Le fils de la servante
de August Strindberg

critiqué par Dirlandaise, le 24 février 2009
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Histoire d'une âme
Le sous-titre de ce livre est « Histoire d’une âme (1849-1867). En effet, Strindberg, à travers le touchant personnage de Jean, nous raconte son enfance et son adolescence dans la Suède de l’époque. Jean est un petit garçon timide, renfermé, d’une sensibilité exacerbée. Sa famille ne le comprend pas toujours et ses frères et sœurs le perçoivent comme méchant, original et il est souvent méprisé par eux. La haine de la famille est d’ailleurs un trait du caractère de Jean qui ressort fortement tout au long de la lecture. Strindberg va même jusqu’à affirmer que la famille est un véritable enfer pour les enfants et aussi pour les parents. Donc, Jean évolue au sein d’une famille qui sans être riche, n’est pas pauvre et vit même assez bien. Le père, Oscar, est négociant et il a épousé son ancienne servante. Plusieurs enfants sont nés de cette union qui fut très mal acceptée par les proches d’Oscar. La famille vit à Stockholm tout près de l’église Sainte-Claire. La vie de Jean est réglée sur les cloches de Sainte-Claire qui sonnent régulièrement à heures fixes. Notre petit héros fréquente l’école mais demeure un enfant solitaire et retiré en lui-même. Son attachement pour sa mère est si fort que Strindberg avoue ne jamais avoir réussi à devenir un être humain à part entière tellement son amour fusionnel pour sa mère l’a empêché d’accéder à une indépendance salutaire. Mais un jour, cette mère adorée meurt et le père se remarie avec la gouvernante de ses enfants ce qui change la vie de la famille et la rend encore plus odieuse pour Jean. Il grandit, s’instruit, apprend plusieurs langues, devient précepteur chez un baron, expérimente un premier amour, découvre le pouvoir mais aussi l’ambiguïté de la religion et des piétistes dont il épouse la doctrine. Bref, il se forge lentement une personnalité constamment tiraillée et déchirée entre plusieurs choix et qui demeure sans caractère comme il l’affirme lui-même. Il déteste la poésie, aime plus ou moins la musique et sa révélation sera le théâtre avec Offenbach et surtout Hamlet, une passion qui sera déterminante pour ses écrits futurs.

Strindberg nous livre ici une analyse remarquable de son âme d’enfant et d’adolescent. Il va très loin et son texte relève souvent de la psychanalyse tellement c’est d’une étonnante profondeur. Il faut cependant replacer la vie du jeune homme dans le contexte de l’époque et dans l’évolution morale, sociale, politique et démocratique de la Suède. C’est l’époque de l’abolition des classes sociales, de la recherche d’une doctrine religieuse satisfaisante et juste, de nombreuses remises en question de la société dominée par l’aristocratie et la noblesse. Jean se découvre d’ailleurs un goût prononcé pour le beau monde et son instruction lui donne accès à ce monde même si ce n’est que comme précepteur. Il rêve de laisser derrière lui sa famille et son milieu social qui ne le satisfont plus et auquel il n’arrive plus à s’identifier. Mais l’ascension sociale est difficile pour un jeune homme tel que lui et le chemin semé d’embûches comme il aura l’occasion de le découvrir.

Vous dire à quel point j’ai aimé ce livre ! Je me sens très proche de cet écrivain sensible et tourmenté. Je me suis reconnue souvent dans certaines situations et impressions décrites par lui. Ce livre est d’une incroyable richesse historique, psychologique mais aussi philosophique. Il renferme cependant certains passages assez arides et ne se lit pas comme un roman. Il faut faire un effort mais c’est un récit précieux pour qui désire entrer dans l’univers d’August Strindberg et découvrir la personnalité complexe et passionnante de ce grand écrivain. Un témoignage touchant et une écriture tellement juste et qui va droit au cœur !

« Il n’était plus un automate, il commençait à rassembler ses propres observations et à faire des déductions. Aussi le moment approchait-il où il allait se séparer de son entourage et marcher seul. Mais la solitude allait être pour lui une promenade dans le désert, car il n’avait pas une assez forte personnalité pour pouvoir voler de ses propres ailes, sa sympathie pour les hommes ne devait pas être payée de retour, puisque leurs pensées n’étaient pas au diapason des siennes, et ensuite il irait à la ronde offrir son cœur au premier venu, personne ne l’accepterait, car il était étranger à tout le monde, et alors, il se replierait sur lui-même blessé, mortifié, inaperçu, oublié. »

« Or comme la noblesse de naissance touchait à sa fin, la noblesse de la culture pesait d’autant plus lourdement. On pensait s’en débarrasser d’un coup par le piétisme. »

« Au bout d’une semaine, lui et toute sa famille riaient aux éclats, comme le peuvent seulement ceux qui ont beaucoup pleuré. »