L'empire des lumières
de Yōñ-Ha Kim

critiqué par Aliénor, le 14 avril 2009
( - 56 ans)


La note:  étoiles
Quel témoignage !
Kim Kiyeong mène une vie simple et tranquille à Séoul, où il exerce la profession d’importateur de films étrangers. Une vie d’époux et de père de famille qui connaît des difficultés relationnelles, tant avec son épouse qui semble de plus en plus lointaine, qu’avec sa fille adolescente. Une vie normale en somme.
Pourtant, un matin, un simple mail va tout remettre en cause. Un mail qui lui donne l’ordre de rentrer chez lui, et ce dans 24 heures seulement.

Car Kim Kiyeong est en réalité tout sauf un citoyen lambda. Il est en fait agent secret, au service de la Corée du Nord, et en sommeil depuis de nombreuses années. A tel point qu’il était convaincu que le Nord l’avait oublié. Ces années, il les a mises à profit pour se forger une nouvelle identité, une nouvelle vie, une nouvelle histoire. Et pour fonder une famille qui ignore tout de son passé.

Alors que doit-il faire ? Obéir simplement à cette injonction et renoncer à sa liberté ? Disparaître au plus vite sans laisser de trace ? Cette interrogation est l’objet de ce roman, dont chaque chapitre correspond à une heure qui s’écoule, exactement comme dans la série télévisée trépidante qui se déroule durant le même laps de temps.
24 heures durant lesquelles Kim va nous raconter son histoire, retrouver ses réflexes d’agent secret, et surtout nous raconter la Corée du Nord. Et donc nous faire comprendre l’abîme qui sépare ces deux parties d’un même Etat.
Ce qui fait de ce roman un livre très intéressant, bien au-delà de l’intrigue qui sert de prétexte à la trame. Un regard critique et sans concession d’un auteur sur son propre pays.
Bas les masques! 7 étoiles

Depuis la publication en 1996 de son premier roman 'La mort à demi-mot', Kim Young-ha s'est taillé une place de choix parmi des écrivains les plus prometteurs de sa génération. Généralement apprécié pour ses récits multi-genres, ainsi que pour le regard incisif qu'il pose sur la vie moderne dans son pays, l'auteur sud-coréen nous propose avec ce quatrième roman, un récit fidèle à son style quoique relativement moins innovant que certains autres de ses écrits, mais possédant un caractère cinématographique évident.

Narré à la troisième personne et alternant les points de vue, "L'empire des lumières" relate sous forme de scénettes les événements marquant vingt-quatre heures dans l'existence de Kim Ki-yong alias Kim Song-hun, de Ma-ri son épouse et de leur fille Hyong-mi. Au fil des heures on assiste donc à un enchaînement de situations, découvrant en même temps l'histoire personnelle de ces individu et, tandis que derrière le masque du conditionnement le véritable visage de ces personnages apparaît à nos yeux, on comprends finalement l'impact qu'auront ces expériences sur la suite ou l'ensemble de leur existence.

C'est donc par le biais des interactions et du conditionnement social que ce récit aborde le thème de l'identité. La thèse développée ici consiste à démontrer que l'existence serait en quelque sorte composée d'une suite de situations au gré desquelles nous posons des choix qui, par effet cumulatif ou d'enchaînement, façonnent l'être que nous sommes tout en déterminant la direction et la forme que prendra notre existence.

Parallèlement, Kim Young-ha dresse un portrait plausible et vivant de son pays. Mais alors que la vie dans les deux Corées, celles des années 1960, des années 1980 et dans une moindre mesure, celles des années 2000, est dépeinte avec lucidité, les personnages qui y évoluent, bien que crédibles, semblent accuser quant à eux une certaine distance par rapport à leur expérience. Détail culturel ou faiblesse conceptuelle? Difficile de dire. Il n'en demeure pas moins que sur le plan strictement thématique, la formule fonctionne plutôt bien et, faisant fi des aspects historico-politique, elle tend à mettre en avant la nature universelle du conditionnement social.

L'écriture, est vive, nerveuse et s'accorde bien au rythme et au style du récit (1). L'intrigue est bien menée et judicieusement portée par cette vision périscopique que lui confère la forme narrative adoptée par l'auteur. L'ensemble du roman est homogène et cohérent mais quelques diversions par rapport au fil narratif, visant apparemment à créer un effet de style et/ou à enrichir la mise en contexte, peuvent gêner l'attention ou susciter un sentiment de longueur.

Accessoirement roman d'espionnage, foncièrement portrait de société, 'L'empire des lumières', fort des ingrédients qui le composent, atteint un habile équilibre entre le divertissement et la "démonstration", et constitue ainsi un roman propre à satisfaire bon nombre de lecteurs.


1. Lu en traduction anglaise. Je me permet d'exprimer quelques réserves au sujet de cette traduction, celle-ci faisant étalage d'un niveau de langue beaucoup trop commun pour se réclamer du domaine littéraire, il m'apparaît donc spéculatif d'apprécier l'écriture de l'auteur par le biais de cette version du roman.

SpaceCadet - Ici ou Là - - ans - 6 juin 2015


Un éclairage passionnant sur la Corée (les Corées ?) 8 étoiles

Aliénor a parfaitement résumé l'intrigue et je n'y reviens pas. Ce qui m'a vivement intéressé dans ce roman, c'est la peinture très réaliste du comportement des Coréens, citoyens d'une nation aujourd'hui à la pointe du développement économique, après avoir vécu des périodes difficiles, et confrontés à une menace considérable que la Corée du Nord fait peser malgré un état économique délabré.

J'ai eu l'occasion de me rendre par trois fois dans le Sud de la péninsule pour de brefs séjours chez un fils expatrié. Le roman me rappelle très exactement ce que j'ai constaté de mes yeux, de façon superficielle sans doute. L'analyse du comportement des collégiens, des jeunes adultes me paraît remarquable. La violence de certaines réactions ne m'a pas surpris. J'ai même longuement visité le camp de prisonniers nord-coréens évoqué dans le roman d'où un certain nombre d'entre eux ont choisi de retourner au Nord à la surprise des sudistes...

Si vous vous intéressez à la Corée, n'hésitez pas : une lecture agréable malgré quelques longueurs et, de la part de l'auteur une tendance à mettre en avant ses connaissances littéraires classiques.

Tanneguy - Paris - 85 ans - 30 juillet 2011