une ville hybride entre New York, Berlin et Istanbul… Je me sentais bien, je ne savais plus qui j’étais avec précision, je jouais, je lisais, je vivais… La magie d’Esperanto avait fonctionné…
Lorsque je sortais de cette aventure, je laissais l’ouvrage d’Otto Gabos reposer sur ma table de nuit durant de longues semaines… Je n’avais pas envie de vous le présenter tout de suite. D’ailleurs, quel était cet album que je venais de « vivre » ? Une bande dessinée ? Oui, c’est ce que je croyais en l’ouvrant, mais était-ce bien le cas ? C’eût pu être, aussi, reconnaissons-le, le manuel d’un animateur de jeu de rôle, un livre de science fiction, un ouvrage de réflexion … Non ? Mieux, ce ne pouvait être qu’un ouvrage de philosophie ! Oui, c’est ça, j’étais en présence du premier grand ouvrage de philosophie écrit avec ce mode narratif qu’est la bande dessinée !
Si Otto Gabos avait vécu sous Néron, il aurait écrit Lettres à Lucilius, mais il aurait, aussi, engendrer Gargantua ou Utopie quelques siècles plus tard… Aujourd’hui c’est Esperanto ! Oui, c’est bien un ouvrage de philosophie, une grande vision de la vie humaine qu’il nous offre pour alimenter notre réflexion… Mon Dieu, que c’est grand ! Je vous avoue que c’est bien une des première fois que je lis un livre de cette force…
Il y a quelques semaines, j’ai appris qu’Otto Gabos, enseignant en Italie, allait participer au festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Je prenais immédiatement rendez-vous et je décidais de relire le livre pour préparer la rencontre. La seconde lecture fut encore plus merveilleuse, encore plus forte, encore plus percutante. Oui, ce que je prenais pour un ouvrage remarquable était en fait une œuvre d’art de génie, un écrit d’une classe hors normes… Oui, je comprends bien que tout cela est dithyrambique mais je ne vois pas comment faire autrement, même si très peu de journalistes et critiques bédés prirent le temps de le lire ou de rencontrer l’auteur, je persiste et signe, nous sommes là en présence d’un écrit comme on en trouve que très peu dans une vie de lecteur….
Alors, venons-en à Esperanto à proprement parler. Le monde a connu la seconde guerre mondiale et comme chaque fois qu’une telle chose se passe sur la terre, les survivants veulent construire une société qui ne sombrera plus dans cette déchéance. La ville de l’avenir sera Esperantia, la ville où la violence aura disparu, une ville qui s’ouvre par la grande statue qui domine le port, la Pacifique, construction hétéroclite qui inspire la paix définitive :
« Au cas où vous ne l’auriez pas compris, ce tas de détritus artistiques c’est la Pacifique, le monument pour la paix. Moi, je n’aime pas trop. Et vous ? »
« Il est grand. »
Oui, un jour, il faut bien entrer dans Esperantia et apprendre à vivre dans un monde spécial où le jeu a pris une place énorme et essentielle.
« Le jeu c’est ma religion. Le jeu crée du travail, augmente la productivité et rend les gens heureux. »
Le responsable de la ville, un certain Shalimar Koglia est un ancien tenancier de tripot, il est persuadé que les jeux de hasard permettent aux gens d’oublier leur sort, de dévider leur violence interne et offrent à chacun la part de rêve dont l’homme a besoin pour vivre heureux !
Mais la ville, si belle soit-elle, a engendré deux zones : la ville du dessus, la belle, la propre, l’ordonnée et celle du dessous, celle du désordre, de la saleté, du chaos. Dans cette dernière, se réunissent tous ceux qui sont abandonnés, rejetés ou qui ne supportent pas cet excès d’ordre et d’avenir planifié. Certains des héros d’Otto Gabos s’y retrouvent par hasard quand ils connaissent quelques mésaventures au-dessus…
Les personnages seront très nombreux dans cette histoire et le lecteur ne devra pas se laisser déstabiliser par cette avalanche d’êtres humains. Sans donner un catalogue exhaustif et nominatif, il y aura des jeunes et des vieux, des chefs et des exécutants, des joueurs et des spectateurs, des révolutionnaires, des syndicalistes et des chefs d’entreprises, des idéalistes et des pragmatiques, des hommes et des femmes… Il y aura, aussi – surtout ! –, un ancien nazi et un juif rescapé, deux personnages qui nous emmèneront dans des discussions sur la vie, sur l’humanité, sur l’art, sur l’avenir…
L’enjeu de cet album est l’avenir d’Esperantia. Que peut devenir cette ville quand un dictateur tente d’en prendre le contrôle, quand les responsables sont trop faibles pour résister, quand le jeu a fait disparaître toute morale humaniste, quand un jeune joueur devient pour certains un messie potentiel, pour d’autre un dangereux agitateur, pour une femme un amoureux et pour une dernière une issue agréable…
Oui, cette histoire est aussi un drame ! L’homme, sur cette terre, peut-il réaliser son destin autrement qu’en subissant le Fatum qui le frappe ou peut le frapper à tout moment ? Oui, Otto Gabos est un philosophe à part entière et c’est ce qui me fait peur pour les ventes de son album. Oui, il va falloir que tous ceux qui aiment la philosophie se lancent dans Esperanto car dans le cas contraire…
Mais, me direz-vous, comment se termine l’histoire ? Quel avenir pour notre ville ? Pour l’humanité ? Pour la planète ?
« Alors, tu as combattu pour une mission très dangereuse et tu as gagné ? »
« Je ne sais pas si j’ai gagné… Mais j’ai fait ce qu’il fallait. »
Otto, lui aussi, aura fait ce qu’il devait, c’est à dire nous écrire cette histoire, nous obliger à réfléchir à notre devenir… Mais, pour cela il nous faudra le lire, l’intégrer, nous approprier ce destin et le transformer en réalité au quotidien…
« C’est le chantier où ils construiront le monument de l’Harmonie retrouvée. Maintenant que la Pacifique est détruite ce sera le nouveau symbole de notre ville. Esperantia est en train de guérir. Et peut-être que nous tous aussi… »
Alors notons cette bande dessinée avec modération… Et à vous de lire et de dire ce que vous en pensez…