Les Paravents de Jean Genet

Les Paravents de Jean Genet

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Théâtre

Critiqué par Shelton, le 8 mars 2009 (Chalon-sur-Saône, Inscrit le 15 février 2005, 68 ans)
La note : 8 étoiles
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Quel texte ! Quelle pièce impossible à monter...

Les paravents de Jean Genet

Nous sommes en présence d’un texte atypique, y compris au sein de la bibliographie de Jean Genet. C’est une certitude ! Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il l’a dit lui-même… Lors d’une interview, il n’y a qu’à se laisser prendre par l’auteur… Entretien filmé avec le critique littéraire Poirot-Delpech en 1982 :
- Est-ce qu'il y a un bonheur d'écrire ? Avez-vous éprouvé profondément une jubilation en écrivant?
- Une seule fois. Les Paravents. Le reste m'a beaucoup ennuyé, mais il fallait l'écrire pour sortir de prison.
- En quelle année Les Paravents?
- Attendez, je crois en 1956 ou 1957. En tout cas, je corrigeais les épreuves quand de Gaulle est venu au pouvoir en 1958, je crois, c'est ça.
- Les Paravents présentent la mort comme une chose finalement peu redoutable et peu importante. Est-ce votre opinion?
- C'est l'opinion de Mallarmé aussi : "Ce peu profond ruisseau... ", vous savez la suite. La mort me paraît assez peu... enfin, le passage de vie à non-vie me paraît assez peu triste, assez peu dangereux pour soi quand on change de vocabulaire : le passage de vie à non-vie au lieu de vie à trépas, c'est tout d'un coup presque consolant, non? C'est le changement de vocabulaire qui est important. Dédramatiser. Le mot est employé couramment en ce moment - dédramatiser la situation. Je dédramatise la situation, qui fera de moi un mort en utilisant d'autres mots.
- Un auteur dramatique qui dédramatise ?...
- Justement. Si j'ai essayé de mettre au point une sorte de dramaturgie, c'était pour régler des comptes avec la société. Maintenant ça m'est égal, les comptes ont été réglés.
Cette pièce est donc bien un moment particulier, un cri de révolte d’un auteur qui a compris que le théâtre pouvait servir à faire avancer le monde, la société, même si à la fin de sa vie, l’auteur semble blasé, lassé, désespéré…
Cette pièce que certains n’ont pas hésité à classer comme brechtienne est tout simplement le résultat d’une longue maturation qui permet à Jean Genet de regarder la France, en particulier son aventure coloniale en Algérie. Il ne peut plus supporter les crimes, les lâchetés, les dénis de démocratie et d’humanité. Il lui faut parler !
Quand la pièce sera montée pour la première fois en France se sera un tollé : les gendarmes sont obligés de protéger le théâtre, un commando d’anciens parachutistes d’Algérie arrive à perturber la représentation, la France nationaliste s’insurge, le ministre de la culture, André Malraux est sommé de s’expliquer, ce qu’il fera en défendant la liberté d’expression artistique…
Aujourd’hui, cette pièce garde toute son actualité que se soit par son regard sur la vie et la mort, que se soit par sa dénonciation de l’utilisation de la force et de l’arbitraire, que ce soit par sa modernité théâtrale, tout simplement…

Rapide présentation du propos de la pièce

Jean Genet, du fond de sa prison va tenter de prendre la parole sur la guerre d’Algérie. Il faut bien comprendre que si la pièce est complexe, la période ne l’est pas moins. En effet, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la France est en guerre coloniale de façon ininterrompue. Si la guerre d’Indochine, lointaine et menée essentiellement par des soldats professionnels, ne touche que fort peu le peuple français, celle d’Algérie, ayant pour cadre un département français et comme acteurs des soldats du contingent, du moins en partie, cause un véritable traumatisme populaire.
Jean Genet ne va pas décrire la guerre dans toutes ses phases, il va l’évoquer à travers des personnages vivants ou morts, d’ici ou d’ailleurs, personnages qui seront en mouvement comme si chacun devait traverser cette épreuve d’une guerre injuste et cruelle…
Presque une centaine de personnages, mais trois essentiels, Saïd, Leïla et la Mère pour nous aider à traverser cette épopée sanglante.
Un langage cru et direct, des images choc, des heurts culturels et sociologiques pour nous dire ce que personne n’osait dire à l’époque… La guerre « offre » la possibilité aux soldats français de s’affronter jusqu’à la mort tandis que les villageois, les colons et tout l’ensemble du peuple tentent de continuer à vivre. Seule la mort permet la vérité car elle ne dissimule rien, elle est tout simplement. Pas effrayante, d’ailleurs, seule réalité qui réunit l’ensemble du peuple de cette terre, soldats et civils, autochtones ou colons, justes et injustes…
C’est aussi une façon pour Jean genet de dire que les croyances nous jettent dans l’illusion : ceux qui sont sur terre seront un jour dans la terre et il n’y a rien après la mort, alors économisons-nous et tentons de vivre ensemble sans ces maudits rapports de force…
Seize tableaux, 96 personnages, presque trois cents pages de format poche, bref, une pièce terrible, difficilement réalisable, qui révolutionne le théâtre et lui donne une autre dimension…

Mais comme je ne pourrais probablement jamais monter cette pièce, je vous conseille de la lire...

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Les éditions

  • Les Paravents [Texte imprimé] Jean Genet
    de Genet, Jean
    Gallimard / Collection Folio
    ISBN : 9782070373093 ; 6,90 € ; 27/08/1996 ; 288 p. ; Poche
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