Chassés croisés, tome 1
de Kang Full

critiqué par Shelton, le 27 mai 2009
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Quelle qualité !
Il est, parfois, des lectures qui sont des révélations ou des confirmations. C’est ainsi, il y a un avant et un après comme si la lecture était tout simplement une rencontre ! Une rencontre qui marque pour longtemps…
Kang Full est un auteur coréen assez connu, du moins pour ceux qui comme moi ont été séduits, dès les premières traductions, par cette bande dessinée que l’on appelle manhwa… Kang Full fut un des premiers à débarquer sur les étals de nos librairies avec des titres comme « Appartement » ou « L’idiot ». C’est un auteur qui a commencé son travail de bande dessinée sur le web avec la création d’un site bande dessinée où il a offert aux visiteurs ses premières planches. Il a un style tout à fait particulier avec un dessin simple, presque simpliste, et un texte dépouillé mais très fort, parfois ironique et politique. Du coup, rapidement, il est beaucoup lu, apprécié et commenté et la presse coréenne lui donne la chance de passer au support papier.
Un de ses plus grands succès, en Corée comme en France, est « Appartement » qui a été aussi adapté au cinéma…
Avec « Chassés croisés », Kang Full s’attaque à un sujet délicat et polémique, les relations entre jeunes et adultes. Mais, il ne s’agit pas du tout d’une bande dessinée érotique qui mettrait en scène un adulte abusant d’un enfant, ou même le séduisant… Non, ici, nous sommes dans un autre registre qui prouve bien que la bande dessinée coréenne est beaucoup plus subtile et délicate que la bande dessinée japonaise…
Six personnages vont vivre sous nos yeux et certaines relations vont se mettre en place, se nouer et même donner naissance à des futurs possibles…
Yeon-Woo est un employé sans problème. Il a un peu plus de trente ans et tous les jours, presque à la même heure, il utilise l’ascenseur. Il est célibataire et ne vit que pour satisfaire son patron qui ne semble pas commode…
Soo-Young, elle, est lycéenne. Elle a dix-huit ans, et, comme beaucoup d’adolescentes, a envie de vivre librement, d’en terminer avec l’école, répond aux adultes qui l’ennuient et ne manque pas d’humour pour se moquer de ces « vieux » qu’elle rencontre au cours de la journée…
Yeon-Woo et Soo-Young se croisent régulièrement dans cet ascenseur d’immeuble et petit à petit ils vont prendre l’habitude de se regarder. Un peu comme le Petit Prince et le Renard de Saint-Exupéry, ils vont s’habituer l’un à l’autre, s’apprivoiser et finiront par se mettre en retard pour se voir. Oh ! Pas de lubricité ou de désir mal placé, non juste un regard, quelques mots et une amitié naissante, fine et légère, qui se transformera et un sentiment légèrement plus solide, plus ambigu, aussi, que certains finiront par appeler amour sans qu’il ne se passe, pour autant, de gestes déplacés donnant existence à des galopades érotiques… C’est touchant et fort, poétique et littéraire, et, surtout, parfaitement raconté par l’auteur qui a trouvé le ton juste tant dans le dessin que dans le texte…
Cette histoire est croisée – d’où le titre – avec celle de deux autres couples en formation pour qui l’âge est aussi problème. Mais, de toute évidence, c’est bien celui de Yeon-Woo et Soo-Young qui est au centre du récit de Kang Full…
J’ai adoré ce premier volume, assez volumineux malgré tout – plus de trois cent quarante pages – et j’espère que vous ne vous laisserez pas déstabiliser par le style graphique basique ou désuet comme l’annoncent certains. Pour moi, c’est seulement une forme de ligne claire asiatique c’est à dire, pour paraphraser un certain Hergé, que tout y est pour comprendre l’histoire mais rien de plus pour ne pas noyer le lecteur dans l’inutile…
J’attends le second et dernier volume avec une véritable impatience surtout pour voir comment l’auteur va réussir à clore son histoire sans déclencher les sifflets du public bourgeois et conventionnel…