Précieuses et dévergondés : Le XVIIe siècle galant, de Richelieu à l'abbé de Choisy
de François-Timoléon de Choisy

critiqué par Miss teigne, le 3 avril 2009
( - 43 ans)


La note:  étoiles
Le ridicule ne tue pas
L’ambitieux Armand du Plessis, Cardinal de Richelieu, aurait notamment obtenu et maintenu ses prérogatives grâce aux intrigues tant amoureuses que politiques. Richelieu, malgré l’habit ecclésiastique qui aurait dû le contraindre à la chasteté, semblait en effet être un amoureux des femmes et surtout de celles qui pouvaient lui être d’une quelconque utilité pour mener à bien ses desseins politiques. Les reines Marie de Médicis et Anne d’Autriche furent un temps les "victimes" de ses assiduités. Le Roi Louis XIII mettant peu d’empressement à donner un héritier à la Couronne de France, Richelieu y voyait une opportunité d’asseoir un peu plus son autorité. Enceinte de ses œuvres, Anne d’Autriche n’aurait pu que le distinguer davantage. Entreprise menée sans succès mais quelle suffisance faut-il pour ne serait-ce qu’oser envisager un tel projet. C’est avec un étonnement amusé que l’on découvre la polissonnerie insoupçonnée d’un Cardinal de Richelieu qui ne craint pas à de multiples reprises de se couvrir de ridicule. Explorer la sphère sentimentale de Richelieu et de ses rapports avec les souveraines amène l’auteur à effleurer des personnages familiers tels que le Duc de Buckingham. Ce dernier, loin d’être l’amoureux transi d’Anne d’Autriche décrit par Alexandre Dumas, était bien ancré dans le libertinage de son temps.

Pour illustrer une fois de plus que la séduction et le libertinage touchaient tous les milieux et notamment l’Eglise, la seconde partie de l’ouvrage livre quelques extraits des mémoires de l’abbé de Choisy. Celui-ci était en effet habité par la passion du travestissement et a pris au cours de sa vie différentes identités féminines, de Madame de Sancy en passant par la Comtesse des Barres. Le personnage est ambigu, évidemment. Non content de porter des atours de femme, il écrit à la troisième personne du féminin et se fait sans fausse honte appeler "Madame". "Elle" porte robes à rubans, boucles d’oreilles de prix et mouches (à la pelle), reçoit et visite vêtue de la sorte. Point de scandales, personne ne paraît remarquer la supercherie. Il faut dire que l’époque fait la part belle aux gorges largement découvertes. Tout le monde se baise (n’y voyez aucun propos inconvenant de ma part) et se caresse au vu et au su tout le monde. Le libertinage fait donc pleinement partie des mœurs.

De là à dire que la chose est admise, il n’y a qu’un pas. Certains ne sont tout de même pas dupes et ne se privent pas de lui faire des remontrances. Qu’à cela ne tienne. Elle déménage là où on la laissera vivre selon sa fantaisie. Et recommence une nouvelle tentative de séduction à l’égard de ses voisins, voisines,… jusqu’au curé, tous se pâmant presque devant la beauté de la dame. Hypocrisie et sournoiserie sont évidemment à leur comble. Peu importe à Madame de Sancy ou quel que soit son nom, l’essentiel est de paraître. Plus que le nécessaire, elle fait longuement l’inventaire de sa mise lorsque se prépare une visite exceptionnelle qui demande l’étalage de ses charmes. Des phrases telles que "on me trouva assez bien", "on me trouva assez jolie" ponctuent fréquemment le récit. C’est évident, le personnage est d’une préciosité et d’un narcissisme inégalables. Mais il est aussi très lucide. Il sait que "les hommes, quand ils croient être beaux, sont une fois plus entêtés de leur beauté que les femmes".

Choisy sous ses atours de femme n’aimait rien moins que de séduire les jouvencelles de bonne souche, de moins de 16 ans de préférence, inexpérimentées et de les déguiser en garçon. Cerise sur le gâteau, il leur arrivait de partager en toute innocence la couche de "la belle dame", celle-ci étant parvenue à les attirer dans son lit avec l’accord plein et entier des parents sous le prétexte fallacieux de leur apprendre la coiffure ou la comédie. On peut imaginer leur surprise en constatant que l’anatomie de "la belle dame" n’était sensiblement pas la même que la leur. Aux plus sottes, il parviendra même à faire croire que l’on fait les enfants par l’oreille… Si d’aventure, la jeune fille devait porter le fruit de leurs amours "saphiques", il convenait alors de la marier.

On le voit, Choisy utilise franchement des procédés malhonnêtes pour arriver à ses fins. Tout cela ne manque certes pas de sel. Un personnage ambigu donc, entre deux eaux, aimant les deux sexes bien que plus porté vers les jeunes filles. Lucide également quant à son état, son goût du travestissement ayant des origines surprenantes. Enfant, il était destiné par sa propre mère à devenir le compagnon de jeux de Monsieur, frère du Roi Louis XIV… Est-il nécessaire d’en dire plus ? Sa passion du travestissement ne le quittait vraiment que lorsqu’elle était remplacée par celle du jeu, ce qui lui fit écrire : "La rage du jeu m’a possédé et a troublé ma vie. Heureux si j’avais toujours été belle, quand même j’eusse été laide ! Le ridicule est préférable à la pauvreté". Lucide vous disais-je.

Piquant que ce 17ème siècle galant qui voit fleurir les rois de la gaudriole, curieux de voir le fringant Cardinal de Richelieu sous ce jour nouveau de gigolo d’occasion et stupéfiant de lire les mémoires de l’ambigu, précieux mais non moins roué abbé de Choisy. Mais j’en aurais voulu plus ! Plus de potins croustillants et politiquement incorrect sur la noblesse de l’époque ! Où sont Mazarin et Monsieur, juste nommés ? Plus d’anecdotes ! Le thème était pourtant porteur. L’auteur a-t-il voulu se limiter délibérément à deux ecclésiastiques représentatifs de leur époque? Ni la page de titre ni le résumé de la quatrième de couverture ne le laissaient présager en tout cas. Plaisant et instructif mais trop vite lu. La contribution de l’auteur cité est bien mince puisqu’elle se réduit à moins de 40 pages, rédigées indiscutablement d’une belle plume, consacrées exclusivement au Cardinal de Richelieu. Le plus gros de l’ouvrage laisse une large place aux extraits de Choisy, heureusement savoureux.