Un enfant de Dieu
de Cormac McCarthy

critiqué par Jules, le 10 décembre 2001
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Un grand auteur trop peu connu en Europe
Une des phrases de la première page va nous révéler de suite l’ambiance : « A observer ces choses qui émergent d’une matinée par ailleurs silencieuse et champêtre, un homme, devant la porte de la grange. Il est petit, crasseux, mal rasé. Il se déplace dans la balle sèche au milieu de la poussière et des lames de soleil avec une brutalité contenue. Du sang saxon et celte. Un enfant de Dieu, sans doute, comme vous et moi. » Nous pourrions nous croire aux premières images d'un western spaghetti de Sergio Leone !
Lester Ballard assiste à la vente aux enchères, forcée, de ses terres et de sa maison. On devine qu'il est encore relativement jeune. Son père est mort : il s’est pendu. La vente se fait sur instruction des autorités du comté. Les taxes locales ne sont sans doute pas payées.
Lester Ballard est de tempérament violent et pas tout à fait comme les autres. Sa propriété vendue, il va se réfugier dans une cabane à l’abri des regards. Elle est délabrée et non étanche. Le vent et le froid y pénètrent et il n’y dispose que d’une vieille cheminée. Pour tout mobilier, il se trouvera un vieux matelas et une vieille lampe. Il a un fusil et des cartouches et tue quelques bestioles pour se nourrir. Le restant de son temps il parcourt les bois et a pour seul vague copain un gardien de carrière qui vit aussi misérablement que lui pas trop loin.
Celui-ci a une femme et neuf filles. Celles-ci vivent comme des bêtes et se donnent à qui veut. Ballard a un oeil sur une des plus jeunes.
Un soir, lors d'une de ses balades, il tombe sur une voiture arrêtée avec le moteur qui tourne et sans lumières. Il s’en approche et découvre à l’intérieur un homme et une femme quasiment nus et morts. Il bouge l'homme et « viole » la morte encore tiède. Puis il l'emporte chez lui sur ses épaules. Il la met à geler dans le grenier au-dessus de sa tête avec l'idée d’en profiter encore. Un soir cependant, il va tuer.
Il va s'enfoncer dans la solitude, le froid et sa folie.
Ballard a l'air de tuer comme il mange. Quant à la nature qui l'entoure, elle contemple. Elle est presque un personnage de l’ensemble de l’histoire. Elle évolue, mais est indifférente à tous ces mouvements des humains. Elle suit son cours, vivante et immuable.
McCarthy est un des tout grands écrivains contemporains et est passé maître dans l’art de faire passer des ambiances et des sentiments en peu de mots… Un très bon livre, pas des plus gais, mais très bien écrit.
"Je pense que les gens n'ont pas changé depuis le jour que le bon Dieu les a créés... " 10 étoiles

Une mère qui disparaît dans la nature et un père qu’il retrouve pendu dans la grange…
En faut-il davantage pour « détruire » un jeune homme de 12 ans ?
Lester Ballard va rapidement se retrouver seul, expulsé du domicile familial, chassé bien malgré lui d’une maison squattée pour rejoindre –tel un animal blessé- une grotte où il organise un semblant de survie.
Lester erre comme une âme en peine au fil des sentiers du comté de Sevier (Tennessee)
Une terrible solitude qui le mène aux frontières de la folie.
Alors, est-ce une surprise que d’assister à l’inexorable déchéance du gamin, vivant en marge et agissant de façon animale ?
L’instinct de survie prime sur toutes ses décisions. Des décisions animales, viscérales, dénuées d’humanité.

J’avoue avoir été dérouté par ce court roman.
La très grande force de McCarthy est d’instiller lumière et poésie là ou noirceur, violence et désespoirs règnent en maitre.
Il ne faut pas se limiter à l’histoire d’un sociopathe irrécupérable. McCarthy nous interroge sur le « comment » une société peut-elle laisser dériver un gamin de 12 ans dans une solitude et une marginalisation si terrible ?
Une lecture « divine », ponctuée de descriptions magiques de la Nature.
Une Nature aussi magnifique qu’implacable, comme les hommes qu’elle enfante.

Un moment de lecture inoubliable !

Frunny - PARIS - 59 ans - 11 novembre 2017


Parcours d’une bête 9 étoiles

Chassé de ses terres au début du roman par la loi, Lester Ballard sera le restant de sa vie un hors la loi.
Sans structure familiale, ou recours d’aucune sorte, Lester Ballard livré à lui même vit seul dans les bois. Il se déshumanise de façon abominable. Il devient un meurtrier et un violeur terrifiant. Il devient pire qu’une bête, sans loi, sans esprits grégaire, sans morale, sans empathie pour les autres ni sentiment. Il finit dans une caverne comme un ours enragé seul avec pour toute compagnie des cadavres… Il erre dans la nature qui est ici décrite froide, rude, sèche, lugubre, vide…. La nature contre l’homme presque qui ne lui amène rien que des désagréments comme les inondations et les crues du fleuves ou le vide… Cette vision de la nature qui entoure Lester Ballard frappe le lecteur dur comme un rocher de pierre, comme un cri dans le néant, comme un appel dans le désert.
McCarthy nous amène encore là où personne ne veut aller: Au fond de la noirceur de l’être humain et de la nature qui n’est que néant. Ce jeune homme est pire qu'une bête et pourtant c'est "un enfant de Dieu" lui aussi...
Super dérangeant, mais aussi génialement conté. Cette balade de ce meurtrier malade hante le lecteur : On veut toujours connaître la suite. Ce livre ne vous laisse donc pas tranquille une minute… Il vous hante… Il bouscule votre moralité. On finit par l’emporter partout avec soit au cas où on aurait un moment pour continuer quelques lignes, on reste tétanisé…. C’est ça le génie de Mc Carthy

Chene - Tours - 54 ans - 18 mars 2012


Un roman déconcertant 8 étoiles

Cormac McCarthy s'est inspiré d'un fait divers pour rédiger ce roman dont le personnage principal est un assassin. Cela fait quelques décennies déjà que les tueurs en série ou assassins fascinent les auteurs si l'on pense à jean Genet, au Roberto Zucco de Koltès, à Grenouille dans "Le Parfum" de Susskind ... McCarthy peint les actes de Ballard et le rérèglement de son esprit avec objectivité, ne cherche pas à le condamner, ni à l'excuser. Cette peinture se veut neutre et cette absence de jugement peut déstabiliser le lecteur.

Ballard est seul, rejeté, ne posède pas de famille soudée. Les autres personnages de ce roman sont à son image, tous semblent seuls, méfiants et sans amour : un père viole sa fille, les femmes sont frivoles et sans morale. McCarthy a été parfois évoqué dans la fameuse liste des écrivains susceptibles de décrocher le prix Nobel, pourtant il est loin de présenter un monde idéal, voire un monde optimiste.

Son personnage, Ballard, préfère donc tuer. Des hommes. Des femmes. Surtout des femmes qu'il peut violer ensuite.

Le titre du roman invite le lecteur à penser que ce Ballard est un fils de Dieu, comme vous et moi. Il pourrrait donc être moi, comme je pourrais être lui ( Dieu m'en garde !!! ). Le terme "enfant" contraste avec ces actes qui sont loin d'être des jeux d'enfants. En fin de compte, cet homme, non pardon "cet enfant" est un jeune qui a mal tourné !

Le style d'écriture est moderne : la ponctuation est absente des dialogues, certains chapitres sont des témoignages de personnes ayant connu le meurtrier, tout ceci fait que ce roman hésite entre l'écriture journalistique, le roman moderne et la réflexion psychologique et philosophique sur l'homme.

Un roman qui ne peut laisser insensible.

Pucksimberg - Toulon - 45 ans - 21 octobre 2011


Très dérangeant 8 étoiles

Mal à l’aise devant ce récit, j’ai mis du temps avant d’en écrire la critique éclair. Ce n’est pas plus mal : je me serais peut-être égarée dans les détails de l’histoire, alors que, finalement, ce livre est surtout une question d’atmosphère. Glauque, étouffant, perturbant, il l’est, et encore plus. Ben oui, quand on prend comme personnage principal un « serial killer », éperdu de solitude, oeuvrant dans la plus totale inconscience et qu’on décrit ses gestes froidement, sans émotion, on n’obtient généralement pas de l’eau de rose… Non, ici, ce serait plutôt un bourbier d’eau stagnante, croupie et nauséabonde…

Et pourtant, il m’est arrivé, au début du livre, de douter du caractère monstrueux de Ballard. McCarthy réussit à faire mentir le proverbe « un homme averti en vaut deux » : même si je savais, grâce à la quatrième de couverture, que j’aurais en face de moi un serial killer, je me suis laissée surprendre par un sentiment d’horreur. L’écriture de McCarthy est tranchante et droite, directe et abrupte, elle entre en vous, fouille votre esprit et puis vous laisse, pantelants…

Saint-Germain-des-Prés - Liernu - 56 ans - 2 juin 2004