Dix ans avec Alexandra David-Neel
de Marie-Madeleine Peyronnet

critiqué par Spiderman, le 26 mars 2009
( - 62 ans)


La note:  étoiles
Digne découverte par la tortue d'A.D.N.
Tout le monde a entendu parler d'Alexandra David-Néel (Saint-Mandé 1868- Digne 1969), la Parisienne qui se rendit à pied à Lhassa en 1924 et qui fit connaître au monde occidental un Tibet inexploré. Pour ses nombreuses publications scientifiques, l'érudite a également analysé l'essence du bouddhisme dont elle reste une référence universelle.
A ses côtés, durant les dix dernières années de cette fantastique existence de cent-un ans, a vécu Marie-Madeleine Peyronnet, que la voyageuse surnommait « Tortue ». Cette jeune fille a vingt-neuf ans lorsqu'elle rencontre le 17 juin 1959 une vieille dame de quatre-vingt dix ans dont elle va devenir l'assistante, le soutien physique et intellectuel, la souffre-douleur, la secrétaire et l'intermédiaire avec des milliers de « fans » allant du bouddhiste fraîchement converti au chef d'Etat, en passant par toutes sortes de demandes abracadabrantes dont on trouvera ici un éventail assez représentatif.
Le lieu de ces échanges est Samten Dzong , forteresse de la méditation, maison des faubougs de Digne-les-Bains où Marie-Madeleine Peyronnet, à la tête de la « Fondation Alexandra David-Néel », guide dans un mélange de simplicité et de passion des visites quotidiennes gratuites dont on ressort époustouflé. Que l'on ait lu ou non A.D.N., Tortue entraîne son auditoire dans un échange humain animé, constructif et sans aucun prosélytisme autre que le partage intellectuel d'une aventure vécue sur les pas de celle à propos de qui Bertrand Flornoy, grand explorateur déclarait « Le plus grand explorateur de notre siècle est une femme, c'est Alexandra David-Néel ». Avec modestie, humour respect et auto-dérision, Tortue fait partager, dans ce livre comme dans sa visite, une formidable expérience aux côtés de ce monstre adoré, « océan d'égoïsme et Himalaya de despotisme ».
M.-M. Peyronnet, sa modestie dût-elle en souffrir, est une grande dame. Sans s'épancher sur ses soucis personnels, cette fille de responsable militaire dans une Algérie en guerre, raconte avec une immense pudeur les dix années qui ont donné un sens à sa vie. Ce témoignage vers lequel je me suis dirigé après un bref tour de Samten Dzong en sa brillante compagnie, est une parfaite introduction à la découverte des écrits d'Alexandra. La générosité, la faconde et la culture de celle qui a, après le décès de la voyageuse, entrepris d'immenses périples chargés de symboles (dont les cendres d'ADN jetées dans le Gange à Bénarès ou une statue du Bouddha restituée à son temple d'origine) donnent un relief vivant et lumineux à une personnalité que tant de personnes ont voulu ériger au rang de gourou. Tortue est un brillant esprit qui peut expliquer pourquoi et comment on peut devenir la disciple, sincère, lucide et raisonnable d'un être extraordinaire et « formidable » au sens propre du terme, qui contient une part de frayeur.
Aujourd'hui éditeur intellectuel d'Alexandra David-Néel, Marie-Madeleine Peyronnet fait vivre cette étrange maison, enrichie en mars 2009 d'une nouvelle salle d'exposition. Premier jalon de la première visite du Dalaï Lama en France (1982), on en comprend bien les enjeux à la lecture de ce passionnant témoignage dont l'intérêt n'a pas diminué depuis sa première publication en 1979 … mais les jours, les mois, les années n'ont pas beaucoup de sens pour Alexandra David-Néel, pour sa Tortue … et, après avoir refermé le livre, pour le lecteur !