Orage
de August Strindberg

critiqué par Dirlandaise, le 11 mai 2009
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Ce passé qui revient toujours...
En 1907, Strindberg crée le Théâtre-Intime avec l’aide d’August Falck. Son but est de transposer au théâtre les atouts de la musique de chambre. Strindberg veut un public limité, un jeu de scène concis dans un décor simplifié. Cette pièce en trois actes fait partie des quatre pièces intimes qu’il a écrites pour ce théâtre.

Un homme assez âgé, milieu de la cinquantaine, habite depuis dix ans le même immeuble. Il s’accommode très bien de sa solitude depuis qu’il a quitté sa jeune femme et son enfant. En effet, à l’aube de la cinquantaine, notre homme avait épousé une jeune femme d’une vingtaine d’années et un enfant est né de cette union. Après quelques années de mariage, il décide de reprendre sa vie de célibataire et de jouir d’une paix qu’il ne pouvait pas avoir en ménage. Il mène donc une existence calme et rangée avec pour compagnie son frère et ses voisins dont le pâtissier qui tient boutique au rez-de-chaussée de l’immeuble. Mais le passé refait surface lorsque sa femme et son enfant s’installent dans l’appartement du dessus avec un nouveau mari et beau-père. Tout ne va pas bien dans le ménage et bientôt, l’orage éclate. Le respectable monsieur est confronté à son passé lorsque son ancienne épouse lui demande de l’aider à retrouver sa fille que son mari a enlevée en s’enfuyant avec la jolie fille du pâtissier. C’est un véritable coup de tonnerre qui vient frapper notre héros casanier et engoncé dans sa petite routine immuable. Qu’adviendra-t-il de lui et de sa douce petite vie après cet orage menaçant et destructeur ?

Une très belle pièce qui renoue avec les thèmes chers à l’auteur soit les relations conjugales orageuses, le passé, la vieillesse et le culte du souvenir. Peut-on vraiment jeter un trait sur le passé et essayer de vivre en paix sans que celui-ci ne finisse par nous rattraper inévitablement ? Le mariage n’est-il qu’un éternel combat entre l’homme et la femme, un affrontement qui perdure même après la dissolution de l’union ? Un homme qui abandonne femme et enfant peut-il espérer refaire sa vie de célibataire en toute quiétude ? Doit-on éviter les ennuis en s’accommodant d’une existence morne et égoïste ou bien affronter les orages et les écueils du mariage mais aussi connaître l’amour et les joies de la paternité ? Ce sont les questions soulevées dans cette pièce dramatique et représentative des éternelles obsessions strindberguiennes. Du très beau et grand théâtre !

« Oui, le temps paraît court une fois passé, mais quand on est dedans, il paraît interminable… »

« Je crois que tu vis dans une profonde illusion… — Laisse-moi continuer à y vivre, mon frère ; une conscience pure, du moins relativement, a toujours été pour moi comme un scaphandre qui me permettait de descendre dans les abîmes, sans étouffer. »

« Et comme ça on est tranquille… Pas d’amour, pas d’amis, un peu de compagnie seulement pour distraire la solitude ; et alors les hommes ne sont plus que des hommes, ils n’ont plus aucun droit, ni à vos sentiments, ni à vos sympathies ; on se détache tout doucement, comme une vieille dent, et on tombe, sans douleur, sans regrets. »

« Des pièces vides éclairées, c’est encore plus terrible que sans lumière… On voit les fantômes. »