Liquide de Philippe Annocque
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Les méandres du fleuve de la vie
Tout corps plongé dans un liquide voit ses limites mises à nu. A travers des mots qui vont et viennent, un langage souvent proche de la prose poétique, Philippe Annocque crée l'observation, acérée; il s'installe pour nous raconter des vies. Vies d'autrui qui pourraient être les nôtres. Parties de nous-mêmes tant les aspirations humaines sont universelles. Universellement utopiques et banales.
L'auteur effectue un travail de mise en abîme du regard qui se pose, histoire de contempler ce que l'on voit ou croit voir.
Le détail s'additionne à la précision, afin de construire un tout, plus vaste, mais au-delà de cette immensité existentielle demeure le fragment, l'infime aléatoire et parfois totalement invisible.
Intervient dès lors l'élément liquide, qui peut se faire déclencheur, révélateur. Flaque, flot, mer, larmes, eau de vaisselle, thé ou piscine… omniprésent liquide à l'image de ce flux vital qui nous anime.
Le narrateur nous évoque sa vie, celle de ses parents, son père, sa mère, son premier amour Alexandrine, la rupture, l'arrivée de Suzanne, d'une petite Agathe puis d'une Flora, des joies et des soucis. Le tout est composé de moments fragiles, d'instants d'égarement ou de dérives par rapport aux sentiers battus qu'une simple chasse d'eau pourrait évacuer. L'amour passion rime avec raft et torrent, le temps qui passe s'apparente au goutte-à-goutte.
Le langage de Philippe Annocque tente la déstructuration, il indique au lecteur qu'il est capable de partir dans toutes les directions et en même temps, il se redresse, revient sur les rails, car il sait que nous avons besoin de ces repères. Nous montrer de la sorte nos limites et nos habitudes devrait nous aider à nous en extirper et pourtant, rien ne bouge… alors en sommes-nous capables? L'immobilisme et l'attentisme des protagonistes du livre esquissent l'ébauche d'une réponse. Et si c'était le liquide qui était vivant, plutôt que nous? Ne sommes-nous pas un élément de ce liquide qui passe et repasse d'un contenant à un autre, avec ou sans altération?
La réflexion de l'auteur interpelle, dérange et intrigue. Sa langue, belle et capricieuse, nous renvoie à nos propres interrogations, à nos rêves perdus et à venir. Un univers danse sous nos yeux et la dernière page du livre tournée, il continue à s'agiter parce que tout cela a remué les repères, bousculé les éléments, de bien élégante manière. A découvrir !
Les éditions
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Liquide [Texte imprimé] Philippe Annocque
de Annocque, Philippe
Quidam éd. / Made in Europe (Meudon)
ISBN : 9782915018349 ; 15,00 € ; 08/04/2009 ; 148 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (12)
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Le passé à la dérive
Critique de Saint Jean-Baptiste (Ottignies, Inscrit le 23 juillet 2003, 88 ans) - 6 décembre 2015
Je pense que tout lecteur se retrouve dans ce récit parce que c'est comme ça que chacun repense à sa vie quand, tout à coup, il se retrouve assis sur un banc, au bord de l'eau, et que ses souvenirs lui remontent en mémoire. Et on se rend compte, après coup, que les événements qui ont marqué une vie ne sont pas toujours les événements qui vous ont le plus perturbé sur le moment : c'est une liaison, un déménagement, des vacances chez la belle-mère et une promenade main dans la main avec une petite fille au bord de l'eau... Dans ce récit, Philippe Annocque nous régale dans l'art de l'évocation.
Je dois dire que je ne suis pas sûr d'avoir compris le sens de la mise en page, avec ses retraits au milieu d'une phrase et sa ponctuation aléatoire ; mais c'est un détail. C'est peut-être pour évoquer l'eau qui court, qui tourbillonne, et qui s'en va toujours sans jamais revenir, comme la vie qui passe. Après tout, j'ai pris ça comme une fantaisie qui s'ajoute au plaisir de lire ce petit livre, hors du commun, qui m'a mis sous le charme du début à la fin.
Acteur ou spectateur ?
Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans) - 11 avril 2015
A la métaphore du liquide on peut ajouter celle du théâtre : le narrateur fait penser à un acteur qui apprécierait objectivement sa prestation et la jaugerait (je pense par exemple à la scène de la rupture avec Alexandrine où le narrateur évalue sa "prestation" rétrospectivement et semble se féliciter d'avoir agi avec la fermeté que les circonstances exigeaient). Le personnage collectionne d'ailleurs ses souvenirs comme des "tableaux", des souvenirs magnifiés et "encadrés" qui prennent une dimension fondatrice (le premier baiser à la fontaine, qu'il se représente à la manière d'un Watteau). Celui qui a déjà eu ce sentiment de s'être mis scène dans l'un ou l'autre moment de sa vie, un peu comme quand on se regarde agir ou qu'on voit la scène de l'extérieur, celui-là aimera ce narrateur et le trouvera très émouvant par moment.
Ce roman est triste dans un sens, car bien sûr le personnage se dénigre toujours un peu, à force de vivre sous son propre regard et de se définir en fonction du regard des autres, le doute d'être factice et de n'avoir pas vécu "sa" vie le prend.
Mais, et là est le paradoxe, vivre sa vie sans en avoir conscience ni sans avoir de regard sur sa prestation, est-ce vraiment la vivre ? Qu'en reste-t-il après l'instant présent ? Ne vaut-il pas mieux avoir la lucidité de voir le rôle qui nous est assigné et ainsi jauger sa "prestation" ? Au risque de ne plus savoir si on est acteur ou spectateur de sa vie ?
D'autres ont mieux parlé que je ne pourrais le faire de la forme, qui est très travaillée mais finalement m'est passée un peu inaperçue car j'ai été complètement pris par le récit et en empathie totale avec le narrateur.
« Ne pas être n’a sans doute jamais été aussi clairement le moyen de ne pas souffrir. »
Critique de Bolcho (Bruxelles, Inscrit le 20 octobre 2001, 76 ans) - 8 juillet 2011
N’empêche, il me prenait parfois l’envie d’aller demander à l’auteur pourquoi cette haine des virgules, pourquoi ces passages à la ligne (ben tiens, pour éviter la virgule justement…). Pas sûr qu’il m’aurait répondu…mais on ne sait jamais (je rigole).
Je vous mets quelques extraits qui, pour une raison ou l’autre m’ont plus particulièrement touché :
- « (…) la mémoire qui parfois impromptue hors de tout contrôle remonte à la surface comme une sorte de nausée liquide, heureusement fugace (…) ». Qui n’en a pas fait l’expérience, en effet ?
- Les gouttes sur la vitre. Leur parcours aléatoire : « un délice pour l’esprit ». Le temps que j’ai pu passer à les suivre…
- « S’arracher à sa propre et tellement naturelle banalité bien sûr ne fait plus partie des espérances à l’approche de la cinquantaine (…) », mais c’est « bien un peu douloureux ». Sans commentaire : vous verrez !
Et ce dernier constat, avec un clin d’œil pour l’auteur : « (…) n’être à jamais rien d’autre que l’enfant de cet amour feint. »
Petit bain de jouvence, où tout coule de source.
Critique de Sissi (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 54 ans) - 2 mai 2011
Elle aura été instantanée, et la trempette savoureuse.
Ce liquide…il y en a en fait plusieurs. Il y a celui qui remplit, (le whisky, le champagne, le lait du biberon), celui qui vide (le liquide amniotique, l’urine), celui que l’on entend (la pluie, la chasse d’eau, la douche), et celui que l’on contemple (la rivière, le canal, l’estuaire, la mer).
(Que chacun soit libre de ranger la semence masculine dans la catégorie qui lui conviendra le mieux).
On les retrouve tour à tour, invariablement, en début et fin de chapitre, et comme un débit n’est jamais linéaire, il arrive que, telles des eaux stagnantes, tous ces liquides cessent quelques instants leur parcours, ou modifient quelque peu leur trajectoire,
avant de reprendre de plus belle leur dégringolade en cascades harmonieuses ou en jets puissants.
Un peu à l’image de la mémoire, qui oscille entre précision et défaillance.
Hypnotisé par une petit brindille flottant sur l’eau, le narrateur se remémore quelques pans de son existence, des petites tranches de vie éparses et parfois floues.
De ce narrateur, on ne saura rien. Pas un seul « je ». Il refuse de se raconter. Mystère et bulle de l’homme. Une histoire « sans personne ».
On comprendra juste, en passant à travers les gouttes de silence, qu’il a tendance à la passivité. Que l’essence même de la vie s’évapore bien vite. Que tout n’est que flux et reflux. Que lorsqu’on prend le risque de se mouiller on prend aussi celui de se retrouver à sec. Qu’on se ramasse souvent de belles trempes, de belles rincées, aussi, et que c’est comme ça.
Tout ça dans une très belle fluidité verbale qui invite à la flottaison.
Et puis, lorsqu’on a tout bu jusqu’à la lie, qu’on a tout lu tout étourdi, on referme le livre.
Malheureusement.
Mais si on privilégie le verre à moitié plein, on peut toujours se dire qu’en gardant ce liquide là sous la main, on pourra toujours s’en resservir une petite rasade de temps à autres.
Un de ces jours. Un jour de grande soif.
Le drame de l'homme moderne
Critique de Stavroguine (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans) - 19 avril 2011
Au premier abord, en effet, nous est contée une histoire assez banale de laquelle on est distrait par de nombreux retours à la ligne en milieu de phrase (je dois avouer que je n’ai pas bien saisi leur but : au début, ils me gênaient, puis, je les ai juste ignorés). Derrière cette façade, se joue pourtant un drame moderne bien plus subtilement observé qu’il n’y paraît. Tout au long de ce livre, il est question d’identité, presque d’existentialisme : qui est vraiment ce narrateur qui se confond avec ce liquide du titre ? On dit qu’on n’en sait rien, du narrateur. Pourtant, il aborde avec nous son enfance, ses parents, son premier amour, son mariage, sa paternité, sa profession, son cadre de vie… Bien plus finalement que ce qu’on sait habituellement du personnage principal d’un roman lambda. Mais Liquide – autant lui donner un nom – n’est jamais défini que par les autres : il est un fils, un père (?), un mari… mais qui est-il lui-même, pour lui-même ? Quelle est la part de sa volonté dans ce qu’il est devenu ?
Ce dont Philippe Annocque nous parle, c’est peut-être finalement du drame de l’homme moderne qui fait ce qui est attendu de lui sans trop se poser la question de ce que lui veut faire – d’ailleurs, on se garde toujours bien de la lui poser ; on l’empêche même de se la poser : c’est sa femme qui lui dit où travailler, c’est son père qui lui dit où habiter. Sa vie coule comme ces brindilles portées par le fleuve qui le font revenir sur son existence, son existence n’est déterminée que par le mouvement d’une foule tout autour de lui qui lui impose d’aller où elle va elle-même (Epépé ?). Liquide n’a pas d’existence propre : il passe simplement d’un récipient à un autre et en prend la forme. Liquide, finalement, n’est pas : il est parfaitement substituable – dans le roman, il sera d’ailleurs tour à tour thé, mer, eau, sperme, fleuve, whisky…
Ce roman désabusé et pessimiste dresse finalement le bilan d’une société où l’homme cherche sa place, notamment face à la femme, devenue son égale et qu’il ne comprend pourtant toujours pas. Il est frappant d’ailleurs de voir comme Liquide est un homme seulement entouré de femmes : une femme dirigiste, une ex trop présente, deux filles qu’il regarde grandir et s’éloigner – sans les comprendre –, une mère aimante, une belle-mère envahissante ; en face : un frère émigré et un père absent – c’est peu. Les rapports entre hommes et femmes sont l’autre thème majeur de ce roman où il est question d’amour, de paternité, de liens familiaux… et de la façon dont chacun les aborde à sa manière qui semble à jamais incompréhensible pour l’autre. La femme, omniprésente, y paraît menaçante, coupeuse d'ailes – pour autant que l'homme ait la velléité de les déployer –, d'autant que, contrairement à l'homme, elle semble exister encore, ne serait-ce qu'à travers la maternité.
Liquide est donc la chronique d’un drame social, d’un homme et d’une société qui dérivent – pour le meilleur ou pour le pire ? – et qui se font finalement les chantres d’un monde hyperactif dans lequel chacun se retrouve passif, un substituable, une goutte d’eau noyée dans la mer. C'est un roman qui reste présent la dernière page tournée, et continue de faire froid dans le dos.
L'essence d'une vie
Critique de JEyre (Paris, Inscrite le 17 juillet 2010, 43 ans) - 9 janvier 2011
Ecriture hypnotique qui retrace par pensées (vagues) successives les étapes importantes, les rencontres, tout le mouvement d’une vie. Vie qui, ainsi reflétée dans les eaux du fleuve que le presque-narrateur contemple, semble avoir été aussi légère et immatérielle que l’eau. Lui aussi est désincarné, par l’absence de première personne, tout comme l’homme qu’il a été, suivant inlassablement le cours de la vie sans jamais habiter réellement son être.
Regard rieur, parfois tendre et souvent ironique, mais toujours en retrait -d’un homme qui pourrait être mort- sur sa propre vie, faite de beaucoup de préoccupations matérielles ou d’apparences, et vide de ces petits rien oubliés qui auraient pu en justifier l’essence.
Pour le plaisir :
« Le whisky couleur d’automne dans le verre d’Alexandrine.
Un orient imaginaire et chamarré d’artistes d’autrefois naissait peut-être de sa pose à peine voluptueuse le verre à la main suspendue à mi-chemin des lèvres qui lui donnait aux yeux d’alors l’air d’une reine en voyage incognito,
ou bien était-il suscité par son prénom aux poétiques promesses. »
« Il serait possible en théorie de plonger, de sauter, de se jeter dans l’eau de ce fleuve-là aussi.
Autrefois, dans de belles histoires, cela a pu passer pour la solution (au contact de l’eau se dissoudre, se délayer, se confondre !)
A présent il ne peut plus en être question : les réflexes natatoires dans l’enfance si longuement entraînés, l’apnée prolongée depuis si longtemps vécue comme un plaisir, tout cela ne se laissera pas facilement oublier. Se noyer dans la rivière, à l’époque moderne, n’est clairement plus à la portée de tous. »
« Pleurer toutes les larmes de son corps, se répandre soi-même par ses propres narines en glaires translucides, vider sa bile en hoquets incoercibles à chaque fois plus amers au-dessus de la cuvette des W.C., et dans les heures à suivre y revenir sans cesse et y rester scotché sous le joug d’une subséquente et irrépressible diarrhée :
Telles furent au moins les idées qui traversèrent l’esprit, plus ou moins inspirées tout de même d’une certaine réalité intérieure (organique) plus médiocre, à laquelle fut sans doute reproché son manque reconnu en matière spectaculaire.
Aucun paroxysme physiquement manifesté ne fut en effet atteint, ni même approché.»
Tout en poésie.
Dérive lucide
Critique de Garance62 (, Inscrite le 22 mars 2009, 62 ans) - 22 novembre 2009
Un homme, assis sur un banc au bord d'un fleuve, suit des yeux la brindille qui s'y laisse porter comme il a laissé la vie le porter, jusque là, jusqu'à cet endroit d'où il va dérouler sa vie, la laisser couler, où sa mémoire va divaguer et rencontrer les brindilles, évènements qui ont jalonné la sienne de vie. Passé retissé à partir de liquides. Lente dérive.
Un regard lucide, exigeant, qui ne pardonne rien.
Le temps passe ? Non, la pluie tombe, les gouttes ruissellent, l'eau s'écoule du corps de la mère, la fontaine accompagne le baiser, les flaques se remplissent... Eau sous toutes ses formes, fil rouge d'une vie.
Un livre qui accompagne bien. Important comme tous ceux qui mettent en exergue le sens de la vie, les choix et leurs contraires. Un regard acerbe aussi sur un matérialisme insensé qui, s'il a rempli un tant soit peu cette vie, n'a rien laissé d'essentiel.
Si le livre est plein de lucidité acide il laisse - pour moi – l'espoir d'un regard sain sur ce qui a été et donc qui ne peut plus être, pour peut-être permettre de mieux passer sur l'autre rive. Mais ça, c'est moi qui le dis.
Ah qu'il est beau le débit de l'eau
Critique de Farfalone (Annecy, Inscrit le 13 octobre 2009, 56 ans) - 10 novembre 2009
Mais moi, je ne suis pas cela, pas cela que je devine dans votre regard.
La métaphore liquide est filée: c'est tout le roman, mais l'eau ne s'écoule pas sans tourbillons, sans volutes, sans retours sur elle-même, et filant, elle charrie des objets qui sont bien présents: les réflexions du narrateur qui viennent s'insérer dans ce défilement. Ses réflexions actuelles, celles qui interrompent le flux de conscience alors qu'assis sur un banc il regarde s'écouler le fleuve devant lui. Car il faut un point fixe pour apréhender un défilement, il faut s'arrêter un jour sur le bord et remonter le courant, pour, remontant à la source retrouver et réactiver la douleur d'une séparation originelle. Et elle est là, toujours présente cette séparation: "Cette eau si claire de l'enfance(...) n'était qu'une illusion de plus, une illusion déjà!", "Maman parlait peu...Papa parlait d'autre chose", "Il faudra n'être à jamais rien d'autre que l'enfant de cet amour feint" (tiens, Feint?). Ici aussi file la métaphore liquide, ponctuant définitivement une histoire dont l'enfant "factice" a été le témoin muet et qu'il répètera à son tour: "Ils avaient tenté de se retrouver, ils avaient échoué".
Pour revenir à l'apparence, une autre métaphore file le long du livre: celle du cinéma. Il se fait son cinéma, ou plutôt il accompagne son film d'une voix "off", mais c'est le procédé adopté par l'auteur qui crée cette illusion de voix intérieure, ou plutôt qu'intérieure, décalée, comme"pas là". "Seule l'impression est vraiment présente à la mémoire", comme à la pellicule l'est l'image. "Rôle principal: costume et comédien s'étaient faits l'un à l'autre". "Faire": le narrateur sort de l'indécision et Suzanne "à l'air de croire (...) à cette image d'un homme en ACTION". Mais tout ce qu'il fait est de produire une image, un signe qui à l'instar d'un code culturel (vestimentaire ou autre) permettra à Suzanne de fixer une représentation de lui, "image claire, convaincante, à peine tremblée".
Seule certitude qui reste à celui qui s'évapore dans sa mémoire: son corps qui se rappelle à lui après cette longue station sur le banc par le truchement du genou ankylosé. "C'est vraiment une vraie sensation". Comme pour nous rappeler que notre corps est la seule réalité qui nous rende présent au monde, nous permet "d'être au monde".
Si le narrateur n'est pas nommé, c'est qu'il n'existe pas. Son frère Pierre "existait suffisamment pour deux. Il s'appelait Pierre". Il est "Personne" sous le regard de cyclope de ceux qui l'entourent, regard sans profondeur qui s'arrête aux apparences. Personne.
Aboutissement (provisoire sans aucun doute) de la recherche d'une langue et de sa vérité, ce livre-là de Philippe Annocque je l'ai aimé.
Si je ne mets que quatre étoiles, c'est que, encore une fois on baigne dans le solipcsisme et que le monde reste dans ce livre encore, étrangement absent.
"Avec le temps, va, ..."
Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 22 juillet 2009
Quand le poivre et le sel viennent teinter ses tempes, quand les enfants quittent le nid familial pour prendre leur élan en laissant les parents seuls face à leur passé pour essayer d’imaginer un avenir à vivre à deux, il reconstitue la tranche de vie qu’il a vécue au milieu des femmes, principalement, la mère aimée partie trop vite, l’amante infidèle, la femme épousée un peu vite peut-être, la belle mère envahissante, les filles qu’il n’a pas su aimer suffisamment et enfin l’amie du père, celle qui pourrait spolier les filles de leur héritage.
Tous ces souvenirs prennent forme dans des images, des fragments de vie qui se matérialisent tous dans l’élément liquide, l’eau de la fontaine du premier baiser, les eaux perdues prématurément lors de la naissance du premier enfant, le champagne bu pour fêter quelques événements heureux, etc… Mais, chaque fois, derrière toutes ces images, apparait en filigrane la jeune fille aimée, celle du premier baiser « qui avait trompé le fils à tant de reprises », pas celle pour qui « aimer alors c’était refaire les papiers peints de la maison… »
Et la question revient mais à peine effleurée car Philippe n’affirme pas, il suggère, propose, insinue, questionne. Qu’a-t-il fait de sa vie ? Il a réussi ! Sa femme a un « bébé », une « maison », « un jardin », une « voiture » et lui, il regarde les brindilles emportées au fil de l’eau qui se séparent progressivement pour, chacune, suivre une destinée différente, comme la vie érodée par le sable du temps qui coule entre les doigts.
Un petit livre plein de nostalgie et d’amertume qui déplore le temps de l’insouciance et le temps perdu à construire une vie matérielle avantageuse avec une famille dont on peut être fier, car le temps fait partie de ces éléments liquides qui s’écoulent encore plus vite quand on ne sait pas les retenir dans un récipient assez grand qu’on peut remplir comme on remplit un cœur avec de l’amour.
Une réflexion, un peu acide, mais pleine de poésie sur le temps qui passe, sur le sens de la vie, sur la puérilité des apparences de la vie, sur l’amour qu’on ne sait pas prendre ou donner, sur la destinée...
« Avec le temps, va, tout s’en va … », Léo aurait aimé ce livre…
La vie qui coule, liquide …
Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 14 mai 2009
puis faisaient un brusque crochet presque à angle droit et rejoignaient le parcours tout récent d’une autre encore qu’elles pouvaient alors rattraper
- et se fondre avec elle en une suprême précipitation.
L’aléatoire de leurs trajets imprédictibles. Un délice déja pour l’esprit d’alors. »
L’état liquide est le média choisi par Philippe Annocque pour parler d’une vie – sa vie ? une vie de fiction ? certainement des deux – Liquide l’est également son écriture comme le montre l’extrait ci-dessus, également capable à l’instar des gouttes de buée qui ruissellent sur une vitre froide de contourner un obstacle, de suivre un dessein apparemment absent et pourtant évident au final.
Ecriture liquide avec toutefois ce qui m’a paru un tic d’écriture, ou que je n’ai pas compris. On le visualise dans l’extrait ci-dessus avec des retours à la ligne sans ponctuation intermédiaire, qui ont perturbé ma lecture sur les premières pages et sur lesquels on passe par la suite. Il y a certainement, comme dans les ruptures de courses des gouttes ( !) un dessein ? Je ne l’ai pas compris.
L’ouvrage nous donne par petites touches, petits chapitres de trois pages le plus souvent, des éléments fondateurs ou fondamentaux de sa vie – ou de la vie de celui qui raconte. Il ne raconte pas une vie, il en brosse un tableau, comme à petites touches nerveuses le ferait un peintre impressioniste. Des faits saillants, des qui peuvent paraître anodins, des qui au bout du compte font que la vie a fait un crochet et subi un cahot.
Le fil conducteur de ces petits chapitres est l’état liquide donc ; des gouttes déja évoquées aux eaux du fleuve, aux larmes, au verre d’eau, … liquide vous dis-je ! Et donc au gré de ce fil on effleure la vie du narrateur. Une vie tournée vers l’autre, la relation à l’autre ; parents, amie, femme, filles, belle-mère, …
Sous une apparence déstructurée, la logique s’y retrouve, pas sûr pour autant que ce soit le liquide qui fasse office de lien. Au final, on s’aperçoit avoir déroulé un bout de vie avec le narrateur au fil de petits flashes, on le connait.
D’ailleurs, je le connais ! C’est Feint ! Et je l’ai rencontré, à Paris.
Ainsi s'écoule la vie
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans) - 18 avril 2009
En effet, le narrateur apparaît paisible, se plaît à prendre la vie de manière empirique, comme elle vient.
La description impersonnelle du récit et l'analyse de ces détails tendent à une forme de généralisation et paraît inciter au Carpe diem, comme si tout finissait par soi-même, même et surtout quand tout autour de soi est soumis à la confusion et à la précipitation.
Au départ quelque peu bringuebalé par une écriture volontairement chaotique, par sa présentation formelle, le récit, le mode narratif et l'expression mêmes finissent par entraîner comme une petite musique rassurante, telle une bossa nova réconfortante.
Boy meets girl
Critique de Calistoga (, Inscrite le 18 juin 2008, 61 ans) - 16 avril 2009
Cela me rappelle cette fameuse anecdote à propos de Hitchcock qui gardait un petit carnet sur sa table de chevet pour y coucher ses géniales idées nocturnes. Un matin, en se réveillant il lit : "boy meets girl". Disant cela, on a rien dit. Cette phrase décrit toutes les histoires du monde. C'est un peu l'histoire de Liquide. On y voit aussi un garçon qui rencontre successivement deux femmes et cela dessine une vie. A vous de voir.
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