Inferno
de August Strindberg

critiqué par Dirlandaise, le 10 mars 2009
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
L'enfer de Strindberg
Il ne s’agit pas d’un roman mais d’un récit autobiographique. En 1897, Strindberg séjourne à Paris et traverse une des périodes les plus noires de sa vie d’où le titre de son livre. En effet, son divorce vient d’être prononcé et l’écrivain est dans une situation psychologique et financière désastreuses. Il ne tarde pas à éprouver de sérieux problèmes de santé mentale. Il décrit cette période dans son récit et nous pouvons constater sa souffrance. Les crises d’angoisse, les délires paranoïaques, les nuits d’insomnie, les cauchemars ne lui laissent pas de répit. Durant cette période, l’écrivain délaisse la littérature pour se consacrer à des recherches et des expériences de chimie. Il espère pouvoir fabriquer de l’or, rien de moins mais ses espoirs sont constamment déçus. Il réside à l’hôtel, fréquente un groupe d’intellectuels, est encore amoureux fou de sa femme et la regrette amèrement. Il prend de grandes marches dans le cimetière Montparnasse et voit partout des signes de son destin. Il ramasse des papiers par terre, les lit et y décèle des messages à son intention. Il observe la nature et encore une fois, voit partout des visages, des personnages qui se confondent avec le paysage mais qui l’observent. Même les animaux semblent le guider vers des lieux spécifiques où il trouvera des messages à son intention. Il est convaincu que ses voisins complotent contre lui et désirent sa mort. Il se méfie de tout le monde. Bref, il est complètement fou ! Ses problèmes financiers l’obligent à se déplacer souvent et à demander de l’aide à de nombreux amis qui essaient de l’aider au rétablissement de sa santé mentale mais en vain. Strindberg souffre le martyre et songe au suicide. Il jette un regard désabusé sur sa vie et n’y voit qu’un enfer. Il est convaincu qu’il doit expier de graves fautes commises dans une vie antérieure. Cette crise durera environ deux années avant que l’écrivain voit le bout du tunnel.

Pauvre Strindberg, il m’a fait pitié et je n’ai pu qu’éprouver une immense compassion pour cet écrivain si intelligent, triste et tourmenté. Un récit prenant, angoissant qui s’inscrit dans une série de trois livres autobiographiques dont les deux premiers sont « Le fils de la servante » et le second « Plaidoyer d’un fou ». Il s’avérerait important de lire les deux premiers avant celui-ci pour bien comprendre cette période désastreuse de la vie du grand homme.

Ce livre comporte des chapitres admirables dont ceux relatant ses promenades au cimetière Montparnasse. Ce sont les pages les plus belles et les plus émouvantes qu’il m’ait été donné de lire à date. Un livre d’une richesse incroyable qui décrit à merveille les tourments que peut générer une santé mentale déficiente sur la vie et le jugement d’un homme si intelligent et cultivé soit-il. Ce n’est pas un livre qui se lit facilement, c’est noir, sombre, désespéré. Souvent j’ai éprouvé un profond malaise en le lisant mais comme c’est sensible et pathétique ! C’est une confession précieuse et sincère qui m’a rapproché encore plus de cet homme possédant une personnalité complexe des plus fascinante !

Strindberg a rédigé ce livre en français.

« O crux ave spes unica : ainsi les tombeaux me prédirent ma destinée. Plus d’amour ! Plus d’argent ! Plus d’honneur ! le chemin de la croix, le seul qui conduise à la Sagesse. »

« Un an s’est écoulé depuis ma première promenade matinale au cimetière Montparnasse. J’ai vu tomber les feuilles des ormes et des tilleuls, j’ai vu tout reverdir, les glycines et les roses fleurir sur le tombeau de Théodore de Banville : j’ai entendu le merle commencer sa chanson séductrice sous les cyprès, et les pigeons inaugurer la pariade sur les tombeaux. Maintenant les tilleuls jaunissent, les roses pourrissent et le merle ne chante plus, seulement il pousse un rire ricanant sur ses amours printanières, passées pour revenir. Et le sale automne et l’hiver boueux approchent pour passer comme le reste. »

« L’automne est arrivé encore une fois. Les tilleuls se rouillent et les feuilles en cœur tombent, touchent la terre avec un petit coup sec, font froufrou sous mes bottes pendant que je continue ma marche triomphale sur ces cœurs arides qui craquent. »